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Meffe tous les jours:c'eft un Religieux de l'Ordre de faint François,qui eft Chapelain de Monfieur le Conful. Enfin, la maison contient quantité de chambres fort commodes. Comme il n'étoit pas encore l'heure de fouper, plufieurs Marchands me menerent au bout de la ruë. dans un jardin qui appartient à un Turc, où l'on a la liberté de fe promener, d'y faire même quelquefois des repas, & d'y avoir tous les plaifirs que les François peuvent fouhaiter en Egypte. On est fort libre dans ce jardin ; il y a plufieurs logemens ou appartemens; mais furtout il y a des magazins que l'on trouve encore plus beaux. En fortant on donne quelque chofe au Jardinier qui vous prie toûjours de revenir une autre fois, & furtout que l'on n'oublie pas ces magazins. Je revins fouper chez M. le Con ful qui tient une fort bonne table à huit couverts.

Le 29 je fis toutes mes vifites, & j'en reçûs beaucoup. Le 30 je fus vifiter le Bazar des Orphévres où j'achetay quelques rubis, quelques pierres gravées, & quelques médailles antiques de bronze, d'or, & d'argent. Ce que l'on appelle

Bazar eft un lieu où l'on vend une forte de marchandise,&chaque marchandise a fon Bazar particulier.

Il y en a beaucoup de couverts, & d'autres qui ne le font point; ce font des lieux publics qui fervent au Négoce. Quand on veut acheter quelque chofe on n'a qu'à s'informer où eft le Bazar de cette marchandise , ce qui me paroît d'une grande commodité. On y eft neanmoins fouvent incommodé de la pouffiere, parce que les rues de cette Ville outre qu'elles font étroites, font fort mak alignées, & fans pavez. Le premier de Septembre, comme je continuois à vifiter des Bazars, je rencontray celuy qui fait la police pour le pain. Il eft à cheval en robe noire suivi de vingt Janiffaires qui ne font armez chacun que d'un grand bâton; le bourreau marche avec ce Magiftrat, & un homme qui porte des balances & des poids. Quand il paffe devant un Boulanger, il pese fon pain, & s'il ne fe trouve pas de poids, cet Officier fait donner au Boulanger que l'on met à terre deux ou trois cens coups de bâton fur la plante des pieds. On lui lie aprés les mains derriere le dos, & on luy perce le nez avec une éguille d'une ficelle où eft attaché un pain. Enfuite on luy barboüille le vifage avec de la bouë. J'en vis quatre dans cet état. Il y a quantité de pauvres qui fuivent cet Of

ficier de Police; lorfqu'il a trouvé quelque Boulanger qui vend du pain à faux poids, outre le châtiment, on jette toute fa marchandise dans la rue, & les pauvres se jettent deffus. La police pour la viande eft à peu prés de même, finon que quelquefois on attache les bouchers avec un clou par l'oreille à leur boutique, de maniere qu'ils n'ont que la pointe des pieds qui touche à terre. Le 2 je fus voir une execution que l'on fit de deux Arabes convaincus d'être voleurs & incendiaires. Ils furent condamnez à être écorchez vifs dans une grande place qui eft audeffous du Château que l'on nomme le grand Maidan. Quand on les tira de prifon, on les mit fur des chameaux avec un bâton qui leur tenoit les bras étendus en croix. On leur attacha deffus plufieurs bougies de poix que l'on alluma, & qui dégoutoient fur leurs bras. En cet état on les conduifit par plufieurs quartiers de la ville. Dés qu'ils furent arrivez au grand Maidan, on les dépoüilla du peu d'habits qu'ils avoient ; & aprés les avoir fait coucher fur le ventre oncommença à les écorcher; & celuy qui faisoit y étoit fort adroit. Dés qu'on leur eut ôté la peau de deffus le dos, on les retourna pour les écorcher de même par

cela

devant. Ces malheureux fouffrirent ces tourmens avec une conftance qui n'est pas croyable, & fans faire d'autres cris finon quelques-fois ouf, ouf. Le premier mourut à force de perdre fon fang & le second se leva droit, & marcha quatre ou cinq pas traînant aprés luy fa peau, qu'on leur laiffe vers le nombril; puis il tomba mort. Ce fuplice me fit bien mal au cœur. Il fe fit encore une execution de trois voleurs Arabes qui voloient dans le grand chemin de Boula au Caire. Deux furent empalez, & le troifiéme eut la tête coupée. Un de ceux qui furent empalez mourut fur le champ, l'autre vécut neuf heures, fumant, beuvant du caffé, & contant des hiftoires de Romans.

V.

Promenade aux Pyramides.

L& nous en étions trop prés pour n'y

Es Pyramides font trop fameufes,

pas aller. Elles ne font qu'à trois lieues & demye du Caire ; & nous partîmes le 3 Septembre, aprés avoir envoyé des Mo res dés le foir auparavant pour aller déboûcher un trou par où l'on entre dans l'une qui eft ordinairement bouchée par

le fable. Nous prîmes deux Janiffaires avec nous, & nous fimes porter des provifions pour manger. Nôtre monture fut des bouriques avec quoy nous traverfâmes le vieux Caire, & un canal du Nil qui a fort peu d'eau au temps que le Fleuve a prefque décru.

A la pointe d'une Ifle on voit une espece de Château qui appartient au Grand-Seigneur. Les Pachas y viennent demeurer quelques jours avant que l'on coupe l'eau pour la faire entrer dans le Kalis, & quelques jours aprés. Ce petit Château a un grand jardin rempli de palmiers, & une Mofquée. C'eft en ce lieu qu'eft la tour où l'on voit la colonne qui fert à marquer la croiffance du Nil. Aprés avoir traversé cette Ifle, on s'embarque dans des bateaux qui font là toû jours prêts pour paffer les gens au fortir du fleuve.

Nous defcendîmes à une gros bourg nommé Gizize. Ce lieu eft environ de

mille pas en comptant les Jardins,& il a de traverfe environ cent cinquante pas. Il fe fait là un gros commerce de peaux de bœuf & de buffe, de lin & de fafran. Les Marchands François y envoyent fouvent leurs Sanfals pour y négotier. On dit que le Prophete Jeremie y a été

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