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bouchure du Nil. Il y a deux méchans Châteaux avec fort peu d'artillerie. Ils ont même fi peu de munitions que lorf qu'ils veulent tirer, ils vont acheter de la poudre à Roffet.

De ces Châteaux nous côtoyâmes l'efpace d'une heure les jardins du dehors de Roffet qui répandoient une odeurde fleurs d'orange quinousembaumoit. Il étoit cinq heures du foir lorfque nous arrivâmes à Roffet. Nous fûmes auffi-tôt chez Monfieur Durand marchand François, où nous foupâmes ; & nous nous fûmes rembarquer aprés fur un Mage pour continuer nôtre route au Caire. Avant que d'aller plus loin, on peut dire que Roffet eft le lieu de délices, & le plus agreable de toute l'Egypte. Les habitans y font plus honnêtes gens qu'en aucun autre endroit de ce Pays: ils y font prefque tous Marchands, & le principal commerce que l'on y fait eft de caffé, de lin, & de peaux de buffe, de bouc & de vache. La Ville a prés d'une demie lieuë de long, & tout au plus 200 pas de large. On y vit à fort bon marché, on n'y voit point de monumens antiques qui fubfiftent; mais on trouve en plufieurs endroits ou de fort beaux morceaux, ou des colonnes entieres de porphyre, & des pierres

d'une prodigieufe groffeur. Il s'y fait un gros commerce de jus de limon pour toute la Turquie. Nous en partîmes dans fon Mage,& en remontant le Nil jufqu'à minuit la bonace nous arrêta. Cela obligea le 26 tous les hommes de nôtre barque à tirer prés de deux heures pour avancer; aprés quoy le vent s'étant relevé, il nous mena toute la nuit jufqu'à Chabour où il ceffa.

Le 27 au matin le vent étant bon nous commençâmes à voir les pyramides. Le 28 on mit pied à terre en un lieu fort defert, & nôtre Rey nous dit qu'il ne falpas beaucoup nous écarter, parce que l'endroit étoit fort dangereux pour les voleurs. Auffi en vîmes-nous quelque marque par une tête, au bout d'un palmier, fraichement coupeé. Je m'amusay à tuer quelques pigeons, & des tourterelles qui fe trouvent là en grande quantité. J'admiray que du côté droit tout y eft prefque defert, & qu'au contraire de l'autre côté, qui eft ce qu'on appelle la terre du Delta, tout y paroiffoit cultivé, & plein d'arbres. Cela faifoit un payfage fort agreable, où les arbres qu'on y remarque le plus font des palmiers & des therebintes.

L'on voit le long du Nil quantité de

pinfaraques qui font des machines à ti rer de l'eau pour arrofer la terre. Cette machine eft compofée de deux grandes rouës éloignées l'une de l'autre,& jointes ensemble par plufieurs morceaux de bois qui entrent dans les côtés des pieces qui les bordent. Ces roues font placées en distance égale dans tout leur contour: fur ces morceaux de bois paffe une groffe corde dont les bouts font réunis ensemble, & de prés en prés des pots de terre attachez, de fept à huit pintes chaque ; s'empliffent dans le fleuve, & fe vuident dans un conduit, d'où l'on fait aller les eaux où l'on veut pour en arrofer les terres. Ce font des buffles où des bœufs qui tournent cette machine, & qui font un fort grand bruit en travaillant.

Chemin faifant donc nous arrivâmes à la pointe de l'Ifle qui fait le Delta,avec un bon vent. Là nous vîmes venir fur nous deux petites barques où il ne paroifloit qu'une perfonne. Comme on fe douta que c'étoient des voleurs, on leur cria que s'ils ne fe retiroient on tireroit fur eux. Quelqu'un de nous tira un coup de fufil à balle, ce qui leur fit connoître que nous n'étions pas d'humeur à nous laiffer dévalifer. Ils étoient plufieurs dans chaque barquette, & ils s'enfuirent

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avec précipitation dans le bras du Nil qui va à Damiete, quand nôtre Rey leur eut crié que nous étions des Francs. En effet, dans toute la Turquie les Francs s'y font craindre quand ils ont les armes à la main; parce qu'ils tirent plus adroitement que les Afiatiques. Le Nil eft large en cet endroit de prés d'une lieuë. Il étoit cinq heures du foir quand nous arrivâmes à Boulac qui eft un gros bourg fur le bord du Fleuve. On defcend là pour aller au Caire, où dés que l'on eut fait une legere vifite de nos hardes, nous arrivâmes en moins d'un rien fur des bouriques aprés avoir traversé une plaine environ d'une demie lieuë.

En entrant au grand Caire on paffe fur un pont le canal appellé Kalis, qui s'emplit d'eau quand le Nil déborde. Aude-là du pont on continue à marcher jufqu'à un grand mur dont la porte n'a ny foffé, ny pont-levis, mais un corps de łogis au deffus. Nous continuâmes nôtre chemin parmy une grande foule de monde dont les rues font prefque toûjours pleines,à caufe qu'elles font fort étroites; nous paffâmes fur un autre pont, & nous entrâmes en tournant dans la rue des François ou des Francs. Je fus defcendre à la porte de Monfieur le Conful. Com

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me j'en étois déja connu par mes autres voyages, il me témoigna beaucoup d'amitié, & me donna un logement chez luy. Il n'y a que des Marchands François dans la rue où est située la maison du Conful. Vis à vis eft celle des Capucins, qui font affez bien logez. Les maisons des Marchands font affez commodes; mais celle du Conful eft plus grande & plus magnifique que les autres. L'entrée en eft belle. On y voit un banc pour fix Janiffaires; & il en a toujours deux qui font la garde. Toutes les fois qu'il fort, quand ce ne feroit que pour aller d'une maison à une autre, ces deux Janiffaires font toûjours devant lui; ils font armez d'une ganjar, & d'un gros bâton long decinq pieds Quand on a paffé cette porte on entre dans une cour qui a tout autour plufieurs magazins pour metre la provifion de vins, de bois, & d'autres choses.. On monte dans une grande fale bien meublée, où Monfieur le Conful reçoit fes vifites à l'ordinaire. Au bout de cette falle, du côté où eft le canal, est un beau Divan qui eft le lieu où il reçoit les vifices à la Turque. Les fenêtres de ce lieu font baffes pour avoir le plaifir de voir dans le Kalis. Il y a auffi dans cette maifon une tres-belle Chapelle où l'on dit la

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