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rien ; & le Baron fut contraint, au bout de fix ans, de le mettre au College de Harcourt, prefqu'auffi fçavant que quand il for tit de nourrice. Ce fut-là où je le connus; mon humeur lui ayant plû, il me fit le confident de ses peines & de fes amours, & me dit que l'abfence n'avoit pû effacer Jeannette de fon efprit, & qu'il l'aimoit alors éperdue, ment. Je ne fis qu'en rire croïant qu'il badinoit; car il me fembloit impoffible qu'un fi jeune cœur fût capable de tant d'amour; mais pour m'en convaincre il me pria, puisque j'avois plus d'argent que lui, de vouloir le mener à Montmo renci afin que nous puiffions voir cette belle. Nous y allâmes en effet, en ayant obtenu la permiffion de mon Précepteur. Je vis, je crois, le chef

d'oeuvre des cieux. Jeannette étoit une beauté accomplie qui avoit l'humeur enjouée & d'affés belles manieres pour une Payfanne. Il feroit difficile d'exprimer le plaifir de nos deux Amans, de fe revoir après fept années d'absence; car Jeannette avoit égalé M. de R.... en constance & en fidélité : cependant elle parut bien allarmée de fon changement de condition qui la faifoit défefpérer de pouvoir jamais s'unir à lui, pensant bien que le Baron ne voudroit point confentir que fon fils époufât une Paysanne; mais il la raffu ra fur les craintes, & lui jura de n'aimer qu'elle jufqu'à la mort. Helas ces réjouiffances finirent promptement; car dès que le Soleil commença à baiffer, il fallut remonter fur nos chevaux pour retourner au Col

lege. Cette entrevûe rendit M. de R... plus trifte & reveur qu'il n'avoit jamais été ; la compagnie de fes camarades lui devint même à charge, & il ne converfa plus qu'avec moi, encore notre entretien ne rou

loit-il que fur Jeannette, qu'il m'affuroit vouloir poffeder à quelque prix que ce fût, malgré l'inégalité de leur condition. Telle étoit la fituation du cœur de M. de R.... quand je Jortis du College deux ans après notre promenade à Montmorency. Les malheurs qui m'arriverent ne me permirent pas de le fréquenter davantage; & ce fut avec une furprise extrême que je le vis entrer un jour précipitament chez la Marquife couyert d'un habit de livrée, pour éviter la fureur d'un homme qui le poursuivoit l'épée à la

main. J'étois alors par hazard dans la cour: fa frayeur ne l'empécha pas de me reconnoître. Sauvez-moi, me dit-il en tremblant & hors d'haleine. Ah! mon cher de P.... je fuis perdu fi cet homme m'attrappe. J'eus beau faire réflexion fur l'affaire que cela me feroit auprès de la Marquife, qui à ce bruit s'étoit mife à la fenêtre ; je le conduifis & enfermai dans ma chambre, puis descendis répondre à celui qui couroit après lui; il venoit d'entrer auffi & faifoit en bas un bruit effroyable. Il me prit au collet fitôt qu'il me vit, & fans refpect pour la maifon où il fe trouvoit, il me menaça de me tuer moi-même, fi je ne lui rendois fur le champ ce jeune homme qu'il appelloit fon fils. Comme il me parloit

encore, je vis la Marquife dans la cour, ce qui me retira d'embarras. Elle parut d'abord irritée du défordre qu'il avoit caufé dans fa maifon par fon entrée tumultueufe, puis s'étant radouci elle le pria de monter à fon appartement, pour l'inftruire des raifons qu'il avoit de pourfuivre ce domeftique. Pendant ce tems j'allai trouver mon ami qui étoit revenu de fon trouble, pour sçavoir auffi de lui tout cela. Il y a deux mois, me dit-il, que Jeannette - demeure chez Monfieur de Luf fac. Huit jours après fon arrivéc à Paris le garçon du portier d'Harcourt, qui comme vous fçavez fe chargeoit de lui faire tenir par la pofte mes lettres & de recevoir les fiennes ; me vint dire de fa part qu'elle demeuroit là, & que je pourrois lui parler

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