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fois la vie du Saint dont on folemnifoit la fête. Je réglois enfuite mes comptes & écrivois les lettres s'il étoit neceffaire; & l'après-midi, ma Maîtrefle, malgré fon extrême caducité, me promenoit dans une infinité de maifons, où elle faifoit admirer mon bel habit vert & mon air de Page. La journée fe terminoit par la prière qui fe faifoit en commun, & l'on m'envoyoit coucher dans la cour deffous l'escalier ainfi qu'un fecond Alexis. Combien avois-je de gages pout tant d'exercice dix écus. La prifon de Mantes & cette condition me dégouterent du monde, & je formai le deffein de m'aller enfermer pour toujours dans le faint Monaftére de la Trappe, dont j'avois entendu publier tant de merveilles, afin de tâ

cher par mes prieres d'appaifer la colere du Seigneur, qui fembloit avoir répandu fa malediction fur notre famille. L'austérité de ces Pénitens ne m'épouvantoit point, car je ménois une vie certainement encore plus auftére. Je demandai donc au bout d'un an mon congé, & me rétirai de Rouen avec dix écus, reffemblant plûtôt à un fquelette qu'à une créa ture vivante, & fi foible que moindre vent m'ébranloit. Je me trainai cependant comme je pus, & je n'étois plus éloigné que d'une journée de la Trappe, quand un foir je fus furpris d'une pluie qui me perça jufqu'aux os. J'étois en pleine campagne, & la nuit qui pour furcroit de malheur s'avança, m'ôta toute espérance de gagner le plus prochain Vil

le

lage. Comme je régardois de tous-côtés pour découvrir une rétraite, j'entrevis à travers plufieurs arbres une foible lumiere, qui paroiffoit être fort loin. Je tournai auffi-tôt mes pas vers cette étoile falutaire, & arrivai après bien des peines & des détours à la porte d'un hermitage, bâti au pied d'une haute montagne, & qui pour la difficulté de fon accès eut volontiers paffé pour une petite fortereffe. Je heurtai ; un vénérable vieillard vint m'ouvrir, qui prenant pitié de moi me fit entrer dans une falle très-propre, au milieu de laquelle étoit pendue une lampe d'où prove noit la lumiere que j'avois vûe de fi loin. J'admirai l'air refpccable de mon hôte, qui portoit un habit blanc & un gros chapelet, & paroiffoit chargé

d'années

d'années, aïant une barbe blanche defcendant fur fa ceinture, il alluma un grand feu pour me fécher, me fit très-bien fouper, & me conduifit dans une chambre voifine de la fienne où je paffai la nuit dans un très-bon lit. Je comptois le lendemain prendre congé de ce charitable Hermite, après l'avoir humblement remercié, mais il ne voulut point me permettre de le quitter, & il m'engagea à refter quelques jours & à lui apprendre qui j'étois & où j'allois. Sa bonté exigeoit de moi trop de reconnoiffance pour lui refufer fa demande que je fatisfis & lui contai, fans en obmettre un feul mot tout ce qui m'étoit arrivé depus ma naissance. Il faut avouer, me dit ce bon-homme, qui m'avoit écouté avec attention, & étoit éton

E

né de la diverfité de perfonna ges que j'avois déja joués, que vous avez été jufqu'à préfent bien malheureux. J'ai lû & oüi beaucoup d'autres hiftoires que la vôtre, mais pas une qui fût remplie de tant d'adverfitez. Je n'approuve pourtant point du tout le deffein que vous avez d'entrer à la Trappe, & pendant que je ferai avec vous, je ferai ce que je pourrai pour vous le faire perdre: il faut avant d'embraffer un genre de, vie fi pénible, s'éprouver des années entieres, & fouvent en-. core après l'avoir fait,on en con-. çoit d'inutiles regrets, qui ne tendent qu'à perdre l'ame loin de la fauver. Vous croyez, dit-il, être le feul à qui il foit. arrivé des malheurs ; mais fi vous voulez m'écouter, demain vous connoîtrez que je ne fuis

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