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A MONSIEUR

DARZEILLE

SIEUR DE LA

COUR-DORONNE, (1) &c.

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J'ai fouffert volontiers que vous m'accufaffiés de lenteur, torfqu'il s'agissoit de vous envoyer l'Ecrit que je vous avois promis, parce que je ne voulois pas vous donner sujet de vous plaindre de mon éxactitude.

Si je vous avois crû de l'humeur de ceux qui préférent la promptitude à la prudence lorfqu'il s'agit de leur fervice, je n'aurois pas refifté fi opiniâtrément à l'impétuofité de mon naturel, qui ne me permettoit presque pas d'écouter ou de fuivre autre chofe que le zele que j'avois de fatisfaire inceffamment à la demande que vous m'aviez faite de cet Ecrit.

Mais prévoiant Pusage que vous en deviez faire, je me suis perfuadé que le Public, auquel vous aviez intention de la communiquer, ne m'auroit point pardonné ma précipitation avec autant de facilité que vous. Que n'aurois-je pas dû appréhender de fa efverité d'ailleurs, fi faute d'avoir pris un peu de loifir, je lui avois donné lieu de s'apercevoir de mes négligences & des défauts de ma mémoire?

Le détail que je vous fais dans cet Ecrit de la premiére Conversation que nous avons eue avec Mr. de Rintail, vous paroitra peut-être affez bien circonftancié pour vous faire juger qu'il demandoit plus de tems qu'il n'en faut pour une fimple Lettre de civilité. Quant à la fidélité que j'ai tâché d'y apporter, je la crois fi bien garantie par

¶ D'Arzeille par tranfpofition de lettres eft la Couronne d'or nom de l'enseigne de Dezallier Dezallier Libraire de Baillet. La Cour-d'Oronne c'eft

Tome VI.

la

la bonne opinion que vous avez de ma fincerité, que je la mettrois volontiers à l'épreuve de tous les foupçons. En cas de fcrupule, je fuis prêt à produire Mr. de Brillat pour mon garant. Comme il a eu grande part à cette Converfation & à toutes les fuivantes; & comme il m'a beaucoup aidé à rappeller les chofes dans l'ordre, & même dans les termes qu'elles ont été dites, c'est à son témoignage que vous pouvez vous en

rapporter.

Sa mémoire feule étoit capable de me fournir tout ce que j'aurois pû fouhaiter pour mon deffein, & j'aurois toujours pû me contenter de ce qu'il m'auroit dicté fans préparation. Mais pour ne rien omettre de ce qui pourroit rendre votre fatisfaction & celle de vos Amis plus entiere, j'ai obtenu de Mr. de Rintail qu'il me préteroit fes cahiers, afin de ne me point écarter de la fuite qu'il a gardée, & de ne laisser échapper aucun des ANTI dont il a fait le dénombrement.

Il faut, s'il vous plaît, que vous me paffiez le mot d'Anti, & que vous accoutumiez votre oreille, toute délicate qu'elle eft, à le fouffrir. Il vous fera aisé de juger que je ne voudrois pas l'employer, fi j'avois trouvé quelque chofe de plus court & de plus propre pour marquer en un feul mot tout ce que j'ai deffein de vous faire favoir dans le récit de cette premiére Conversation, & dans celui des trois fuivantes que j'efpere vous envoyer au plutôt.

On peut dire que ce terme d'Anti eft l'ame de tout l'Ouvrage dont il est question, & que vous prétendez publier fous le titre de SATIRES PERSONNELLES: On peut dire qu'il en fait toute l'effence. Enfin c'eft affez qu'il ferve à le caractériser & à le faire diftinguer de tous les Ouvrages qui ont paru jusqu'ici dans le monde, pour me donner la liberté d'en ufer.

Je confens que vous le faffiez confacrer, en telle forte qu'il ne foit permis à personne de l'employer à d'autres ufages.

