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quelque chofe dedans, comme de l'argent & des fleurs. Il y a même des hommes nuds qui fe jettent plufieurs fois dans l'eau, comme s'ils l'embraffoient, & luy vouloient faire careffe. Quand le Soubachi l'a acccompagnée jusqu'au bout de la ville, il s'en retourne chez luy, & l'eau croift toujours à veüe d'œil, de maniere qu'elle porte des bateaux dés le foir mefme, fur lefquels on s'embarque pour aller voir un feu de joye que l'on fait fur un bras du Nil proche le vieux Caire. Je le fus voir comme les autres & il y avoit un monde prodigieux tant fur le Nil que fur la terre, & dans les maisons du vieux Caire qui font comme un fort long quay fur le rivage. Le devant de toutes ces maifons eftoit garny d'une fi grande quantité de lampes bien arrangées que les maifons en paroiffoient toutes en feu.Il y en avoit de toutes fortes de figures de bêtes,de la Lune,du Soleil ; &eeslampes fans fe pouvoir efteindre du. rent toute la nuit prefqu'au milieu de l'eau.

Deux des plus groffes barques navigent fur le Nil, avec deux hautes pyramides faites de charpente, & toutes remplies de lampes fort près l'une de l'autre. Ces lampes étoient dans un mouvement perpetuel; les unes defcendoient pendant

que les autres montoient avec affez de viteffe. D'autres fois elles paffoient d'un cofté à l'autre, & l'on ne voyoit perfonne qui les fift remü er. Rien n'eftoit plus agreable à voir. Un peu plus loin il y avoit fur une troifiéme barque un feu d'artifice en forme de fortereffe, qui fit un affez bel effet, quoy qu'il n'y euft rien de particulier que quelques fufées volantes qui montoient affez haut. Je revins après, & la clarté des lampes empefchoit que l'on ne s'apperçuft des tenebres.

Il y a un quartier dans cette Ville qu'on appelle la Contrée de Venize parceque le Conful Venitien y demeu. roit autrefois. Les Cordelires y ont une hofpice, & les Peres de la Propagande qui font du même Ordre. Ceux-cy me dirent qu'ils avoient trois Religieux dans Oxirynque Ville de la haute Egypte, que l'on nomme prefentement Acquemin. Je leur communiquay le deffein que j'avois d'en faire le voyage, &même d'aller plus loin. Ils loüerent beaucoup ma rẻfolution de vouloir entreprendre ce que jufqu'à prefent perfonne, c'eft à dire aucun Européen, n'avoit ofé faire à cause des perils & des fatigues qu'il faut fupporter. J'en parlay de même à M. le

Conful, ce qui le fit rire, croyant que je me mocquois; mais je luy fis connoître que je trouvois beaucoup de plaifir à aller où les autres n'alloient point, dans l'esperance d'y trouver des monumens antiques inconnus.

Je m'informay enfuite comment il faudroit que je fiffe mon voyage, & il n'y eut prefque perfonne qui ne m'en voulût détourner. Cependant plus on me difoit que c'eftoit un pays dangereux, & plus je me fentois de penchant à y aller. Le neuviéme de ce mois le Pacha nommé Juffant & Viceroy de tout ce Pays fut depoffedé par un Caïmacan qui prit fa place en attendant que le Pacha nommé à la Porte fût arrivé. Ce Gouverneur fut depofé à cause de fon peu d'application au gouvernement, & parce qu'il étoit trop attaché à fa Religion & à fes femmes. Quand le Pacha fut hors du Châ teau, & que l'Intendant de l'autre eut pris fa place, l'on vit aller par les rues du Caire, à l'entrée de la nuit, des hommes au nombre de 5. dont 3. portent des réchauds de fer au bout de longs bâtons, dans lefquels les 2. autres mettent des morceaux de boisde pin allumé pour leur fervir de flambeaux, & tous emfemble ils crient par les rües, la de miffion du Pacha.

Le 10. au matin plufieurs tambours & autres inftrumens annoncerent à la maifon du Conful le nouveau Pacha; on leur donna un fequin. Le 11. il fut fait une défense par un homme en Robe noire à tous les Francs de porter le turban & les Babouches jaunes,& de fe promener fur le Kalis. Ces fortes de défenses se font ordinairement quand il fe fait de nouveaux Pachas, pour obliger les nations à luy faire quelque prefent; ainsi l'on eft obligé les premiers jours de refter dans fa maison fans fortir de peur de quelque infulte.

Depuis le 12 jufqu'au 14 je me préparay pour mon voyage de la haute Egypte. Je fus chez plufieurs Sangiacs pour les prier de me recommander par lettres aux amis qu'ils ont dans ce Pays là. Les Sangiacs font la premiere Noblesse du Caire, ils font les plus magnifiques de la Ville, ils ont chacun environ quatre à cinq cens perfonnes dans leur maison. C'eft en chevaux neanmoins qu'ils fe picquent de faire de la dépenfe, & l'on en voit toûjours dans leurs écuries quarante à cinquante avec de tres-magnifiques harnois.

VII.

Voyage de la bante Egypte. Route de Boula à Manfalu. Ceux qui paffent pour Médecins font confiderez en ces lieux.

A

Prés avoir pris un Janiffaire pour m'accompagner dans mon Voyage, qui me coûtoit quatre Medinsbons le jour, & fait charger mes provifions fur des ânes, je partis le 14, armé d'un bon fufil à deux coups, de deux paires de piftolets, d'une épée & d'un fabre que je donnay à mon Janiffaire. Nôtre voiture fut des bouriques pour aller à Boula, où nous prîmes une barque fur les trois heu res aprés midy, avec laquelle nous cô toyâmes tout le bourg de Boula, & vimes de beaux jardins qui font de côté & d'autre du Nil.

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Quand nous fûmes au-de là du vieux Caire vers la pointe de l'Ifle qui eft au milieu du Nil, nous vîmes à main droite une belle maison que Selim Empereur des Turcs fit bâtir, quand il eut conquis l'Egypte fur les Soldans qui regnoient en ce Pays. Cette maifon s'appelle le Machias, nom qui femble tiré du Grec, comme qui diroit lieu de combat, ou quelque chofe d'approchant. C'eft en

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