loger chés le mauvais Hôte qui m'avoit jetté dans ce labyrinthe là, comme ils foupoient avec lui, la conversation tomba fur les voleurs, & il leur apprit mon histoire, qu'ils écourerent avec d'autant plus d'attention, qu'ils connoiffoient mon innocence; car ces perfonnes, qui le jour de mon accident venoient de Paris, paffant à cheval une demie-heure après-moi, par l'endroit où j'avois vû Varnot, entendirent tirer un coup de piftolet prefqu'à côté d'eux, ce qui leur caufa d'abord un peu d'émotion ; cependant comme ils étoient deux, ils s'avancerent un peu & virent ce miferable, qui, quoiqu'étendu par terre fans vie n'avoit pas quitté le piftolet. Craignans que s'ils parloient de cela dans la Ville on ne les

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foupçonnât d'avoir fait le coup, ils garderent alors le filence; mais quand ils fçurent que j'étois fi vivement poursuivi à ce fujet, brulant de faire éclater mon innocence, ils allerent le foir même apprendre ce qu'ils fçavoient au Juge, qui les pria de comparoître à l'audience le lendemain, afin de faire écrire leurs dépofitions par fon Greffier. On m'élargit le jour même -de la prison, mais on ne me rendit point ma bourse; car comme les biens de Varnot avoient été déclarés confifqués au profit du Roi, il fut jugé que les foixante louis devoient en faire partie: on me donna feulement, par forme d'aumône, deux louis que j'employai à me faire guérir des fiévres que j'avois gagnées dans la prifon où j'étois refté deux mois entiers,

& où j'aurois demeuré un an fans la déclaration de ces Voïageurs. Mantes m'étoit trop odieux pour que j'y fiffe un plus long séjour j'en fortis donc deux jours après mon élargiffement, peu envieux du résultat de l'affaire de l'Huiffier qui empiroit tous les jours, convaincu d'avoir cû part au meurtre d'un Gentilhomme, qui étoit le crime dont Varnot étoit coupable, & m'allai comme je viens de dire, faire guérir à fix lieues de-là. J'étois las de demander ; je craignois au furplus, que fi je continuois cette profeffion, il ne m'arrivât encore quelques affaires pareilles à celle de Mantes. Je me confacrai donc au fervice d'un particulier, & allai à Rouen, où la maifon d'un bourgeois & de fa femme, âgés enfemble de trois demi-ficcles,

fut mon azile: il falloit être à la fois dans cet endroit, Intendant, Sécretaire, Femme de Chambre, Cuifinier & Laquais; ils crurent me parer bien richement, en me couvrant de trois rideaux de ferge verte criblés de trous, qu'ils firent tailler en habit, & qui me fit plûtôt paffer pour un Marquis que pour Domestique. Leur table & la mienne font curieuses à décrire: ils dînoient avec une legere foupe, & mangeoient le foir le bouilli; on ne voyoit chez-eux jamais de vin, finon les Fêtes & Dimanches. En maigre, un très-petit plat de legumes & rien de plus, tant à dîner qu'à fouper; qu'on juge maintenant de la fucculence des mets dont fe repaiffoit leur ferviteur ; une livre de pain fec chaque jour qu'on avoit foin de pefer; pour

de l'eau ils en étoient prodigues; les bonnes Fêtes cependant, on ajoutoit à mon frugal ordinaire, un & quelquefois deux petits morceaux de lard qu'on tiroit d'une fouriffiere où ils avoient fervis pendant plus d'un mois d'appas à des fouris, qu'un chat voisin, infiniment plus heureux que moi, crocquoit: c'eft de cette nourriture que j'empruntois le fouffle qui m'animoit. Paffons à mes fonctions : le matin je commençois par balayer deux chambres, dont les meubles faifoient la principale ordure, étans fi vieux & pourris qu'ils tomboient en pouffiere, & diminuoient à vûe d'œil; battois enfuite un habit ou plûtôt une méche, que l'agitation de la baguette enflammoit prefque. A dix heures c'étoit le tems le mieux employé ; je li