On n'accufera pas au refte Mr. de Rintail de l'avoir fait. Auffi, quand le Public Seroit tenté de l'adopter ou de fe l'approprier, Mr. de Rintail n'auroit rien à y reven diquer: & il feroit peut-être auffi mal reçû dans fes oppofitions, qu'un homme qui dans une Supplique régulière oferoit propofer un pareil mot à l'Assemblée de Meffieurs de l'Académie Françoile pour lui faire obtenir fes Lettres de naturalité dans notre Langue. Vous verrez donc, Monfieur, dans ce que je vous envoie aujourd'hui, & dans ce que je vous prépare pour la semaine prochaine, une fuite affez nombreuse d'Anti, ou de piéces, fatiriques pour la plupart, dont les titres font affez souvent monstrueux, & prefque toujours offenfans. Vous n'en trouverez pas devant les Anti-Catons, ni après 'Anti-Baillet. Ce font les deux termes que Mr. de Rintail a mis à fon Recueil des Anti, quelque recherche qu'il ait pu faire pour tâcher d'en faire remonter l'origine & l'usage jufqu'à la plus baute antiquité.

Mais vous me permettrez de vous dire que je ne vois point par quel titre ce Recueil pourroit avoir merité le nom que vous voudriez lui donner de Prodrome ou Précurseur de l'Anti- Menage, ou même de Premier Anti-Menage, comme s'il devoit être suivi d'un fecond && d'un troifiéme.

Je ne voudrois pas nier que l'Anti-Baillet de Mr. Menage eût donné occafion à ce Recueil. Mais que doit-on raisonnablement conclure de-là, finon, que c'eft indirectement à Mr. Menage que le Public aura obligation de l'utilité ou du divertiffement qu'il pourra trouver dans cet Ecrit que je vous adresse pour lui?

S'il falloit appeller Anti-Menage un Ecrit biftorique comme eft ce Recueil, parce qu'il ne s'eft point prefenté de prétexte affez honnête pour louer ou congratuler Mr. Menage lorsqu'on s'est trouvé engagé à rapporter en fon rang la Satire ou l'Invective qu'il vient de publier fous le nom d'Anti-Baillet n'auroit-on pas autant de raison de lui donner auffi le nom d'Anti-Céfar, d'Anti-Cardan, d'Anti-Coignet, d'AntiScherzer, d'Anti-Hotman, d'Anti-Beni, &c.? Il n'y a pas un de ces titres qui ne Se fût trouvé pour le moins auffi propre & auffi jufte pour cet Ouvrage, que celui Anti-Menage, puisqu'on n'a pas cru devoir y épargner Cefar pour ses Anti-Catons, ni Cardan pour fon Anti-Gorgias, ni Du Coignet pour fon Anti-Coton, ni Scherzer pour fon Anti-Bellarmin, ni Hotman pour for Anti-Choppin, ni Beni pour fon AntiCrus

Crufca &c. On n'a pas même eu pour la plus grande partie de ces Auteurs Pindulgence dont on a bien voulu user à l'égard de Mr. Menage par rapport à son Anti-Bail

let.

D'ailleurs je fai de Mr. de Rintail que ce feroit caufer à Mr. Baillet un chagrin. très-fenfible de faire porter à mon Ecrit le titre Surprenant de Prodromne à l'AntiMenage. Cette conduite pourroit déterminer le Public à croire que Mr. Baillet fe préparerait à faire porter la peine du Talion à Mr. Menage: penfée qui ne feroit pas moins injurieufe aux inclinations de Mr. Baillet & aux difpofitions préfentes de fon qu'elle paroit contraire aux maximes du Chriftianifme, & peu conforme même

à la politefe du fiécle où nous vivons.

Je veux croire qu'on ne s'aviseroit pas d'attribuer à Mr. Baillet un Ecrit qui porte mon nom. Cependant les habitudes qui me tiennent aussi étroitement uni avec lui qu'avec Meffieurs de Rintail & de Brillat pourroient bien rendre nos correspondances fufpec tes d'un peu trop d'intelligence mutuelle dans mon Ecrit, pour empêcher le monde de penfer qu'il auroit consenti qu'on lui laissât porter le titre de Prodrome à l'Anti-Me

nage.

