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foutenir le perfonnage qu'ils leur font faire, & qui ne favent pas conferver dans la fuite le caractére qu'ils leur ont destiné dès le commencement, ni maintenir également la vrai-femblance qui doit au moins tenir la place de la vérité dans le Dialogue. D'antres ont quelquefois la malice de choisir des Adverfaires auffi ignorans & aussi foibles qu'ils le fouhaitent, pour les opposer à ceux qu'ils ont intention de rendre victorieux. S'ils prennent des combatans de forces égales, ils ne gardent pas long-tems la fidélité qu'ils leur doivent également. Ils ménagent mal les circonstances d'où dépend le gain d'une cause qu'ils veulent faire perdre, ou la perte de celle qu'ils veulent faire gagner. Ils diftribuent les bons les mauvais raisonnemens à qui il leur plaît, & ils font céder le folide à ce qu'il y a d'éblouissant & de trompeur quand ils le jugent à propos.

L'autre défordre eft moins confidérable, en ce qu'il ne regarde que les noms qu'ils ont coutume de donner à leurs Perfonnages dans leurs Dialogues. Mais l'imprudence qui paroit fouvent dans ces dénominations n'eft point capable de produire de bons effets dans Pefprit d'un Lecteur qui fe perfuade que ces noms ne doivent pas être les fruits du bazard. C'est un divertissement affez burlesque d'entendre tenir des difcours féditieux à un Irenée; de voir qu'un Philalethe ou un Alethophile dife des fauffetez de fens froid, qu'un Philadelphe parle mal de fes freres & médife de fon prochain, qu'un Theophile ou un Philothée confonde l'amour de la créature avec celui de Dieu, qu'un Eudoxe penfe mal, & qu'un Euloge ne fache point parler. Rien n'eft plus commun parmi les Modernes que ces Dialogiftes qui ont táché d'attraper le tour des Anciens, & qui n'en ont pu prendre que les noms.

F'ose espérer que l'on ne nous imputera rien de femblable dans nos Entretiens, dès que l'on s'appercevra que nous n'avons pas affecté d'y faire fentir indifcrétement un goût d'Antique. Nous ne nous sommes pas donné des noms d'un fens recherché; nous n'en avons pas emprunté des Anciens, parce que la fiction n'a point eu de part à la matiére de nos conversations; & nous ne craignons pas qu'aucun Moderne s'avife de reclamer des noms qui nous font propres, & qui font d'ailleurs dans l'usage de notre Na

tion.

Au refte, il vous eft affés inutile de favoir que c'est dans le cabinet de Mr. de Rintail que nous avons eu nos Entretiens fur les Anti: Mais il ne vous fera pas indifférent fans doute d'apprendre que le jeune Mr. de faint Yon a toujours été des nôtres. Ce jeune Seigneur qui ne quitte Mr. de Rintail que très rarement, eft le fils aîné de Mr. le Marquis de Valbeil, Comte de Favieres, Baron de Hautefeuille & Gouverneur de la Ville & Citadelle de Monthelier. Il a fouhaité d'être de toutes nos converfations. Mais quoiqu'il ait toujours eu affés de modeftie pour protester qu'il ne vouloit fe mêler d'autre chose que de nous écouter, vous verrés néanmoins de tems en tems qu'il n'a pas laiffé de jouer un rôle dans chaque converfation.

Vous trouverez encore quelques autres Perfonnes, comme Mr. Terlaine d'Alby dans le fecond Entretien, & Mr. Bertier d'Allure dans le quatrième. Mais ces Meffieurs n'avoient pas été choifis par Mr. de Rintail comme Mr. de Brillat & moi. Će n'est que la rencontre ou quelque incident étranger qui les a fait entrer dans nos converfations, & je ne vous crois pas trop curieux de les connoître plus particuliére

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Pour Meffieurs de Brillat & de Rintail, je me contenterai de vous dire que l'amitié qui eft entre eux & moi eft fi ancienne, fi étroite & fi naturelle, que j'ai tout fujet de croire que nous avons été faits l'un pour l'autre. La conformité qui fe trouve dans notre état, dans nos emplois & dans nos études, mais beaucoup plus en

non pas la Motte le Vayer.

