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Heliot. lieu de nous pourvoir contre leur autorité par les éxemples de ce que nous voyons arriver au dix-feptiéme fiécle, où certainement il eft plus difficile qu'il n'étoit au quatorziéme, de fe laiffer dupper fur le jugement d'une Science dont on fe contente d'expofer les dehors, ou les apparences fur un Théatre ou dans une Chaire.

L'ANONYME de l'an 1445 (1).

Ent ans après l'on vit paroître dans

nous parlons ici, fi nous trouvions quel- L'Anony-
qu'un qui voulût nous apprendre quelque me.
chofe de ce qui regarde fa naiffance, fon
éducation, fes emplois, ou quelques au-
tres circonftances de fa vie. Mais avés-
vous remarqué, Monfieur, qu'on ne nous
dit pas feulement quel étoit fon nom: &
comprenés-vous bien ce que c'eft que de
ne pas fayoir même le nom de celui qui
favoit tous les Arts & toutes les Sciences?
Nous pouvons donc abandonner en toute
fûreté aux Pyrrhoniens l'éxemple d'un
jeune Savant fi inconnu, & laiffer aux En-

L'Anony- 24 Caméme ville un autre prodige, qui nemis de l'étude le plaifir de décharger leur

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la

devoit faire un peu plus de peur aux bon-
nes ames, s'il eût été vrai que ce fût le
fils du Diable. C'étoit un jeune garçon,
au moins felon tout fon extérieur, & il
avoit paffé pour venir en ce monde par la
porte ordinaire à tout le genre humain (2).
On auroit eu quelque raifon de le foup-

çonner d'être quelque chofe de plus qu'un

homme, s'il eût été clair qu'il favoit par-
faitement tous les Arts & toutes les Sciences
à vingt ans. Mais ceux qui en portoient
ce jugement ne faifoient pas grand hon-
neur à leur Raifon, lorsqu'ils concluoient
de-là qu'il falloit que ce jeune homme fût
L'Antechrift, & qu'il n'eût point eu d'autre
pere que le Diable. Si nous allions don-
ner les mains à des fentimens fi burles-
ques, il n'en faudroit peut-être pas davan-
tage pour vous épouvanter, & pour vous
détourner d'aspirer à la connoiffance de
tous les Arts & de toutes les Sciences, de
crainte que vous ne devinffiés l'Antechrift.
Mais graces à Dieu, la lecture du Nou-
veau Teftament, qui étoit peut-être une
chofe inconnue à ces plaifans Critiques,
vous a donné d'autres marques ausquelles
Vous pourrés reconnoître l'Antechrift.
D'ailleurs nous ne fommes plus au fiécle
des Sots qui prenoient pour des Démons
ou pour des Magiciens ceux qui, pour fe
tirer de l'ignorance & de la barbarie de leur
tems, vouloient s'ériger en Savans (3).
Nous ferions bonne juftice à celui dont

Cet Anonyme de l'an 1445. n'eft autre que le faux Heliot de l'article précédent, ou que le véritable Ferdinand de Cordouë nommé dans ma derniére remarque. Voyés avec attention Paquier c. 39. du 6. 1. de fes Recherches, édit. de 1565. Laurent Valle dans une Epitre qui ne fe trouve que dans leRecueil intitulé Epiftola Principum, est, je pense, le premier qui

mauvaise humeur fur cet Antechrift pré-
tendu, qui n'étoit apparemment qu'un fan-
tome de Science que l'on vit paroître à
Paris l'an 1445.

PIC DE LA MIRANDE.