Ainfi, Monfieur, j'ai tout fujet d'esperer que vous & vos amis voudrez bien travailler avec moi pour épargner à Mr. Baillet le déplaifir qu'il pourroit avoir dans la fuite de fe voir compté pour un mot parmi les Auteurs Satiriques; & pour ôter à Mr. Menage la confolation d'avoir pù trouver un compagnon dans l'art de dire de gros mots, &le plaifir d'avoir fû attirer un Anti-Menage contre fon Anti-Baillet.

Toutes les Conversations que nous avons euës fur ce sujet, se réduisent à quatre Entretiens dont je vous ai promis autant de Rélations différentes, que j'espere vous envoier à diverfes fois par la commodité de notre Ordinaire. Ces Entretiens ne font pas égaux, parce qu'ils n'ont pas été tenus dans une Affemblée de l'espéce de celles qui réglent leur commencement & leur fin fur l'horloge. Leur inégalité n'aura rien qui puifle vous déplaire, & vous remarquerez aisément que leur matiére & quelques incidens furvenus à la conversation l'ont renduè néceffaire.

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Le premier eft le plus court de tous, parce qu'il ne contient presque que les vuës géné rales du deffein qu'avoit eu Mr. de Rintail, avec quelques exemples d'Anti qu'il ne vouloit point renfermer dans la généalogie de l'Anti-Baillet de Mr. Menage. Il finit par la divifion && la méthode qu'il a voulu obferver dans la lecture qu'il nous a faite de Jes cabiers.

C'est au fecond Entretien que commencera tout ferieusement l'histoire des Prédéceffeurs de l'Anti-Baillet. Vous verrez à la tête du troifiéme une autre espéce de petit Entretien qui vous paroîtra étranger à notre fujet. C'est pour vous feul que j'ai eu foin de le copier en faveur de cette curiofité que vous m'avez témoignée de favoir à quels Ouvrages font prefentement occupez certains Auteurs qui font de la connoiffance de nos amis.. Si vous êtes refolu de faire part au Public de cette digreffion d'un quart d'heure, faitesmoi au moins l'amitié d'ordonner qu'on la diftingue de caractéres d'avec le refte des Entretiens, afin que le Lecteur ne foit point oblige de recourir à d'autres témoignages qu'à celui de fes yeux pour se perfuader que cela n'eft pas du corps de l'Ouvrage. Les Converfations ont leurs Intermédes auffi bien que les Représentations du Théatre. Les nôtres n'en auroient pourtant pas eu; fi, lorsqu'il étoit question de notre troifiéme Entretien sur les Anti, nous n'avions été prévenus par une compagnie étrangère qui fe trouva chez Mr. de Rintail avant que nous y fuffions arrivez. Če qui s'y dit jusqu'à ce que la Compagnie fe retira, concernoit les nouvelles de la literature, & le récit fuccint que je vous en ferai eft ce que j'appelle l'interméde de nos Conversations, qui par la différence des caractéres de fon impreffion avertira le Lecteur de paffer droit au commencement de notre troifiéme Entretien s'il ne veut point s'arrêter à la lecture de ce petit interméde.

Le quatrième Entretien vous paroitra le plus long de tous, parce que Mr. de Rintail fe voyant à la fin de la lifte des Anti qu'il appelloit les Prédécesseurs de l'AntiBaillet, fit fcrupule de nous laiffer revenir une cinquième fois chez lui pour rentendre la Lecture d'une autre espéce d'Anti qu'il appelloit Réels. Comme il ne prétendoit pas faire la Critique de ces derniers qui n'avoient rien de commun avec l'Anti-Baillet, il

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IV

en retrancha un grand nombre en notre présence (1), & il sut abreger ce qu'il en voulut retenir, de telle forte que ce que vous en verrez, ne vous paroitra que comme une dépendance du dernier Entretien, mais qui étoit nécessaire au deffein qu'il avoit de montrer à Mr. Menage des modéles fur lesquels il auroit pû réformer le titre de fa Satire. Vous ne comprendrez peut-être pas entiérement ma pensée que vous n'ayez lû la Relation que je vous envoie de notre premier Entretien. C'est là que vous verrez la différence qu'il établit entre les Anti Perfonnels qu'il appelle les Prédécesseurs naturels de Anti-Baillet, & les Anti Réels au nombre desquels il estime que "Mr. Menage devoit ranger fon Ouvrage pour en rendre au moins le titre irrépréhensible.