11. Ce n'eft point en Latin, ni fous le nom d'orafius Tubero que la Mothe le Vayer s'eft plaint du mépris qu'on avoit de fon tems pour les compofitions en Dialogues.

III. Il n'y a point d'Epitres Latines d'Orafius

core

Tubero. La Mothe le Vayer n'ayant, quelque nom qu'il ait pris, jamais écrit qu'en François.

IV. Ce qu'on allégue de la Mothe le Vayer n'eft dans aucune de fes Lettres, mais au commencement du Traité qui a pour titre: De la lecture de Platon & de fon éloquence.

core dans nos inclinations ne contribuë pas peu à entretenir entre nous une fympathie parfaite dont la nature nous avoit donné d'abord les femences. Si je ne puis vous faire croire fur les apparences extérieures que nous n'avons qu'une tête à trois, comme il eft certain que nous n'avons qu'un cœur: il faut au moins que vous foyez perfuadé que nous tenons à une chaîne qui nous rend inséparables de fentimens & d'interêts.

Ainfi, Monfieur, il fuffit que j'aie l'honneur d'être connu de vous, pour que vous puiffiez connoître auffi ces deux autres Meffieurs : & comme nous fommes en uSage de répondre l'un pour l'autre, je ne crains pas d'être défavoué d'eux en vous frant leurs fervices avec ceux de

Vôtre très-humble, & trèsobéiffant ferviteur,

ALBERT LAINIER DE VERTON.

A Paris le XXII. de Mars 1689.

DES

SATYRES (1)

PERSONNELLES,
TRAITE

HISTORIQUE ET CRITIQUE

De celles qui portent le Titre d'Anti (2).

PREMIER ENTRETIEN

Entre Meffieurs de Saint Yon, de Rintail, de Brillat, & de Verton.
Envoyé à Mr. de la Cour d'Oronne.

Ous nous entretenions infenfiblement des chofes qui faifoient alors le fujet ordinaire des converfations. Nous parlions de l'accident des Villes de Naples & de Benevent, de la fortune de Soliman III. de la derniére Ambaffade de Siam, de la catastrophe de l'Angleterre: & fans y fonger nous entrions déja dans les matiéres qui regardent l'Electorat de Cologne, les Bulles des Evêques, & la nature des excommunications de Rome, lorfque Mr. de Brillat dit à Mr. de Rintail qu'il lui demandoit une trêve pour les nouvelles étrangères. Les affaires des Grands, dit-il, ne nous regardent pas.

1. T. Je penfe avoir déja obfervé que Baillet é crit toujours Satyre, quoique ce mot, dans le fens qu'il lui donne, vienne du Latin Sasira, & non pas Tom. VI.

Nous ne fommes pas faits apparemment pour gouverner ni pour réformer les Etats de ce monde. Laiffons-là le Pape & le Turc; je fuis bien-aife de vous avertir que nous ne fommes venus aujourd'hui Mr. de Verton & moi que pour entendre la lecture du Recueil que vous avés fait des Anti.

Vous commencés de bonne heure à vous divertir, lui dit Mr. de Rintail. Vous devriés vous fouvenir que ce n'étoit qu'en riant & fans aucune conféquence que je vous dis l'autre jour que je vous ferois voir mes Anti. Je fai de bonne part que Mr. de Verton n'a pas oublié ce mot, qu'il en a déja prévenu cinq ou fix perfonnes

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fonnes de Lettres en une feule compagnie: mais je doute qu'il pût être au goût de tout le monde, tout néceffaire qu'il vous paroifle pour caractériser mon Re

cueil.

Je vis bien à fa mine que je ne devois pas négliger de mettre ma difcrétion à couvert, & je lui répondis que je ne voyois rien de trop nouveau ni de trop furprenant dans le terme d'Auti. Que fi le Mafcurat de Naudé, qui n'étoit pas d'une profeffion à faire de nouveaux éta bliffemens dans la République des Lettres, avoit eu affés de crédit pour faire recevoir celui de Proto; je ne voyois pas beaucoup de danger à expofer celui d'Anti, venant d'une perfonne qui avoit quelque caractére dans le monde au-deffus de Mafcurat.