25 plus certain & de plus propre
pour votre fatisfaction depuis deux cens
ans, & fi l'on confidére l'abondance des
éxemples de jeunes Savans qu'ils ont pro-
duits, on fera plus curieux de voir fi nous
avons du discernement pour les trier & les
choifir, que de nous demander de la dili-
gence & de l'éxactitude pour les ramaffer.
Nous ne pouvons pas en ufer plus judi-
cieusement, qu'en mettant à leur tête le
célébre Pic Prince de la Mirande & de Con-
corde, qui vint au monde l'an 1463. La
Princeffe fa mere, qui l'avoit eu en der-
nier lieu après quatre autres enfans (4),
s'étoit imaginée aux apparences d'un Phé-
nomène de lumiére qu'on avoit apperçu
fur le toit de fa chambre durant fes cou-
ches (5), que cet enfant pourroit un jour
être quelque chofe d'extraordinaire. Une
affurance fi flateufe, qui n'étoit frivole &
ridicule que dans fon fondement, porta la
Princeffe à fe charger de tous les foins que
les meres ont coutume de partager avec
d'autres, jusqu'à ce qu'elle le mit fous la
discipline des Maîtres (6). Il y fit des pro-
grès

Ous trouvons quelque chofe de Pic de la

ait parlé de ce jeune Espagnol, & qui l'ait nommé.
2 Col. Not. ad Quint.

3 G. Naudé Apol. pour les grands Hommes accu-
fés de Magie.

4 Varill. Anecdot. de Flor, dit qu'il fut l'aîné: chan. fon que cela.

Mirande,

5. Ce ne fut pas durant tout le tems de fes cou-
ches::

Pic de la grès fi prodigieux qu'on fut tout furpris de Mirande. le voir au nombre des premiers Poëtes & des premiers Orateurs de fon fiécle dans fon enfance. Il devint outre cela profondément favant dans toutes fortes de belles connoiffances, par le moyen de deux excellentes qualités qu'il poffédoit au fouverain dégré, quoiqu'elles fe trouvent trèsrarement enfemble. La premiére étoit la pénétration d'esprit qui le faifoit marcher à pas de géant dans la carriére des études, la feconde étoit la mémoire qu'il avoit fi vafte & fi fidéle, qu'elle ne lui laiffoit rien échaper de ce qu'il lifoit & de ce qu'il entendoit de vive voix. De forte que fi fon esprit fe faifoit admirer par les conquêtes immenfes qu'il faifoit de jour en jour, fa mémoire ne méritoit pas moins d'éloges pour conferver fi-bien tant de riches acquifitions. Sa mere le deftinoit pour l'Eglife, car ce n'est pas d'aujourd'hui que les Parens par transaction tacite veulent bien donner les Cadets de leurs Maisons à Dieu, à condition qu'il leur confervera leurs Afnés pour le Monde. Le jeune Prince pour fuivre la vocation de fa mere, voulut bien aller à Boulogne étudier le Droit Canon, qui eft la grande Science du Clergé d'Italie. Il l'acquit en fi peu de tems & fi parfaitement, qu'il fit un Abregé des Décrétales où il renferma tout ce qu'elles peuvent avoir de bon avec tant d'adreffe & de jugement, que les Profeffeurs les plus confommés jugérent que c'étoit un Ouvrage d'importance (7). Son neveu Pic à qui nous fommes redevables de l'Hiftoire de fa Vie, nous aprend qu'il n'étoit encore qu'un petit enfant (8) lorsqu'il compofa cet abregé. Il avoit pourtant quatorze ans felon lui lorsqu'il fe mit à l'étude du Droit Canon. Mais cette Science ne lui paroisfant pas allés folide fous prétexte qu'il ne la croyoit appuyée que fur de fimples traditions, il tourna fes vûës ailleurs au bout de deux ans, & alla s'enfoncer dans les fe

