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pagnie fi elles étoient folles. On fe prie à rire, & l'on me dit que par tous les lieux où je pafferois dans la fuite de mon voyage, je trouverois de ces fortes de filles à l'entrée des Villes & des Villages. Elles étoient là pour les allans & venans qui en voudroient,& cela fans rien payer. On m'ajoûta qu'en ce Pays l'ufage eft d'avoir un lieu d'hospitalité toûjours. rempli de filles avec un revenu pour les entretenir, afin qu'elles ne prennent rien de ceux qui ont besoin d'elles.

il

Dans la maifon où elles demeurent

y a trois ou quatre garçons. de Nubie. que l'on appelle au grand Caire des Barbarins. Ils y font une boiffon qu'ils vendent une forle la taffe, qui eft environ deux deniers de nôtre monnoye. Cetteboiffon qu'on nomme bouza fe fait avec du grain. & reffemble affez à de la biere, fi ellen'étoit pas fi épaiffe. Ces lieux ne manquent jamais de filles, puifque les riches. du Pays avant de mourir fe font un devoir de pieté d'y en mettre qu'ils achetent pour cela. Quand ces fortes de filles. deviennent groffes & qu'elles accouchent. d'un garçon, la mere eft obligée de l'élever jufqu'à trois ou quatre ans qu'on le mene chez le patron ou chez fes parens. où il eft regardé comme un efclave. Les

filles reftent toûjours avec leurs meres, & fervent de même dans les autres villages, où il en pourroit manquer.

En entrant dans Taata je fus dans un Café où mon Drogueman ne manqua pas à publier que j'étois un grand Médecin ; je m'informay là ou demeuroit le Gouverneur nommé Aga- Hibraim; parce que j'avois une lettre à lui rendre d'un de fes parens. La maifon de ce Gouverneur étoit affez belle en apparence, quoy que de terre comme toutes les autres du Pays, où les appartemens font tous à rez de chauffée. J'entray premierement dans un veftibule, enfuite dans une espece de falle, où aprés avoir un peu attendu, le Gouverneur vint me recevoir, & me fit entrer dans un lieu affez bien meublé à la Turque, c'est-à-dire de tapis affez beaux, & d'un divan fort propre garny de couffins de veloux rouge. Il me fit affeoir à côté de luy, & commença, felon la coûtume du Pays, à me faire donner une pipe, & enfuite du caffé. Je luy parlay de fon parent que j'avois vû au Caire, & luy en prefentay une lettre qu'il fit toucher à fa tête avant que de l'ouvrir; c'eft une marque de l'eftime qu'il en faifoit. Aprés qu'il eut lu la lettre, il me fit beaucoup d'offres de

fervices, & voulut que je demeurasse chez luy.

Le repas du foir fut du pilleau, des poulets bouillis, de petits morceaux de mouton rôti, & d'une efpece de foupe faite de pois chiches, mais fort claire, & des fruits aprés. A ces tables Turques qui font la terre couverte d'une nappe de cuir roux, l'on ne fe fert ny de cuillieres ny de fourchettes, ny de coûteau, les mains fervent de tout cela, auffi a-t'on grand foin de les laver. La nappe relevée, on apporta le forbet,car on ne boit point en mangeant; le caffé & la pipe vinrent enfuite. L'Aga me dit là deffus: Si tu as du vin je te donne la permiffion d'en boire; ce qui me fit un grand plaifir à caufe de leur mangeaille que j'avois trouvée fade, & qui me revenoit fur le cœur.

Comme je tirois une bouteille de ma canavette, l'Aga me fit figne d'aller à ma chambre où il me vint trouver. Il congedia ceux qui étoient venus avec luy, & comme nous étions feuls, il me demanda fi le vin étoit bon. Je luy prefentay la bouteille pour y goûter, ce qu'il fit de la bonne maniere, car d'un trait il en avalla plus de la moitié. Ce qui me confola,c'eft qu'il me dit qu'il

m'en feroit boire de meilleur, & qu'il en feroit ma provifion quand je partirois. Nous ne nous quittâmes point que la bouteille ne fût vuide. Dés le lendemain l'Aga fut prié de me mener chez un des principaux du lieu qui étoit malade. Franc, me vint dire l'Aga, je te prie bien fort d'aller voir un de mes freres qui eft malade. Je luy marquay qu'il n'avoit qu'à commander. Je pris donc des remedes fur moy; & nous fûmes ensemble chez le Chex-Affen, qu'une groffe fiévre avec une gros mal de tête tourmentoient. Comme l'on me dit que depuis trois jours il étoit dans cet état, fans d'autre cerémonie, je luy fis prendre une fort bonne doze de tartre émetique dans de l'eau un peu tiede,&le fis tenir bien chaudement. Je luy recommanday de boire deux fingans d'eau un peu chaude dans une heure, & que je le reviendrois voir environ ce temps-là.

Nous fâmes nous promener cependant dans de beaux endroits couverts de palmiers, avec un fufil que j'envoyay quetir, & j'y tuay des tourterell es & des pigeons dont il y a une tres grande quantité. En nôtre chemin nous rencontrâmes de beaux morceaux de colonnes de granite, & des marbres où il y avoit des Hiero

du

glyfiques deffus. Comme j'examinois ces monumens, l'Aga me dit: Tu regarde des ouvrages temps des premiers Infideles, je vais te mener à une de leurs Eglifes, où tu verras encore des hommes dedans. On n'eut pas marché 100 pas que j'apperçus comme dans un fonds les ruines de plufieurs Palais. Nous entrâmes dans un . où je m'aperçus qu'il m'avoit dit vray; car on y voit des figures peintes qui paroiffoient encore fraîches. A ce que j'a'y pû juger ces superbes bâtimens en ruine ont été autrefois des Temples bâtis de tres groffes pierres, & la plupart revêtus de marbre. L'architecture en eft fi belle que l'on ne fçauroit regarder les ruines de ces bâtimens fans chagrin. Nous y vîmes plufieurs ferpens, & entr'autres de ces ferpens aveugles dont la morfure eft fans remede.

Je fis femblant de chercher des fimples: dans ces vieilles ruines pour faire connoître à l'Aga que j'étois venu plûtôt pour cela que pour autre chose. Afin de l'engager donc à me faire voir encore d'autres monumens, je luy dis que quelquefois dans ces lieux détruits, il fe trouvoit des herbes d'une fi grande vertu, que quand on s'en fervoit à propos, elles étoient bonnes pour guerir toutes fortes.

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