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Ceux qui fe piquent de favoir un peu l'état de l'Antiquité la plus reculée, ne s'étonneroient peut-être pas d'apprendre que le premier de tous les Auteurs, que nous ne connoiffons proprement que fous le nom de Moyfe, eût été appellé Shemeja par les Ifraëlites; Taaut, Adonis, Thammuz par les Pheniciens de divers endroits; Marnas par ceux de Gaze en Paleftine, ou par les Philiftins; Azizus & Monimus par ceux d'Emefe en Syrie; Theut, & Thoyt, Ofiris, Ofarfiph ou Arfathes, Serapis & Apis, Mnevis ou Mneuës, Orus & Anubis, Phthas ou Aphthas par les Egyptiens, felon la diverfité de leurs cantons; Admofis ou Tetmofis, Tifithes, &c. par quelques Peuples de l'Arabie & de la côte voifine de l'Egypte; Typhon, Zoroastre, Pan, Apollon, Bacchus, Vulcain, Priape, Fromethée, Minos, Orphée, Esculape, Protée, Tirefias, Janus, Evandre (i), & tout ce qu'on voudra, par les Peuples différens de l'Afie Mineure, de la Gréce & de l'Italie. Mais il feroit difficile de ne point faire paroître quelque furprife, de voir que cet homme ait porté au-dedans des quatre murailles de fa maifon presque autant de noms différens, qu'il y avoit de perfonnes dans fa famille: qu'il ait été nommé Chabar par fon pere Amram, Jecothiel par fa mere Jochabed, Jared par fa foeur Marie, Abizannach par fon frere Aaron, Abigedur par fon grand-pere Caath, & Abizuc par fa nourriffe.

Cet éxemple que je vous produis des différentes dénominations de celui que nous confidérons comme l'Auteur des Auteurs, le chef & le modéle des Théologiens, des Politiques, des Jurisconfultes, des Historiens, & des Poëtes-mêmes, pourra vous perfuader que la fixation des noms n'a point été reçûë au nombre des établiffemens de la fociété humaine. Mais la crainte de trouver des Cenfeurs qui n'auroient pas autant de déférence que nous pour l'autorité des favans hommes qui ont avancé ce que je viens d'allé

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'Il est vrai que Moyfe n'ait pas été le premier des hommes à qui l'on ait changé le nom, les Auteurs qui ne font qu'une fort petite portion du genre humain, n'auront pas fujet de fe vanter d'avoir introduit l'ufage de ce changement des noms parmi le refte des hommes. Les exemples que nous avons de ce changement dans la perfonne d'Abraham & de Sara, doivent leur faire connoître qu'il faut remonter jusqu'à Dieu comme au premier Auteur de ce changement, & comme à celui qui par la fouveraineté de fa domination fur les hommes auroit. pû, fe réserver le droit de leur diftribuer & de leur changer les noms. S'il fe trouvoit quelqu'un qui voulût chercher encore quelque origine plus haute de ce changement, on pourroit le conduire peutêtre jusqu'à la fameufe entreprise des hommes à la Tour de Babel, & y fixer l'époque de ce changement. Il n'est pas probable qu'il fe foit fait alors une révolution générale dans la dénomination des créatures & des chofes destinées à l'ufage des hommes, & que cette révoJution

1 Tous les différens noms appliqués ici à Moy- le Poëte enjoué lui conteftoit en ces termes: fe, font tirés de la Démonftration Evangélique du favant Mr. Huët, à qui on adreffa autrefois une Epigramme Grecque là-deffus, par laquelle on lui paffoit toutes ces dénominations à une près, que

Ημῖν μυριέμορφον ἀπέπλασας, ὦ γαθέ, Μωσῆν, Ε'ς Λίνον, ἐς Φοίβον, κεῖνον αμειψάμεν