crets de la Nature & des chofes furnatu- Pic de la
relles avec tant d'ardeur, qu'il ne tarda Mirande,
gueres à fe faire paffer pour un Magicien
dès qu'on le vid hors du chemin ordinaire
au commun des Savans. La maniére dont
il triompha de l'Envie & de l'Ignorance
lui fut très-glorieufe, auffi-bien que la gé-
nérofité avec laquelle il renonça à toutes
les Sciences vaines ou profanes (9) pour
fe donner plus particuliérement à Dieu
après avoir furmonté toutes les tentations
dangereufes que la beauté de fon corps &
de fon esprit lui avoit fuscitées. Mais com-
me cela fe trouve au-delà des bornes que
je me fuis prescrites, je retournerai fur mes
pas pour ne vous pas donner fajet de croi-
re que je vouluffe oublier les Poëfies du
Prince de la Mirande. Elles étoient les
fruits de fon adolescence, & il en avoit
compofé cinq Livres de Latines, en vers
Elégiaques. Il en avoit fait auffi un très-
grand nombre d'Italiennes : mais touché
du repentir de leur avoir donné un carac-
tére de galanterie, il en fit à Dieu un fa-
crifice univerfel d'expiation, & fit périr les
unes & les autres par le feu fans aucune
réferve, de peur de s'attirer une malédic-
tion femblable à celle de Saül (10). Voila,
Monfieur, de quoi fatisfaire à la demande
que vous me fîtes il y a quelque tems,
lorsque vous me témoigniés fouhaiter que
j'euffe parlé des Poëfies de Pic de la Mi-
rande dans le Recueil des Jugemens des
Savans fur les Ouvrages des Poëtes. Je
vous fis fouvenir alors que je n'avois pas
entrepris de parler des Ouvrages perdus
& plût à Dieu que le Public eût été affés
heureux pour faire de pareilles pertes de-
puis ce tems-là, j'aurois été dispensé de
parler de beaucoup d'autres Poëtes moder-
nes, qui par le ministére de l'Imprimerie
font venus à bout d'infecter une infinité de
belles Ames, & de perdre les deux tiers
de la jeuneffe.

Pic, après s'être purifié de la forte, pou-
voit

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Pic de la voit en toute confiance aspirer à la plus Mirande, fainte de toutes les études; auffi lifonsnous qu'il n'avoit que l'amour de Dieu dans le cœur, lorsqu'il fe donna tout en tier à l'étude des Livres facrés, & vous ne devés pas douter qu'il n'eût les mains très-pures, lorsqu'il offrit à Dieu les premiers fruits d'un travail fi fan&tifiant. Il n'avoit point encore pour lors dix-huit ans accomplis, & ces prémices ne font autres que le Traité qui porte le nom d'Heptaple, que nous voyons aujourd'hui à la tête de fes Oeuvres. Ce font des Differtations fur les fept premiers jours du Monde, contenant ce que Dieu a operé dans la Création, & la qualité du repos que l'Ecriture lui attribue au fepriéme jour. Cet Ouvrage peut paffer pour l'un des plus folides fondemens de fa haute réputation. Ce qu'il a fait depuis n'a été qu'une fuite de femblables merveilles, dont la plus grande étoit celle d'avoir trouvé les moyens de faire un faint ufage de toutes les Sciences des Gentils, des Arabes & des Juifs qu'il avoit apprifes par le fecours de douze ou treize Langues qu'il favoit (1), & de les faire fervir à la Théologie qu'il prétendoit perfectionner. Mais Dieu l'appella au milieu des vaftes projets d'un deffein fort extraordinaire qu'il méditoit contre les ennemis de la véritable Religion. Ce fut l'an 1494. le jour même que le Roi Charles VIII. entra dans la ville de Florence (2). Si les Ennemis de l'étude favent compter, ils ne manqueront pas de nous avertir qu'ils ne trouvent pas trente-deux ans de vie complets depuis 1463. jusqu'en 1494. & d'en prendre occation de faire paffer les études pour les meurtriéres de la jeuneffe. Mais les derniéres années de Pic ont valu des fiécles, & il avoit affés vécu puisqu'il étoit mûr pour l'éternité.

VERIN (3)..

