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Dans le tems que l'argent de la rançon fut à venir, un Aga du Grand Seigneur vint négocier quelque affaire avec le Dey d'Alger. Par malheur pour la jeune fille du Médecin, l'Aga qui logeoit chez Mahomet la trouva trop belle à fon gré. Il demanda au Patron de cette fille ce qu'il feroit d'une fi belle esclave. Le bon homme luy repondit qu'il n'en vouloit rien faire parce qu'elle étoit avec fon pere & fa mere qui l'avoient rachetée avec eux, & que lorsqu'il auroit reçû l'argent de leur rançon, ils pourroient aller où ils voudroient. L'Aga lui dit fur cela Je veux que tu me vende cette efclave. J'ay ordre du Grand Seigneur d'acheter pour fon Serail toutes celles qui lui reffemblent. Le pauvre Patron voulut dire quelque chofe pour montrer qu'il y auroit de l'injuftice: mais. l'autre fe mit en colere, & le menaça de le faire mourir fous le bâton, fi dans deux heures il ne luy amenoit pas l'efclave.

La jeune fille s'enfuit dans l'appartement des femmes toute épleurée, dans la frayeur que luy caufa le doute qu'on l'eût demandée. Le pere & la mere apprirent bien-tôt le malheur qui les menaçoit. Mahomet vint dans le moment

en s'arrachant la barbe, faire le recit de la converfation qu'il avoit euë avec l'Aga. Il ajoûta enfuite qu'il ne pouvoit éviter de remettre la jeune efclave entre ses mains. Ce fut alors que la mere & la fille s'abandonnerent aux plaintes,aux larmes, & à la douleur la plus amere. On arrache celle-cy d'entre les bras de l'autre & comme on la menoit de force à l'Aga, elle faifoit tant de pitié, que peu s'en fallut qu'il ne fe fît une fédition dans le lieu mais les gens du Païs craignent beaucoup les Aga de Conftantinople, & la belle esclave fut mise entre les mains des deux femmes qui s'étoient trouvées avec elle dans le Brigantin Turc.

Le tems de partir arrivé, l'Aga s'em. barqua avec l'efclave fur un Bâtiment François qui le mena à Conftantinople. Dans cette navigation qui dura 44 jours, ils coururent tous les perils imaginables. L'Officier Turc fut affez mal reçû à son arrivée, du Grand- Vizir, ou pour n'avoir pas bien réuffi dans fa Navigation ou pour quelque autre caufe. Il eut lieu même de craindre pour fa vie. Mais aprés avoir été mal-traité de paroles, le GrandVizir fe contenta de le renvoyer à Metelin, où il étoit Gouverneur d'une Fortereffe. Aprés quoy celay-ci, ou par af_

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fection pour la jeune efclave, ou dans la crainte que le prefent qu'il en vouloit faire,ne fût pas bien reçû, il fe mit à lui parler d'amour,& à la preffer de fe faire Turque fur la promeffe de la faire la pre

miere femme.

La belle esclave qui fe flatoit que la providence la tireroit de ce dangereux état, pria le Turc de ne rien exiger d'elle, qu'ils ne fuffent dans l'Ifle ou il difoit qu'il avoit tant de pouvoir, & où il lui faifoit efperer tant de biens. Cette priere eut fon effet, le Turc promit à la belle fille de ne la jamais contraindre, & qu'il vouloit tout obtenir de fa bonne volonté. Ils s'embarquerent donc dans le même Bâtiment que je venois de prendre au retour de ma courfe vers les Dardanelles. Voilà ce que j'appris de la fille du Seigneur Lorenzo, & je fus ravy par le récit de fon malheur de me trouver en état de l'en tirer. Je la conjuray donc de fe confoler dans l'affûrance que je luy donnay de perdre plûtôt la vie que de fouffrir qu'il luy arrivât le moindre mal.

Quand je fus retourné à Nio, le Capitaine y étoit encore malade; mais à la nouvelle de la Prife que j'avois faite, it fut plus d'àmoitié gueri. Quoyque des raifons que je ne dis pas icy l'euffent

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vous ne

rendu plus froid à mon égard qu'il ne le devoit être : il ne laiffa pas de me faire beaucoup de complimens fur mon bonheur. Les autres Corfaires étoient revenus fans avoir rien fait, ce qui l'engageoit à quelque reconnoiffance. Mais en répondant à fes honnêtetez voyez pas encore, lui dis-je, le plus précieux de la prife. La penfée qu'il eut que c'étoit des pierreries de confequence, luy donna une impatience & une empreffement fingulier. Je fis fortir auffi-tôt l'efclave Maltoife de la Chambre où je l'avois mife, & la luy prefentay comme un grand trefor, puifqu'elle étoit encore Chrétienne : mais le Capitaine la regarda avec affez d'indifference, & fe mit à careffer les jeunes garçons qui étoient les favoris de l'Aga prifonnier.

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Aprés avoit été quelque tems fans me rien dire Monfieur Paul reprit. il, je cherchois dans la Prife que vous avez faite, ce qui feroit digne de vous en recompenfer; puifque vous faites tant d'eftime de cette efclave, je vous la donne, Comme rien ne me pouvoit être plus agreable je le remerciay avec exageration du prefent qu'il me faifoit, & je pris foin de mener cette jeune perfonne au Casal pour la faire un peu repofer des fatigues de al

mer. Dés que nous Y fûmes arrivez, je l'affuray de nouveau que je ne manquerois pas de la mettre moy-même entre les mains de fon pere;& de la reconduire chez luy fûrement.

Quatre jours aprés, il vint fort à propos à l'Ifle où j'étois une Barque de Malte, pour charger du ris. Je tâchay de faire connoiffance avec le Patron de ce petit Bâtiment ; & comme il me parut honnête homme, je m'employay à luy faire avoir bon marché, & quelque gratification même fur fon chargement. Je ne voulus rien accepter de tout ce qu'il m'offroit pour les plaifirs que je luy faifois. Mais quand il fut prêt à partir, je l'emmenay dîner chez moy, & profitant de la reconnoiffance, je luy propofay de remener au Seigneur Lorenzo, la belle fille que je luy fis voir. Le bon-homme, ravy de pouvoir m'obliger, me fit toutes les proteftations imaginables de fervice, & me promit d'executer fidellement la commiffion que je luy donnois. Il fut du tems à refuser les dix écus que je lui offris pour le paffage de la jeune perfonne que je lui confiois, & les provifions que j'avois préparées pour elle. Dans la crainte cependant de me defobliger, il prit l'un & l'autre, & me marqua de

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