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CARLIN à Dorimon.

Pour fe diftraire de votre idée; & cela marque qu'elle vous craint.

NERINE.

Ce n'eft pas tout. Si vous voulez que je vous parle vrai, j'ai en tête qu'elle aime Arifte.

Mon Maître ?

CARLIN

DORIMON.

Un homme de foixante & dix ans ?

NERINE.

La chofe ne paroît pas naturelle. Mais Arifte eft & jovial; il la fait rire, & les femmes aiment qu'on les amufe.

gay

CARLIN..

Peut-on les amufer, quand on a foixante & dix ans?

NERINE.

Ce qu'il y a de certain, c'eft qu'elle lui écrit fort fouvent.

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Prefque tous les jours; & fes Lettres, comme les Réponfes qu'il lui fait, font toûjours bien cachetées.

CARLIN.

C'est qu'elle fçait que tu es curieuse.

NERINE.

Pas tant que tu es jaloux.

DORIMON.

Elle aimeroit Arifte! Je ne fçaurois le croire.

CARLIN.

Bon, Monfieur, c'est une vifion de Soubrette. Si cela étoit, mon Maitre me l'auroit dit ; il ne me cache rien. Je ne vois pas à la verité les Lettres, qu'il écrit à Florife, ni celles qu'il en reçoit ; mais je fuis témoin qu'il rit à gorge déployée, lorsqu'il compofe les unes,& qu'il lit les autres. Cela eft trop gay pour être de l'amour.

NERINE.

Leur amour eft gay, parce qu'il eft content.
CARLIN.

De l'amour content! Hé, où y en a t'il, ma pauvre Nerine ?

DORIMON.

Mais, Carlin, tu te donnes pour le Confident de ton Maître. Ne t'a-t'il jamais rien dit de ce que contenoient des Lettres fi fréquentes?

CARLIN.

Non, parce que je ne me fuis pas foucié de le fçavoir. Je ne fuis pas curieux, moi. Il écrit, il est le maître. On lui répond; qu'est-ce que cela me fait ? Rien n'eft plus beau que la liberté ; il me la donne & je la lui laiffe. Nous vivons fur ce pied-là enfemble; ce font nos conditions, & fans cela, en verité, je le planterois-là, ou il me mettroit à la porte; il n'y a point de milieu,

DORIMON.

Je donnerois cent Louis pour débrouiller cette énigme.

NERINE à part

Cent Louis! Ah la belle proye!

DORIMON.

Tâche, Carlin, de me rendre fervice

CARLIN.

Contre mon Maître? Cela n'eft pas pratiquable. D'ailleurs, je ne me mêle point des affaires des autres. Je vous l'ai déja dit; avec moi tout le monde eft libre, Epoufez Florife, ne l'épousez pas; cela m'eft égal; je n'y prétends rion. J'ai ma femme, & c'eft en verité plus qu'il ne m'en faut.

NERINE.

Mais voyez un peu cet impertinent, qui ne veut pas s'interreffer pour un auffi Galant-homme! Allez, Monfieur, laiffez-le-là, & repofez-vous fur moi. Je ferai jouer tant de refforts, que je parviendrai à demêler l'intrigue.

CARLIN.

Soit; encore un coup, je ne gêne perfonne.

DORIMON.

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Je m'abandonne donc à toi. Nerine. Examine Arifte & Florife, & fois fure d'une reconnoiffance égale à tes fervices, Adieu, je vais donner le bon jour à ta Maîtreffe, & cours enfuite enfevelir chez moi mon amour, mes foupçons & mes allarmes.

SCENE III.

CARLIN, NERIN E,

NERINE.

A S-tu perdu l'esprit de ne vouloir pas obliger un honnête homme comme Dorimon, qui promet de nous procurer de quoi vivre ensemble à notre aise, fans être obligés de fervir davantage?

CARLIN.

Oh, parbleu, voilà une jolie récompense. Vivre enfemble! La propofition eft bien attrayante.

NERINE.

Qu'est-ce à dire ? Tu ferois faché de renouer notre ménage?

CARLIN.

Il étoit fi heureux & fi tranquille !

NERINE.

Tu aimes mieux être feparé de moi ?

CARLIN.

Hé,parfembleu, eft-ce que tu ne l'aimes pas mieux auffi? Tu fçais quelle vie nous avons menée fous le même toît: Le bruit de notre intelligence a cent. fois reveillé tout le quartier aux dépens de nos plus beaux meubles. Auffi le moyen d'y tenir ! Etre toûjours vis-à-vis l'un de l'autre, & n'avoir à fe dire que ce qu'on s'eft dit mille fois! Il faut paffer le tems: On eft de mauvaife humeur, parcequ'on s'ennuye;. on fe querelle, parceque cela amufe; & l'on fe bat parce que cela foulage. Cette fituation-là n'eft-elle pas bien gracieufe? Mais à préfent, quelle difference! Mariés comme fi nous ne l'étions pas, nous fommes nourris, logés & vétus, fans qu'il nous en coûte rien. Nous nous voyons quand cela nous fait plaifir nous nous quittons quand le plaifir nous quitte; & tout cela prefque à la derobée,& avec un air de myftere qui eft l'affaifonnement de l'amour : Enfin nous n'avons des Maris que le nom, & des Amans que les douceurs,

NERINE..

Tu ne veux donc pas revenir avec moi ?

CARLIN.

Non, ma chere.

NERINE.

C'en eft affez. Mais tu me le payeras.

CARLIN.

A la bonne heure. Je me fens affez de fermeté pour braver tous les orages.

NERINE.

Je fuis bien malheureuse de t'aimer.

CARLIN.

C'est une juftice que tu me rends.

NERINE.

Et d'être trop honnête femme.

CARLIN.

Seroit-ce te rendre justice que de le croire?

NERINE.

Quoi, infolent; tu oferois....

CARLIN.

Voilà ta bile qui s'échauffe, & il n'y a rien -ci à caffer qui foit à nous. Adieu, ma tendre moitié : J'attendrai vos ordres pour venir vous rendre mes hommages.

SCENE I V.

NERIN E.

Es vilains hommes que les Maris; les Maris ; & qué l'on fait bien de fe venger d'eux ! Aimez ces petits Meffieurs, ils vous méprifent. Haïffez-les, ils fe plaignent. Non, il n'y a point d'autre parti à prendre avec ces animaux-là, que de feindre & de les punir.

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