Verin. 26 MICHEL VERIN étoit deux ans & demi plus jeune que Pic de la Mirande; mais il eft fon ancien d'onze.

ans entiers dans l'autre monde. Qu'il verin. foit né dans l'Ile de Minorque ou dans la Ville de Florence dont je le crois au moins originaire, c'eft une question que je n'ai ofé décider lorsque j'ai eu occafion de parler de lui ailleurs. Il est toujours conftant, que ce n'eft point au lieu de fa naiflance, mais à la ville de Rome, qu'il fut redevable de fon éducation & de fes études. Son pere Ugolin qui étoit homme de Lettres, le mena fort jeune en cette Ville, & le mit fous la discipline de Paolo Saffia de Ronciglione, qui conduifit fes études avec tant de diligence & de fuccès, qu'il le rendit docte & homme de Lettres dans fon enfance. Il avoit le génie tourné vers la Poëfie; & il en a laiffé à la Postérité des témoignages qui ne font pas moins des marques de la maturité de fon esprit que de l'abondance de fa veine. Ce font des diftiques moraux formés fur les penfées les plus exquifes, & les fentimens les mieux choifis des anciens Philofophes de la Gréce & de l'ancienne Rome. Mais on peut dire, que la Sageffe & les Proverbes de Salomon en ont fourni la meilleure partie, Quoique ce ne fût que l'Ouvrage d'un Enfant de quatorze à quinze ans, il a pourtant été jugé très-digne de la peine que quelques doctes vieillards ont prife de les expliquer, d'y faire des Commentaires, & d'en multiplier les éditions. En un mot, on l'a fubftitué dans divers Colléges d'Espagne, des Pays-Bas, & peut-être de l'Italie à celui des Diftiques anciens qui portent le nom de Caton; & fi j'ofois mettre mon propre témoignage à la fuite de celui du célébre Schott, j'ajouterois qu'on a fait à Verin le même honneur en France qu'ailleurs, & qu'il a porté pendant quelque tems la qualité d'Auteur claffique dans une Ville qui n'eft pas des derniéres du BeauvaisRoyaume. Une fi belle réputation ne pasfera jamais pour un bien mal acquis, lors-qu'on fera réfléxion fur l'excellente morale que ce jeune Auteur a débitée avec

tant de facilité : mais après tout, elle ne peut paffer que pour la feconde gloire de Verin. La premiére & la plus importan

te..

1 Varill. Anecdot. de Flor. dit qu'il favoit vingtdeux langues à dix-huit ans. C'est trop.

2 Pic mourut à Florence.

3 Voyés les Notes fur l'article 1225.

4 A. S. Peregr. Bibl. Hifp. tom. 3. pag. 397. 398. V. & Hier, Ghil. Theatr, Litter, part. 2. pag. 171. 172.

Verin, te eft celle que l'intégrité de fes mœurs & l'innocence de fa vie lui ont procurée. Comprenés-vous bien, Monfieur, ce que c'est que d'être tout à la fois Poëte de profeffion, Jeune, & Chafte? Vous avés entendu les clameurs avec lesquelles quelques vieux Poëtes fe font récriés contre un pareil affemblage comme fi c'étoit une étrange nouveauté, & un horrible attentat contre les Statuts de leur Parnaffe. Verin pourra bien un jour venir en témoignage contre eux; mais jusqu'à ce qu'ils ayent reçû leur jugement, nous tâcherons avec modestie de leur foutenir que fi, en conféquence de leur propre éxemple, ils viennent à bout de perfuader au Public qu'il eft impoffible d'allier la Chafteté & la Poëfie avec la Jeuneffe, il vaut mieux en tout

cas que la Jeuneffe fe défafle de la Poë

fie que de la Chafteté. Verin eft bien allé
plus loin que cela, & il a fait voir mê-
me contre les Médecins, nation un peu
plus terrible mais plus honorable que cel-
le des Poëtes, que la vie, quoique plus
précieufe que la Poëfie, n'eft pas même
préférable à la Chafteté. Il auroit pû au
jugement des Connoiffeurs parvenir en peu
de tems à la gloire de Catulle, de Proper-
ce, & de Martial, & il auroit entiérement
triomphé d'eux tous, après avoir coura-
geufement arraché la Poefie d'entre les
mains des profanes (ce font les termes
d'André Schott) pour la reftituer à Dieu
& la confacrer à JESUS-CHRIST (4).
Mais une gloire qui lui étoit propofée à
des conditions auffi cruelles que celles de
vivre aux dépens de fa chafteté, ne lui pa-
roiffoit qu'une véritable infamie auprès de
la gloire qu'il y a de fe mettre à la fuite,
non pas d'un Apollon ridicule & chimé-
rique fur le mont Parnaffe, mais de l'A-
greau fur la montagne de Sion avec des mil-
lions de victimes innocentes & fans taches
marquées de fon fceau fur le front (5). Ve-
rin a donc pris le parti d'abandonner aux
profanes, &, ì je l'ofe dire, aux impudi-
ques; le Parnaffe & la vie, pour aller
triompher des uns & des autres à l'autre
monde: & ayant été aflés heureux pour

