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où nous étions dans un appartement meublé fuperbement & qui dépendoit d'une grande maifon qu'il avoit achetée dans la rue de l'Univerfité, & dont il me fit voir toutes les magnificences, en attendant que l'on fervit. J'étois fi plein de joye & & de furprife,que je ne pus manger un morceau, quoique la table fût couverte de mets trèspropres à exciter l'appétit ; j'attendis avec impatience que mon frere eût dîné, pour le prier de ne me plus laiffer languir, & de m'apprendre fans retardement les heureufes nouvelles aufquelles il m'avoit dit que j'avois autant de part que lui. Il prit la parole en ces ter

mes.

Quand vous me quittâtes, mon cher frere, malgré les preffantes inftances que je vous fai

toit en cinquante écus; nos derniers embraffemens nous couterent des larmes ; enfin nous nous féparâmes. Je vous cherchai avec exactitude dans tous les lieux par où je pasfai, & croyant que peut-être vous feriez demeuré quelque tems à Lyon, j'y reftai huit jours; mais ne vous y voyant point, j'en fortis & allai à Avignon, lieu de la grande Histoire. J'y féjournai plufieurs jours comme j'avois fait à Lyon, pour la même caufe. J'entendis dire un jour que fur le foir fe devoit faire un enterrement très-beau dans l'Eglife de ....je fus curieux d'affifter à cette lugubre cérémonie qui étoit en effet quelque chofe de rare; l'Eglife étoit entierement tendue de noir & les rues par lesquelles devoit paffer le convoi étoient bordées

bordées de gardes pour empêcher l'affluence du menu peuple. Tel étoit obfervé l'ordre dans la marche : tous les pauvres que l'on avoit pû raffembler tant de la Ville que des environs, étoient à la tête habillés de neuf, & tenant à la main non pas un flambeau, mais une bourfe de cent écus qu'on leur avoit diftribuée par aumône. Marchoient enfuite cent jeunes garçons, portant chacun un grand cierge deftiné au fervice de l'Eglife après la cérémonie. Ces jeunes gens étoient des apprentifs de différens métiers aufquels le défunt avoit legué de quoi fe faire paffer maîtres dès qu'ils feroient en âge; fuivoient îmmédiatement deux cens Eccléfiaftiques portant des cierges: la marche étoit terminée.

LI. Part.

par le corps enfermé dans un cercueil d'àitain que douze hommes portoient au milieu d'une infinité de lumieres: on ne voyoit aucun deuil derriere ; mais feulement les gens les plus qualifiez de la Ville,les amis particuliers,& après eux les domef tiques du défuntschacun fe plaça felon fon rang dans l'Eglife où l'on dit l'Office, après lequel le corps fut defcendu dans un ca-veaufait exprès. Un enterrement de cette importance me fit pouf fer la curiofité jusqu'à m'infor mer du nom & de la qualité de cet homme. J'appris que c'étoit le Seigneur Radon, Banquier, établi dans la Ville depuis envi ron fix années. (Quoi ! Radon, dis-je à mon frere;) mais il me fit figne de ne pas l'interrompre & continua ainfi.Ce nom qui étoit celui de l'homme auquel de

Saint-Varte m'avoit livré pour me perdre, & l'époque de fon établiffementà Avignon,me perfuaderent ailément que c'étoit lui-même, & qu'il s'étoit retiré dans cette Ville, après m'avoir abandonné;& ce qui m'affermit davantage dans cette opinion, furent les avis que l'on m'avoit donné dans Paris, que de SaintVarte avant de périr avoit formé la réfolution de fortir de France & de fe retirer près d'un fauteur de fes iniquitez qu'il avoit envoyé préparer les logis, & chez lequel les trois quarts de nos. biens étoient déja tranfportés, ainfi qu'il avoit déclaré; mais que la mort ne lui avoit pas don né le tems d'apprendre au public en quel endroit je demeurois, perfuadé que les immenfes trefors que laiffoit Radon, nous appartenoient légitimement

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