Kal

lution ne fe foit point étendue jusqu'aux noms des mêmes hommes. Ceux qui ne voudront pas y faire d'exception, feront au moins obligés de reconnoître que Dieu aura encore été l'Auteur de ce changement, en jettant la confufion fur les Langues des particuliers, & que la volonté des hommes y aura eu moins de part que n'y en eut celle d'Abram, de Sarai & de Jacob, lorsqu'il fut question de les faire appeller Abraham, Sara & Ifraël, Mais il n'eft pas croyable que Dieu ayant fi libéralement abandonné à l'homme fon droit de nommer les créatures ait voulu retenir celui de changer les Et nous ne voyons pas que lorsque les hommes fe font mis en poflesfion de ce droit, ils en ayent été repris comme des ufurpateurs par les Prophétes, ou par aucun autre Miniftre du Seigneur. Les Hébreux qui fe font toujours vanté d'être fon Peuple choifi, n'ont donc jamais eu de fcrupule fur le changement des noms, fur tout lorsqu'il n'a point été queftion de déguisement ou d'impofture. Mais ils ont rarement ufé de cette liberté fans quelque raifon honnête ou légitime, ou du moins fans autorité; fouvent auffi la raifon & l'autorité fe font-elles trouvées unies enfemble pour faire ces changemens, comme il eft aifé de le remarquer dans la perfonne de Benjamin le Patriarche, & comme on peut raifonnablement le conclure de la varieté des noms de l'ancien Teftament jusqu'au tems des Maccabées (2).

L'ufage en étoit encore affés commun parmi les Juifs du tems de Jefus-Chrift. Quelques-uns de fes Apôtres avoient déja changé de nom avant que de fe mettre à fa fuite; & ce divin Sauveur voulut bien lui-même ajouter fon autorité à la raifon, lorsqu'il changea les noms de faint Pierre & des enfans de Zebedée. Il y auroit presque toujours de quoi traiter un point de Morale fur les raifons différentes de ces changemens, parce qu'il n'y avoit point de nom qui n'eût fon fens

Καί μιν ἐποίησας Μίνωα τε, Τειρεσίαν τε,
Ιαπετιονίδην, ἠδὲ Πρίηπον ἔτι.

Αὐτὰρ ὁ μὲν Μωσῆς ἔσω Φοιβός τε, Δίνω τις
Μίνως, Τειρεσίας, Ιαπετιονίδης.

particulier. Mais je me contente de vous renvoyer au Livre que Philon le Juif a fait fur ce fujet.

Nous avons encore des preuves de cette ancienne pratique touchant le changement des noms parmi les Nations étrangéres, où nous voyons que l'on a presque toujours joint l'autorité à la raison. Parmi les Egyptiens je vous allégue l'éxemple du Patriarche Jofeph, à qui Pharaon donna le nom de Pfonthomphanech, ou plutôt de Sophompanea (3). Je ne vous parle pas des Philiftins & des Cananéens, parmi lesquels Efau n'étoit connu que fous le nom d'Edom; ni des Arabes, de la pratique desquels le beaupere de Moyfe pourroit être le témoin pour la diverfité des noms qu'il portoit. Les Affyriens & les Babyloniens n'étoient pas moins dans cet ufage, comme il paroit par les noms de plufieurs de leurs Rois. Ils l'étendoient même jusqu'aux étrangers, foit par un droit de conquête, foit pour leur bon plaifir, autant qu'on peut le conjecturer par le changement des noms de Daniel, d'Ananie, d'Azarie & de Mifaël. Il feroit inutile de vouloir attribuer cela au changement de pays ou à la différence des Langues, parce qu'on ne s'affujettiffoit pas pour l'ordinaire à conferver dans le nom fubftitué la fignification de celui que l'on faifoit quitter.

Le changement des noms n'étoit pas moins fréquent parmi les Phéniciens, les Arcadiens, les Perfes; & il ne regardoit pas moins les femmes que les homines, autant qu'il a paru par l'éxemple des Reines Efther, Didon, Tanaquil, & par celui de Nicoftrate mere du Roi Evandre. Au moins feroit-on mal reçu des Savans, fi l'on ofoit avancer qu'Ediffe & Elife, Cæcilia & Carmenta ne font pour la fignification qu'une même chofe avec Efther & Didon, avec Tanaquil & Nicoftrate dans des Langues différentes (4). Le commerce des Perfes avec les Grecs nous a appris la coutume qu'avoient

Μὴ δ ̓ αὖ μὴ δὲ Πρίηπς, ἐπεὶ τόγε μᾶλλον Αδάμου, *Ος πρότερο πάντων ἔπλετο κηποφύλαξο

2. V. Jerobaal, Ifaï, &c.

3 Zaphotpanoah.

4 Ctelias ap. Herod. Juftin. 1, 10,

voient les premiers de faire changer de nom aux perfonnes qu'ils élevoient à la Royauté. Le nom qu'on leur donnoit ne paffoit pas moins pour une marque de leur nouvelle dignité, que le fceptre & le diadème.