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Pour ce qui eft de la forme de ces Entretiens je ne prétens point prévenir la pensée que vous en pourrez avoir. Mais je me flate que le Public y fera auffi peu de réfléxion que les Perfonnes qui les ont tenus. Je puis vous affurer que nous n'avons pas pris garde s'il y avoit parmi les Anciens & les Modernes des Dialogiftes dont il fallut Ni Mr. de Rintail, ni Mr. de Juivre on éviter les traces dans nos Entretiens. Brillat, ni moi, n'avons mis en aucune délibération fi l'on prendroit Platon Ciceron, ou Lucien, pour modéle. On s'eft assemblé de bonne foi, non pas tant pour difcourir ou pour agiter des questions, que pour entendre lire. Il eft vrai que l'inter ruption de cette lecture faite de tems en tems par des perfonnes libres, qui n'ayant ni Supérieur ni inférieur dans leur affemblée avoient la liberté de proposer, de répondre & de répliquer, femble avoir donné la forme de Dialogues à nos Entretiens. Mais on reconnoîtra bientôt que ces Entretiens ne font pas de la nature de ces Dialogues où l'on dit peu de chofes en beaucoup de paroles. Vous y verrez les matiéres fort Jerrées, fur tout dans les trois derniers Entretiens où nous avons fait fcrupule d'interrompre la lecture de Mr. de Rintail par mille questions qui se présentoient d'elles-mêmes à chaque article, & qui auroient prodigieusement étendu & multiplié nos conversa

tions.

La mode des Dialogues eft revenue parmi les Gens de Lettres en ces derniers tems: Mr. de la Motte (2) le Vayer n'auroit plus aujourd'hui autant de raison qu'il en pouvoit avoir autrefois de fe plaindre du mépris qu'on faifoit de fon tems du genre d'écrire par Dialogues.

La Critique, la Philofophie, la Théologie & tant d'autres belles connoissances ont été depuis peu traitées fi agréablement avec le tour_aifé du Dialogue, que je ne doute presque pas que ce fuccès ne faffe bientôt naître l'envie de l'employer pour expliquer plus galamment l'Algébre & Arabe qu'on n'a fait jusqu'à présent.

Il faut avouer que rien n'a encore été inventé de mieux pour tácher de civilifer les efprits des Gens de Lettres dans ces derniers fiécles, où les Savans n'ont pas été accufez d'excès dans leur politeffe. Les éxemples de l'incivilité de nos Saumaises, de nos Scaligers & de nos autres Critiques ont fait ouvrir les yeux à ceux qui font venus après eux. On a eu recours à Platon, à Ciceron & aux autres Anciens pour apprendre à converser savamment en fe formant fur le goût, & en même tems fur la politeffe des anciens Grecs & des anciens Romains. En un mot, il semble que ce fait à l'artifice du Dialogue que l'on foit redevable d'une partie des honnêtetez qui fe pratiquent un peu plus communément qu'auparavant dans l'art d'écrire.

Mais ce feroit rendre un bon office aux Savans de les avertir de bonne beure qu'ils aient à prévenir deux défordres confidérables qui commencent à se glisser avec beaucoup de licence dans la pratique des Dialogues. Le premier de ces défordres eft le mauvais choix que la plupart de nos Dialogiftes font de leurs Perfonnages. Quelques-uns manquent de jugement dans ce choix, lorsqu'ils admettent des Entreparleurs incapables de

1 Entre autres les Antirrhetiques du P. Sirmond contre P. Aurelius, & du P. Hard. contre Janus Pidius Valens; Les Antidotes figurés; Les Antimoimes figurés; Les Antilogies; Les Antithefes; Les Antigraphes; Les Anticharites; Les Anti-Bibliques; &c, Item les Anti pour les Ante des Latins

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