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der à cette ombre de grandeur; & ce ne fut que lorsque je n'eus plus rien du tout, que je fongeai férieusemenr à l'état qu'il me falloit embraffer. J'allai chez un Fripier vendre mon habit pour vivre, & en achetai moyennant peu de chofe un vieux d'Abbé, qui me fit obtenir une place de Précepteur peu après; car me promenant un jour aux Thuilleries, je m'affis à côté d'un Seigneur qui m'honora quelque tems de fa converfation. Plufieurs réparties affez bonnes que je lui fis, m'attirerent fa pro tection, & il me fit entrer chez la Marquife de *** fa fœur, qui venoit de perdre fon époux, & cherchoit un Précepteur pour fon fils âge de fix ans, qui promettoit déja beaucoup, & dont la fuite de la vie a parfaitement répondu à ces heureux commencemens. Il ne me fut pas difficile de bien m'ac

quitter de cet emploi, & je fis en peu de tems de mon Ecolier un modéle de perfections, que toutes les perfonnes de diftinction propofoient à leurs enfans d'imiter. La façon aifée dont je m'y prenois pour inftruire ce jeune homme,plût beaucoup à la Marquife, qui voulut fçavoir fi la belle Mademoiselle de *** fa fille, connue depuis fous le nom de la Comteffe de L... auroit les mêmes difpofitions. Elle fe mit en tête de lui faire apprendre auffi le latin : elle avoit alors quatorze ans, âge plus propre à recevoir des leçons d'amour que celles du Rudiment. Cet ordre me fit cependant beaucoup de plaisir; car il y avoit long-tems que les yeux de cette jeune perfonne m'avoient bleffé le cœur. Je n'avois jamais ofé lui parler de ma paffion, quoique j'euffe fouvent remarqué qu

elle prenoit un plaifir fecret à m'interdire par fes regards, quand nous nous rencontrions enfemble. J'efperai donc que lui parlant foir & matin, peut-être trouverois-je l'occasion de lui apprendre mon amour; mais je n'en eus pas le tems, car une avanture qui arriva dans cette maison, où cependant je n'avois aucune part, m'en fit bannir.

M. le Baron de R... avoit de fa premiere femme un fils qui n'avoit que trois mois, quand fon infortunée mere périt de la chute d'une glace,qui s'étant détachée fe brifa fur fa tête lorfqu'elle paffoit à travers un de fes fallons. Elle fut moins regrettée du Baron encore jeune qu'elle ne le méritoit, ( cela n'eft pas étonnant; car l'obéiffance l'avoit plûtôt uni à cette femme que l'amour) & il fe remaria malheureusement pour M.

de R.... fon fils après fix mois de veuvage,à la fille d'un Gentilhomme Breton qu'il aimoit depuis long-tems. Cette Demoifelle avoit toujours eu une antipathie mortelle avec la défunte, & par conféquent n'aimoit guéres le petit de R... Elle communiqua fon indifférence au Baron, qui étouffant tous fentimens de nature &

`d'humanité pour complaire à sa nouvelle époufe, fit mettre fon fils, qui étoit nourri chez lui, entre les mains d'une Nourrice de Montmorency,par un de fes domeftiques, qui le fit paffer pour fon enfant, & eut la dureté de le laiffer là fept années, & de fouffrir que pendant ce tems il ignorât de qui il tenoit le jour. Près de la maifon de fa Nourrice demeuroient un Vigneron & fa femme qui avoientune fille nommée Jeannette, à peu près de l'âge du petit

petit de R.... & qui donnoit. déja des marques d'une grande beauté. Ces deux enfans avoient toujours été enfemble, & s'aimoient tant dès l'âge de quatre ans, que la moindre féparation. leur faifoit peine. Je ne m'amuferai point à d'écrire ces jeunes amours, je ne ferois que répeter ce que nous lifons dans mille Auteurs. Je dirai feulement que cette inclination crut avec leur âge fi fortement, que ce fut avec des regrets infinis qu'il fallut fe quitter à sept ans ; car les remords de confcience du Baron, joints aux follicitations de fes amis, l'avoient enfin engagé à rappeller fon fils. Il le garda chez lui & lui donna un Précepteur, mais les mauvais traitemens de fa belle mere qui le haiffoit toujours, le rebuterent tellement, qu'il n'apprit

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