Le jeune Mr. de S. Yon qui nous écoutoit tranquilement, fe mit à rire du plaifant effet que ces expreffions produifoient dans fon imagination. Mais pour lui faire connoître que je voulois bien en tendre raillerie avec lui, je lui dis que Mafcurat marque au commencement de fes Entretiens avec Saint Ange (1) que Mr. Renaudot l'avoit fait le PROTO de fon Imprimerie contre les Médecins de Paris. Mr. de S. Yon me répondit d'un air enjoué, qu'il ne pouvoit qu'admirer la facilité des Magiftrats qui gouvernent la République des Lettres, en ce qu'ils avoient bien voulu accepter le terme de Proto qui leur étoit propofé par un homme d'auffi petite confidération qu'étoit Mafcurat. Car je vous dirai par la per miffion de Mr. de Rintail, ajouta-t-il, que j'ai lû tous ces Entretiens de Mafcurat & de Saint Ange, que cette lecture m'a diverti agréablement, & que j'en ai tiré même quelque utilité. Mais après tout, ce ne font que des Entretiens de la lie du peuple, tels que les Artifans ont coutume de fournir entre eux, lorsqu'ils. boivent enfemble; & fi vous vous en fou venés, Saint Ange n'étoit qu'un petit Libraire de bale, & Mafcurat un drole qui favoit quelque chofe, mais qui de méchant Imprimeur étoit devenu Colporteur de livres bleus, de gazettes, & d'autres feuilles volantes.

A dire le vrai, reprit Mr. de Brillat, le mor de Proto a bien de l'air d'un terme de boutique où il me femble que les expreffions les plus nobles, & les locutions les plus rélevées, tombent fouvent dans. le Comique & le bas burlefque.. Mais, continua-t-il, on peut très-volontiers pasfer cela foit à des Ouvriers d'Imprimerie, foit à des Valets de Collége, foit même à des Clercs de Notaires & de Procureurs. qui entendent fouvent parler de Proto-Notaires, Proto-Coles, &c.

Patience, dis-je, vous ne vous fouvenés pas qu'on ne parle plus de la forte,. mais qu'il faut prononcer PROTE-CO LE, PROTE-NOTAIRE: c'est comme parlent ceux qui parlent bien (2).

Vous ne voyés pas, ajouta Mr. de Rintail, que Mr. de Verton nous débite du Menage tout pur: je ne croyois pas qu'il eût feulement la une page des Ouvrages de cet Auteur. Mais Mr. Menage voudroit-il que nous diffions auffi Prote-Syncelle, Prote-Pape, &c. (3)?

Non, répondis-je: parce que Mr. Menage n'avoit entrepris d'établir cette prononciation que pour les Proto qui auroient trois O de fuite, comme font les deux premiers mots que Mr. de Brillat vient d'alléguer, & comme pourroient être notre Proto-Foreftier, Proto-trone, &c. que je ne prononcerois pas impunément de la forte en présence de Mr. Menage (4).

Si nous nous engageons dans des discours vagues, dit Mr. de Brillat, nous perdrons le tems que nous avons deftiné pour voir les Anti. Encore une fois. croyés que cela doit faire tout le fujet de. la vifite que nous vous rendons aujourd'hui. Dans quelque digreffion que vous vous laiffiés engager, je vous ferai tous jours revenir à ce point-là..

ANTI en général..

ne demandions pas à perdre notre M tems, & il prit le porte-feuille où étoient les cahiers dont il vouloit nous faire la lecture. Il nous fit connoître d'abord que ce

R. de Rintail vit bien alors que nous.

que

3. Pag. 78.

22 Obfervat, fur la L, Fr. ch. 167. p. 375. feconde

Edition:

», Y, Codin de Offic, Conft

que nous appellions les Anti, n'étoit autre chofe que des Ecrits Satiriques pour la plupart, c'est-à-dire des Satires Perfonnel les, dont les Auteurs avoient eu intention de choquer leurs Adverfaires dès le premier mot du Titre.

