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& de deux fils, l'un âgé de quinze ans & l'autre de douze ; je fuis ce dernier. Il fixa fa demeure à Paris, où fes immenfes richeffes le firent bien-tôt diftinguer. Chacun tâcha d'avoir accès chez lui, particulierement beaucoup de flateurs ; mais il fçut les éloigner, & ne fe referva qu'un petit nombre d'amis qu'il crut les plus fideles : mon frere & moi fûmes placés au College de Harcourt pour nous perfectionner dans la fcience des belles lettres qu'on nous avoit déja enseignée dans notre patrie. Ce bon pere vivoit paisiblement & paroiffoit fe porter à merveille quand la mort vint le surprendre au milieu d'un repas qu'il donnoit à plufieurs de fes amis, quatre ans après fon établissement à Paris ; malheur qui remplit la maison de deuil, & auquel fucceda avec une rapidité incroyable une suite d'au

tres qui ne finirent que par notre ruine totale. La défolation de ma mere,qui pour ainfi-dire fe voyoit ' feule dans un Pays inconnu, fut fi grande, qu'on craignit pour fes jours. Elle confia l'adminiftration de fes biens à un nommé de Saint

Varte hypocrite, dont la fauffe vertu avoit féduit mon pere, qui l'avoit toujours véneré comme un Saint; il accepta fans peine cet emploi, & vint même fous prétexte d'y vaquer plus à loifir demeurer au logis. Ma mere qui fe piquoit de générosité, lui offrit au bout de quelques jours un riche préfent, lui promettant encore davantage lorfqu'il auroit arrangé toutes fes affaires ; mais il ne voulut rien accepter,bien qu'elle l'en preffât vivement. Ma mere eut lieu d'être étonnée d'un tel défintereffement qui augmenta de beaucoup le crédit qu'il avoit fur fon

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efprit, & le fit parvenir au but qu'il défiroit.

Depuis que cet homme étoit au logis, on remarquoit qu'il perdoit chaque jour quelque chofe de fa pédantefque gravité, qu'il s'habilloit d'un goût plus galant, & que lorfqu'il parloit à ma mere, il affectoit certains airs tendres & doucereux peu convenables à la dévotion qu'il paroiffoit avoir. Jamais elle n'avoit fait attention à -ces bagatelles,qui cependant devinrent férieufes, ou plûtôt elle avoit feint de ne s'en pas appercevoir, dans l'efperance peut-être de ce qui arriva peu après ; car un foir qu'ils avoient foupé feuls, de SaintVarte las de fe contraindre fut plus gay qu'à l'ordinaire, tint même plufieurs difcours peu modeftes, qui véritablement effacerent en un moment l'opinion qu'avoit fait naître dans l'efprit de ma mere fon

hypocrifie, mais dont elle ne fut point offenfée. Ravi de la voir fi traitable, il acheva ce qu'il venoit de commencer fi heureusement, & eut la hardieffe de lui faire en même temps une déclaration d'amour & des propofitions de mariage qu'elle écouta fans s'émouvoirdavantage. Helas! elle ne fongeoit pas qu'un hypocrite eft capable des plus grands crimes; la conjoncture étoit cependant délicate: car acquiefcer à cette demande étoit infulter aux manes de mon pere,à qui elle avoit juré de vivre dans le célibat pour l'y pleurer éternellement ; n'y point foufcrire au contraire, étoit manquer de reconnoiffance envers un homme auquel elle prétendoit avoir de grandes obligations, qui d'ailleurs, & ce qui eft à confiderer, étoit beau, affez jeune & bien fait. Ces dernieres raifons fu

rent les plus fortes, & ma mere facrifia à ce trop heureux coquin la mémoire d'un époux qui l'avoit fi tendrement chérie ; & pour éviter le retard qu'euffent caufé les réflexions qu'elle auroit pû faire, ce beau mariage fut conclu,célebré & confommé en huit jours,& au bout de huit mois de veuvage. Avant de poursuivre ces Memoires, il eft,je crois, à propos de parler un peu des mœurs & de la condition de de Saint-Varte.

Il étoit fils d'un très-pauvre Gentilhomme de Dijon, auquel ayant donné dans fa jeuneffe de grands fujets de plaintes, & craignant le jufte châtiment qu'il méritoit, il s'engagea dans l'Infanterie & fut envoyé à Arras où il étoit, lorfque les Efpagnols furent obligés d'en lever le fiege en 1654. Il fervit fept années, & ne montra pendant ce tems les preuves de fon

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