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avoit été ferain, commença à fe couvrir de nuages épais, & le vent changea. Nous entendîmes retentir les airs d'une multitude infinie de cris horribles, femblables au croaflement des corbeaux, qui nous parurent d'un très-finiftre prelage, & qui nous infpirerent une terreur redoublée par la fureur des vents dont la mer fut agitéc fubitement, le tonnerre fe fit entendre avec un bruit cffroyable, & il ne nous fut plus permis de nous voir qu'à la fueur de mille éclairs qui partoient rapidement tout le monde perdit la tramontade, l'un pleuroit fa femme & fes enfans, qu'il laifloit en proïe à la mifére; l'autre fe confeffoit à fon ami, qui n'étoit pas plus affuré que lui; mon pere deteftoit fon avarice, & les Ma

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Patron Zarelli, Renégat Italien & Capitaine de Vailleau, lequel me préfenta, malgré mes inftances, au Bafla dès que j'eus recouvré la fanté. Cet homme, dont la hauteur déméfurée & l'extrême laideur me firent trembler, me trouva de fon goût, & devint malheureusement amoureux de moi, dès la premiére entrevûe. Je me contraignis devant lui autant qu'il me fut poffible, je lui contai mes infortunes, & le fuppliai les larmes aux yeux, de ne point abufer de ma trifte fituation & de me renvoïer dans ma Patrie. Mais loin de fe rendre à mes prieres, il me fit entrer dans fon Serrail, où il emploïa pendant quinze jours les menaces & les careffes pour me faire confentir à fes defirs. Ma résistance qui eûr rebuté tout

autre, ne fit que l'enflammer davantage; & comme il m'aimoit trop éperduement pour devoir à la violence les faveurs qu'il vouloit obtenir de moi, il crut que les appas féduifans des grandeurs vainqueroient mon obstination ; il fit donc pu blier par tout fon Royaume, que j'avois changé de Religion, (ce qui étoit faux) & qu'il alloit m'époufer. Cette grande nouvelle occafionna une infinité de remontrances que lui firent la plupart des Seigneurs de fa Cour, qui perdirent leur tems: c'eût été trop, fi j'euffe perfifté dans mon refus après ce qu'il venoit de faire ; je confentis donc à l'époufer folemnellement, après avoir obtenu la permiffion de lui, de faire fecretement profeffion de la Religion de mes peres. Tout le mon

de murmura de cette alliance fi inégale; fon Vifir fut même alfez hardi pour prendre les armes contre lui, & faire foule-, ver une partie du peuple; mais il, réduifit les rebelles, & pour fervir d'exemple, fit enfermer le Vifir tout vivant, dans un fac de cuir, que l'on jetta dans la Mer. Ce ne fut qu'après cette, grande victoire, que je lui açcordai la derniere faveur, plûτότ par reconnoiffance & par crainte, que par inclination; car jufqu'à prefent je n'ai pû lui accorder mon amour, quoique depuis quatre ans que je fuis renfermée dans ce Serrail, il ne m'ait comblée que des faveurs les plus fingulieres, & même honorée de la dignité de Sultane Favorite. J'ai toujours cherché l'occafion favorable de ménager des intelligences avec quel

quelque Efclave Chrétien; mais je n'ai pû y parvenir, & ce n'est pas fans une fatisfaction extrême que je vous ai vû il y a quinze jours, emploïé à la chaffe des mouches dans le jardin du Baffa, fçachant qui vous étiez. J'ai été une fois avec Zara, la plus chére de mes Esclaves que vous voyez, dans votre jardin, pour vous y entretenir. mon petit Maure ayant fçu par adreffe fe procurer la clef de la porte du Serrail qui y donne ; mais comme on tremble toujours lorfque l'on fait quelque chofe en fecret, j'ai cru être furprife, vous ayant entendu remuer près de moi, ce qui m'a fait rentrer très- précipitamment dans le Serrail, où j'aire connu que ma frayeur étoit vaine, puifque perfonne ne s'étoit apperçu de mon absence.

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