Sur ce que je témoignai être en peine de favoir s'il prenoit le mot de Satire dans le fens naturel & dans fa premiére fignification, & pourquoi il fpécifioit ces fortes de Satires par le nom de Perfonnelles, il nous dit que les Satires dont il nous parloit n'avoient rien de commun avec celles des Anciens Grecs, & qu'on ne pouvoit pas aisément les rapporter à aucune des efpéces qu'on a vû introduites parmi les Romains: mais que la plupart pouvoient être appellées des cenfures accompagnées d'invectives & de médifances. Je les appelle Personnelles, continua-t-il, afin de les mieux diftinguer des Satires Réelles.

Monfieur, dit le jeune Mr. de Saint Yon parlant à Mr. de de Rintail, je ne comprens pas bien la force de ces termes. Eft-ce que les Satires perfonnelles font moins réelles que les autres?

Ce n'eft point cela, repartit Mr. de Rintail, le terme de Réel ne veut pas dire en cette occafion quelque chofe de vrai, d'effectif, de folide. Réel doit fe prendre ici comme on le prend dans les Livres de Droit, & fuivant la notion que nous donne fon étymologie de la maniére que l'on dit Servitude réelle, Action réelle. Ainfi une Satire réelle eft celle qui ne regarde que les chofes fans en vouloir à la perfonne; elle ne s'en prend qu'aux vices de l'ame ou aux erreurs de l'efprit; au lieu que les Satires perfonnelles attaquent directement la perfonne du Vicieux ou de l'Errant, fi bien qu'elles paroiffent oppofées encore plus que les autres au premier institut de la Satire.

Je l'interrompis pour le prier de nous en nommer quelques-unes de l'une & de l'autre efpéce, afin de rendre encore plus nette & plus diftincte l'idée qu'il nous en vouloit donner.

Je ne prétens pas, me dit-il, m'engager préfentement à vous répondre du fonds de ces Ouvrages, dont quelqu'un

4. T. 11 fe moque de Ménage avec raison, L'ufage oft pour Protocole, & pour Protonotaire,

de nos amis aura peut-être occafion de traiter plus à propos dans quelque tems. Mais pour ne m'arrêter qu'au Titre, & pour ine renfermer dans les bornes de notre espéce que vous appelés des Anti, je vous nommerai parmi les Satires perfannelles des Anti-Catons, des Anti-Choppins, des Anti-Cottons, & d'autres de cette nature que vous allés voir dans ma lifte: & parmi les Satires réelles, je mets les AntiParadoxes, les Anti-Sophistiques, les Anti-Grammaires, les Anti-Rofaires, &c. Si quelqu'un a eu raifon de dire (1) que le Titre d'un Livre doit en être l'abrégé, qu'il en doit renfermer tout l'efprit & tout le fens autant qu'il eft poffible: ou les Anti-Bellarmins, les Anti-Baronius, les Anti-Copernics, les Anti-Walenburchs font de méchans Livres, ou il n'y a pas un mot dans ces fortes de Livres qui ne foit directement contre la perfonne de Bellarmin, de Baronius, de Copernic, des deux Wallembourg, &c.

Je trouve, dit Mr. de Brillat, votre argument fort embaraflant pour la réputa tion des Anti. Vous les réduifés avec vo tre dilemme à la néceffité d'être mal faits en qualité de Livres qui ne répondent pas à leur Titre, ou de paffer pour des Satires perfonnelles qui ne valent guéres mieux que des Libelles diffamatoires lorfque le corps du Livre eft conforme à la tête.

C'est pour lors, reprit Mr. de Rintail, qu'on peut confidérer les Anti aufquels on attache les noms des perfonnes à qui on en veut, comme des poteaux ou des pieux où font liés ceux contre lefquels on prétend décocher fes traits avec plus d'asfurance. C'eft ainfi qu'on fe fait une butte de fon Adverfaire: c'est le moyen de ne le perdre jamais de vûë; en un mot, c'est le fecret de le maffacrer à fon aife.

Vous êtes donc perfuadé, lui dis-je, que ceux qui ont attaché le nom de leur Adverfaire à un Anti (permettés-moi d'ufer de vos termes) ont eu deffein d'attaquer la perfonne de l'Adverfaire.

C'eft, repliqua-t-il, la premiére pensée que nous donne le Titre de ces fortes d'Ouvrages, & fi l'on veut fuivre les Maximes de la Jurifprudence qui fe pratique dans

5. Tom. 1. des Jugem, des Sav. pag. 165,

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