Il feroit aflés inutile de paffer aux Grecs & aux Romains, pour donner une fuite continuée de cette liberté de changer les noms. Perfonne n'a plus fait valoir cette pratique que ces peuples: mais il eft aflés rare de trouver parmi eux aucun changement de nom qui n'ait été la marque ou la fuite de quelque changement précédent dans la perfonne, foit pour la condition, foit pour le lieu d'un nouvel établiffement. La chofe feroit infinie, s'il falloit la déduire par un détail. Souvenés-vous, Monfieur, qu'une apothéofe pour faire paffer les gens à l'immortalité, qu'une adoption pour faire changer de famille, qu'un affranchiffement, une réception aux droits de Citoyen ou aux Charges, enfin qu'une fimple transmigration de lieu, un teftament fait en faveur de quelqu'un, une fucceffion pure & fimple, étoit un prétexte ordinaire pour le changement des noms (1). Je fouhaiterois que l'on pût retrouver le Livre qu'un Grammairien d'Alexandrie, nommé Nicanor (2), avoit compofé fur ces divers changemens de noms parmi les Grecs. Ce feroit avec plaifir que je pourrois vous y renvoyer, comme j'ai fait au fujet de Philon pour ce qui regarde l'ufage des Hébreux.

Les Chrétiens n'ont rien retranché de la liberté des Grecs & des Romains fur ce fujet, fi l'on en excepte peut-être le cas de l'apothéofe, dont ils n'ont pas jugé à propos de fuivre la méthode dans la canonifation des Saints pour des raifons très importantes. Il faut avouer néanmoins que l'on n'a point fait difficulté de changer les noms à divers Africains, Perfans, & autres Saints des pays où les Langues Grecque & Latine n'étoient point en ufage. Mais on n'a point eu d'autre vûë en cela, que d'ôter l'air de la barbarie qui fe trouvoit dans leurs noms

Jupiter, Indiges, Quirinus, Archias, Antipater, Demetrius, Lucumo, Tarquinius.

& qui embarraffoit la prononciation des Fidéles. Il fe trouvera fans doute d'autres Saints encore, à qui les noms ont été changés dans les derniers fiécles: mais cela n'eit guéres arrivé qu'à des Martyrs dont les noms s'étoient perdus dans les Catacombes ou dans d'autres fépulchres communs, où la confufion étoit presque inévitable.

Si les Chrétiens paroiffent avoir ufé de cette liberté avec encore plus d'étenduë que ces Anciens, dans leur batême ou leur adoption divine qui comprend auffi l'ufage de la Confirmation, dans leurs Profeffions Religieufes, dans leur élévation à l'Episcopat & au fouverain Pontificat; on peut dire qu'ils en ont reçû les premiers éxemples des Romains, des Grecs, ou des Juifs dans quelqu'un des cas que je vous ai rapportés.

CHAPITRE III.

Ufage particulier des Auteurs dans la pratique de changer leurs noms. De la mode de mettre fon nom au commencement du texte ou dans le titre du Livre. Différence des Anonymes, des Pla giaires & des Impofteurs d'avec les Pfeudonymes.

J

Usques ici nous n'avons rien remarqué qui puiffe regarder en particulier les Auteurs à l'exclufion du refte des hommes dans l'ufage de changer fon nom. On ne peut point nier qu'il n'y en ait eu plufieurs de leur nombre dont les noms n'ayent éprouvé les effets de la viciffitude & de l'inftabilité commune. Mais il faut avouer que ce n'a point été en qualité d'Auteurs qu'ils ont fouffert du changement, ou qu'ils ont adopté de nouveaux noms.

Melefigene paffoit déja dans le monde pour un excellent Poëte, pour un grand Théologien parmi les fiens, avant qu'on fe fût avifé de lui donner le nom d'Homere. Ce n'eft point par aucune relation

à

2 Le Grammairien Nicanor dont il eft parlé là, étoit de Cyrene, & non pas d'Alexandrie. Ni

à fes Ecrits qu'il s'eft trouvé qualifié de ce nouveau nom. Sans la perte ou l'affoibliffement de fa vûë, ou même fans l'avanture qui le fit prendre en ôtage à la guerre qui fe fit de fon tems entre ceux de Smyrne & de Colophon; ou enfin fans la confiance avec laquelle il fit le Prophéte & fe rendit caution de l'Oracle pour cette guerre, nous l'appellerions peut-être encore aujourd'hui Melefigene.

