pieds fans le chapiteau. J'apprehende qu'on ne la voye quelque jour tombée, & peut- être caffée; car fon Pied-d'eftail fe ruine beaucoup. Si cette colomne étoit en France, elle feroit regardée comme un merveille. De-là nous fûmes voir des lieux foûterrains qui apparemment ont fervi de Cimetierre aux anciens. Ce font de longues allées fi baffes faut fe coucher fur le ventre; & cet enqu'il droit conduit à une espece de labyrinthe: ce qui fait qu'on n'ofe pas trop fe hazarder à aller bien avant dans ces lieux. Vis à vis nous descendîmes dans de longues allées fort avant fous terre & toutes bordées de niches & de trous faits comme des fours d'une grande profondeur. Il y en a deux rangs les uns fur les autres, comme qui diroit à deux étages. A quelque distance de là nous fûmes à une grande ouverture où perfonne, difoit on, n'ofoit entrer. On en contoit plufieurs fables qui ne me rebuterent pas d'y aller. Je fis allumer trois bougies ; & quand j'eus marché environ 40 pas, je trouvay des puits dans le chemin. Il n'ya. voit que des petits fentiers pour paffer, ce qui étoit trés- dangereux; cela fir que je n'allay pas plus loin. J'entendis dans le puits quelque bruit que je

Tome 1.

B.

crois de chauves fouris.

Au fortir de ce lieu, nous rentrâmes dans l'ancienne Ville d'Alexandrie toute ruinée, excepté quelques maisons où demeurent de pauvres gens. En effet, ce font plûtôt des étables à cochons que la demeure des hommes, tant elles font mal propres & mal bâties. En continuant nôtre chemin nous avançâmes à l'Eglife de fainte Catherine, ancienne Eglife Chrétienne, qu'on dit avoir été la demeure de cette Sainte. Il faut descendre quelques marches pour y entrer ; & l'on voit dans une niche à l'entrée la colomne fur laquelle la prétendue fainte Catherine s'appuya, dit-on, quand on luy coupa la tête. La colomne eft de marbre blanc; & de certaines marques rougeâtres qu'on y voit, difent-ils, font encore du propre fang de la Sainte. On y montre encore le lieu où cette Vierge fut mife en prifon, & où elle fut décapitée, la chaire dont faint Marc fe fervoit quand il prêchoit, & une image de faint Michel faite par la main de faint Luc; c'est auffi le lieu où demeure ordinairement le Patriarche d'Alexandrie.

De-là en côtoyant les anciennes murailles contre lefquelles la mer bat, nous arrivâmes aux deux éguilles de Cleopa

tre, qui font conftament deux obelifques des anciens Egyptiens. L'une eft debout, & l'autre à bas un peu en terre par sa pointe. Ils font tous deux chargez d'hieroglyfiques depuis le haut jufqu'en-bas & peuvent avoir environ 80 ou 90 pieds de hauteur, d'un marbre granite rougeâ

tre.

Nous allâmes aprés dans une grande place entourée d'amphiteâtres que l'on voit encore entiers en quelques endroits, ce qui fait affez connoître que c'étoit la place où fe donnoient les jeux publics. Nous trouvâmes une groffe tour ronde où nous entrâmes, & où nous vîmes plufieurs appartemens ornez en plufieurs endroits de marbre & de porphyre; c'étoit, dit-on, le Palais de Cleopatre. Il y a auffi plufieurs colomnes de marbre, & quantité de niches de hauteur d'homme qui regnent tout au tour d'une falle toute de marbre. Nous traverfâmes enfuite par des galleries qui regardent la mer, & nous paffâmes à une autre tour où ily a auffi quantité de beaux appartemens tous de marbre. On monte en haut fur cette tour où l'on découvre de loin. Nous fûmes voir de fuite le vieux Port que nous admirâmes comme un des plus beaux que la nature ait fait. Les bâtimens

y

font en fûreté en toute forte de temps & il n'y a que ceux des Turcs qui y puiffent moüiller. Pour aller à ce Port on traverfe prefque toute la nouvelle Ville qui eft affez mal bâtie. Les rues en font petites ou fort étroites. Excepté quelques mofquées qui font tres-belles, le refte ne paroit que des nids à rats. Il peut y avoir environ 800 à 1000 maisons.

Une grande place où il y a beaucoup de palmiers fepare la Ville nouvelle de la vieille. Plufieurs Bedouins campent en differens temps de l'année fous les palmiers de cette Place. Les portes de l'ancienne Alexandrie font encore en pied; & ce qui eft de particulier, c'eft que l'on voit le fer dont ces portes étoient revêtuës, prefque tout mangé par le temps, & que le bois n'eft ni endommagé, ni pourri: auffi, dit-on, qu'elles font faites de bois de Gemeffe. Toute l'eau qui fe boit dans Alexandrie vient du Nil par des canaux que l'on nomme Kalis, qui la conduifent dans des citernes fous les ruïnes de l'ancienne-Ville où l'on remarque encore de la beauté & de la magnificence.

Quand il a plu, les Bedouins qui font les Payfans d'autour d'Alexandrie, vont chercher dans ces ruines aux endroits où

la pluye a le plus lavé: Il s'y trouve des pierres gravées & des médailles qu'ils

viennent vendre aux marchands François ; j'y en achetay beaucoup d'affez rares,tant pierres que médailles. Voilà à peu prés ce que j'ay crû pouvoir ajoûter aux relations plus étendües qu'on en a faites, dans lesquelles je ne fçache pas qu'on ait fait attention fur bien des chofes dont je parle.

IV..

Voyage au Caire. Defcription de la Ville, &de quelques Coûtumes du lieu.

la

E 25 d'Aouft le Capitaine & moy nous partîmes dés le matin par commodité d'une Germe. C'eft un petit bâtiment plat & découvert avec une grande voile latine. Il fait beaucoup de chemin quand il a le vent en poupe; auffi ne part-il jamais qu'il ne l'ait favorable. Nous paffàmes devant les Beckiers, & nous traverfâmes fort heureusement les Boucas qui font les entrées du Nil, où les vagues à cause du fable qui vient boucher quelquefois le paffage, font tresgroffes, & font apprehender de perir. Nous vinmes donc aprés avoir paffé ce mauvais pas au commencement de l'em