fauver les deux palmes de fa virginité & verin.
de fon martyre d'entre les mains de fes
Médecins, qui avoient tâché de les lui dé-
rober, il alla lui-même les planter au pied
du Trône de Dieu, pour faire hommage
de fa victoire à JESUS-CHRIST (6).

Après cela, Monfieur, nous pouvons
avouer hardiment fans craindre les inful-
tes des ennemis de l'étude, que Michel
Verin n'a point vécu dix-huit ans entiers.
Nous leur offrirons même, s'ils en ont be-
foin, la datte de fa naiffance qui est de
1466. & celle de fa mort qui eft de 1483.
& nous les renvoyerons à Salamanque en
Espagne, pour y voir fon tombeau."

POLITIEN.

27
& de Verin, du côté des Etudes & des
Lettres, quoiqu'elle n'ait pas été fi belle
du côté de la vertu. Il étoit plus âgé que
l'un & que l'autre, & il étoit né le qua-
torze de Juillet de l'an 1454 à Monte-
Pulciano (7), petite ville de Toscane, qui
a comblé cette premiére gloire par celle
d'avoir encore donné Bellarmin au jour
depuis ce tems-là. C'eft aux premiéres
années de l'adolescence de Politien, qu'il
faut rapporter le beau Poëme qu'il fit pour
célébrer le Tournois de Julien de Medi-
cis, & qu'il eut la joie de voir préféré tout
d'une voix à celui que Luca Pulci Poëte.
renommé de ce tems-là avoit fait pour pa-
ranympher un autre Tournois où Laurent
avoit remporté le prix avant Julien fon
frere (8). Politien ne fe contenta pas d'i-
miter le commun des Poëtes, qui n'ayant
qu'une érudition fuperficielle, fe bornent
à leurs propres inventions. Il avoit re-
marqué, que l'Ouvrage du Pulci étoit de
cette nature; & pour s'élever plus facile-
ment au-deffus de lui, il crut devoir met-
tre en œuvre les richeffes dont il avoit fait
une grande provifion dès fon enfance dans
la lecture des Anciens. Il plaça celles de
leurs plus belles penfées qui pouvoient re-
venir à fon fujet, avec tant d'adreffe & de

é moins illuftre que celle de Pic
A jeuneffe de POLITIEN n'a pas Politien.

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Politien, fuccès dans les endroits de fon Poëme où il fe croyoit le moins heureux, qu'à la premiére lecture qu'il en fit: le Pulci voulut fupprimer le tien de honte & de dépit. Julien de Medicis ayant été affaffiné quelque tems après dans la conjuration des Pazzi, Politien trouva cette occafion propre pour faire voir que fa jeuneffe n'étoit pas moins fortement éxercée dans la Profe que dans les vers. Il publia dans cette vûe une Rélation Hiftorique de cette conjuration: Elle parut fi belle aux Doctes de fon tems, qu'ils la jugérent digne des honneurs que l'on rend aux Ouvrages du bon fiécle (1).