Ariftocles ne fongeoit à rien moins qu'à fe faire connoître fous un autre nom que le fien. L'équivoque du nom de Platon, qui tombe pour le moins autant fur la dimenfion de certaines parties du corps, que fur l'étendue de l'esprit, ne doit pas nous déterminer légérement à croire qu'on ne lui a ôté le nom d'Ariftocles pour celui de Platon, qu'afin de nous prévenir d'abord fur la grandeur de fon courage & la majefté de fon discours. J'ajouterai qu'Ariftote n'a point eu intention de fe départir de l'ufage commun à toute la terre, lorsque l'affection & l'estime qu'il avoit pour fon cher Disciple Tyrtamus le portérent à lui changer fon nom en celui d'Euphrafte, & enfuite en celui de Theophrafte. J'avoue que la grace qu'il avoit à parler & que la beau té de ftyle qui paroiffoit dans fes écrits, ont fervi de prétexte à ce changement, Mais Ariftote ne prétendoit pas le déguifer fous ces nouveaux noms. Loin de vouloir le dérober à la connoiffance du Public, fon deffein étoit de le faire connoître plus qu'il ne l'avoit été fous fon vrai nom, & de renfermer dans un mot toute l'idée qu'il prétendoit nous donner de fon mérite.

Si Caton l'ancien que l'on n'avoit connu que fous le nom de Prifcus tant qu'il étoit demeuré dans fon pays, étoit redevable à fa prudence & à fon expérience dans les affaires du nom nouveau qu'il porta toujours depuis fon établiffement dans la Ville de Rome, on ne dira point qu'il faille attribuer la chofe à fa qualité d'Auteur. Ce n'étoit point dans la compofition de fes Livres, mais

dans fa conduite particuliére, & dans le maniement des affaires publiques qu'il avoit fait principalement remarquer cette capacité & cette prudence qui lui valut le nom de Caton.

Enfin, Monfieur, je fuis perfuadé que quand le Philofophe Malchus ne fe feroit jamais fait Auteur il n'auroit pas été moins tenté de fe faire connoître aux Grecs & à toute la Poftérité fous le nom de Porphyre. L'on trouvera quelques Auteurs qui l'ont appellé Bafile dans l'intention peut-être d'approcher le nom de ce Philofophe plus près de la fignification naturelle du mot original de fon pays (1). Mais la prédilection qu'il a fait paroître pour le nom de Porphyre n'a jamais perfuadé perfonne qu'il eût fongé à demeurer caché fous ce nouveau nom.

Ces éxemples pris dans des fiécles différens font très-capables de nous faire comprendre que les changemens arrivés dans les anciens Auteurs n'avoient rien pour l'ordinaire foit dans leur motif, foit dans leur maniére qui fût deftiné à les diftinguer d'avec ceux des Perfonnes qui n'étoient pas Auteurs. Si le déguisement & l'impofture étoient en ufage, on cherchoit fouvent autre chofe que des noms pour les faire valoir.

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Les Anciens perfuadés encore plus que nous qu'il y a de l'illufion dans la penfée de ceux qui prétendent qu'il fuffit de favoir ce que l'on écrit fans fe foucier de connoître celui qui écrit, avoient foin avant toutes chofes de mettre leur nom à la tête de leurs Ouvrages. C'étoit une efpéce de caution pour ce qu'ils vouloient débiter. Dans ceux dont on n'avoit pas encore ouï parler, c'étoit un moyen de les faire connoître dans ceux qui étoient déja connus c'étoit le fondement du préjugé dans lequel on devoit lire l'Ouvrage, & l'indice de ce qu'on pouvoit efperer de fa lecture.

Nous aurions une infinité d'éxemples de cette pratique des Anciens, & en même tems plus de preuves de leur ingénuité & de leurs précautions, fi nous n'avions point tant perdu de leurs Li

vres.

κάτωρ ὁ Κυρηναῖος ἐν Μετονομασίαις, dit Athenee VII.

12.