Voilà des fruits de l'adolescence de Politien, que la confidération de fon âge rend très-eftimables, lorsqu'on les regarde feuls, ou lorsqu'on les compare avec les Ouvrages des autres Savans: & rien ne doit diminuer l'étonnement qui nous en refte, que les fruits de l'enfance du même Politien. Il n'avoit pas douze ans, qu'il favoit faire toutes fortes de vers en Latin & en Grec, non pas à l'Ecoliére, autant qu'on oferoit en espérer des plus jolis esprits des Colléges, mais comme l'un des bons Poëtes de l'ancienne Gréce & du fiécle d'Augufte. Il s'étoit accoutumé (2) de fi bonne heure au goût des Anciens

ces productions de fon Esprit pour des Polizies, fragmens d'Anacreon ou de Catulle, qu'il fe vantoit d'avoir trouvé par rencontre dans de vieux Manuscrits de la Bibliothé que, avec tant d'adrefle & de fuccès, que les meilleurs connoiffeurs en étoient la duppe. Mais pour nous porter à croire que fes plus belles Poefies Grecques font auffi les productions de fon enfance, il étoit befoin d'un témoignage auffi peu récufable que celui de Politien même. Scaliger le pere prétend (3), qu'il s'eft fait quelque tort par cet aveu, ou du moins que c'étoit faire honte à lui-même pour la fuite de fa vie, puisque les vers Latins qu'il a faits dans un âge d'homme ne valent pas à fon avis ces Poëfies Grecques.

Politien mourut le 24. de Septembre (4) de l'an 1494. près de deux mois avant Pic de la Mirande, avec lequel il avoit lié une fociété étroite pour le commerce des Etudes & des Lettres. Si je n'apprehendois de fortir de mon fujet, je vous dirois un mot de l'injuflice que l'on a faite à fa mémoire, lorsque l'on a chargé fa mort de circonftances très-diffamantes, mais très-peu vrai-femblables (5).

BARBAR O.

TERMOLAUS BARBARUS Sénateur Barbaro

que le discernement des plus doctes & des 28 de Venile (6), & Ambafladeur

plus judicieux de fon tems, ne pouvoit être à l'épreuve de fa rufe & de fes artifices, lorsqu'il s'avifoit de vouloir leur impofer en fuppofant des Piéces de fa façon à celui de ces Anciens qu'il jugeoit à propos. Il avoit fouvent la malice de compofer quelque Epigramme ou quelque Ode en l'une ou en l'autre Langue, lorsqu'il favoit qu'il devoit aller à la Bibliothéque de Medicis: & à fon retour il faifoit paffer

Elle n'a été imprimée pour la premiere fois qu'in-folio chés Nicolas Epifcopius 1553. à Bâle.

2¶ Ces mots; il s'étoit accoutumé, & ce qui fuit jusqu'à ceux-ci : en étoient la dupe, font une pure fable inventée par Varillas.

3 Jul. Scal. Poët. lib. 6. pag. 802. 4 ¶ Le 25.

5 Jaques Conftance Poëte Latin de Fano contemporain de Politien lui a fait une Epitaphe de dix Hendecafyllabes dont les deux derniers déclarent qu'un philtre fut la cause de sa mort:

Si mortis genus ejus edoceri

Pofcis: feito hominem periffe philtro.

de la République à Rome (7), vint au monde en la même année que Politien mais le 21. de Mai. C'étoit un jeune Savant qui n'affectoit rien moins que de paroître tel. Depuis fon enfance il s'étoit trouvé dans une application presque continuelle à l'étude, fans avoir fait le moindre dommage aux belles dispofitions de fon esprit ou de fon corps. Ce qui eft une ra

reté

tement après la mort de Politien. C'eft ce que Sabellic intime ami du défunt ne diffimule point dans une Lettre à Daniele Raïnerio livre 10. Doleo mortem hominis amiciffimi, fed multo magis doleo caufam, que non magis miferabilis fuit, ut mihi dicitur, quam pudenda. Pierius Valerianus a voulu dans fon 1. 2. de Litterator. infelicit, juftifier la mémoire de Politien, & foutenir qu'il n'étoit mort que du chagrin qu'il conçut, voyant la décadence de la Maison de Medicis. Ce font les termes de Bayle au mot Politien, lettre F. Mais il faut avouer que cette juftification eft venuë un peu bien tard.

6 On a voulu dire qu'il n'avoit point fait la fonction de Senateur à Venife. Il dit cependant luiCe bruit là fe repandit par toute l'Italic, immédia même dans une Lettre que je citerai plus bas qu'il

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