I Malch. Melech. Roi.

vres. Mais parmi le peu de monumens qu'il nous eft resté de l'Antiquité favante, l'on trouvera toujours de quoi fe perfuader fuffisamment de cette conduite dans les éxemples que nous voyons d'Herodote, de Thucydide, de Timée, &c. L'Hiftoire d'Herodote commence indé pendamment de fon titre par les termes de Ηροδότες Αλικαρνασσήος ισορέης απόδεξις d. Celle de Thucydide par ceux de Θουκυδίδης ̓Αθηναῖος ξυνέγραψε τ πόλεμον, &c. Le Livre que Timée l'un des Maîtres de Platon avoit compofé fur la Nature commençoit par les mots de Τιμαῖος ὁ Λοκρός Tad pa, fans qu'on pût dire que ce fût le titre de fon Ouvrage.

Je fai qu'il s'eft trouvé quelques Critiques (1) dans notre fiécle & dans le précédent qui jugeant du génie & du goût de ces Anciens par celui de leur temps n'ont pas fait difficulté de les foupçonner d'un peu de vanité & de trop de complaifance pour leurs Ouvrages. Sur ces fortes de début, ils les ont crûs fusceptibles de la crainte de tomber dans l'oubli, ou de donner lieu aux Plagiaires de s'attribuer des Ouvrages fans nom dans la fuite des tems, parce qu'ils n'au roient été reclamés de perfonne. Mais ces Critiques auroient eu des penfées plus favorables touchant la pratique de ces Anciens s'ils avoient été mieux informés du caractére de leur esprit. On n'étoit pas encore entiérement déchû de cette fimplicité ancienne que l'on avoit vû regner dans les Ecrits des premiers âges; & cet ufage pouvoit trouver fon apologie dans la conduite même des Auteurs facrés, comine il feroit aifé de vous le faire remarquer par les éxemples de Salomon, d'ifaïe, de Jeremie, des petits Prophétes, & de Nehemie qui ont commencé leurs Livres par la déclaration de leurs noms & de leurs qualités.

Ce caractére d'ingénuité ne s'étoit point mal confervé dans le fiécle où la Philofophie humaine fembloit avoir paffé des Barbares ou des Orientaux chés les Grecs, je veux dire depuis la captivité de Babylone jusqu'à la guerre du Peloponefe, depuis les Prophétes jusqu'à Socrate. Les

Philofophes vivoient encore alors fans affectation, ils parloient & écrivoient encore fans artifice. Quand nous accor derions à Ciceron (2), que c'est le defir de vivre après la mort qui a porté les Philofophes poftérieurs à mettre leur nom à la tête des Livres mêmes qu'ils compofoient pour infpirer le mépris de la gloire, nous ferions toujours obligés de reconnoître dans l'expreffion de leur nom cette franchife qui ne fe trouve pas dans l'expreffion de leurs fenti

mens.

Cette pratique de commencer fon Ouvrage par fon nom indépendemment du titre eft devenue plus rare dans la fuite, quoiqu'on en trouve encore des éxemples dans les Grecs du bas Empire de Constantinople (3). Il femble qu'elle ait été laiffée aux Princes pour commencer les Ordonnances à leurs Peuples, aux Peres pour commencer les Inftructions à leurs enfans, aux Papes & aux Evêques pour leurs Bulles & leurs Mandemens; en un mot, à tous ceux qui ne pouvoient devenir fuspects de cette vanité dont on a commencé de taxer les Auteurs depuis le fiécle d'Alexandre ou celui des Ptolomées. C'est peut-être par la même raifon que les Particuliers fe font maintenus encore dans cet ufage pour les Lettres qu'ils adreffoient à leurs amis, où ils ont toujours été en droit de mettre leur nom devant celui de la perfonne à laquel, le ils écrivoient à la tête de leurs Lettres fur tout dans les Langues Grecque & Latine. On a toujours été fi éloigné du foupçon de la vanité pour ce point, que les Inferieurs n'avoient rien à craindre de ce côté-là en fe nommant les premiers lorsqu'ils écrivoient à leurs Supérieurs.

On peut dire que la mode de commencer la premiére période de fon texte par fon nom, eft devenue odieufe par l'abus de quelques particuliers, avant que d'avoir eu le tems de vieillir. C'est pour cela fans doute que les Auteurs n'ont point attendu qu'elle fût ceffée pour introduire celle de joindre leurs noms aux titres de leurs Livres. Il n'y a jusqu'ici

point

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