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2.

Les noms des couleurs du Blafon, celui du Blafon même, d'origine Orientale.

Un principe fondamental & reconnu de tout le monde en fait de mots, eft que toute science a été inventée ou perfectionnée par le Peuple dont elle a emprunté le langage: c'est d'après ce principe que nous reconnoiffons pour nos maîtres les Phéniciens dans la Marine, & les Grecs dans l'Aftronomie, l'Anatomie & autres Sciences anciennes. Mais le nom du Blafon & ceux des couleurs qu'il employe font Orientaux; cette connoiffance eft donc venue de l'Orient; les Croisés la trouverent exiftante dans ces Contrées, ils la rapporterent avec fes mots : elle eft donc antérieure aux Croifades: & elle eut par conféquent des motifs abfolument differens de ceux qu'on lui affignoit fi mal. à propos, par une précipitation fans égale. Ainfi plus nous avançons dans nos recherches fur le Blafon & plus nous nous affurerons de la fauffeté de cette affertion, qu'il ne remonte pas au-delà des XI & XIIe fiècles & qu'il fur inventé par les Croifes, qui n'inventerent rien.

BLASON.

Dans le Dictionnaire Arabe de GIEUHARIS, qui vivoit au dixieme fiècle, & par conféquent avant les Croisades, on trouve le mot BLADZON avec les fignifications 1°. de Gens, Famille, Maison, & 2°. d'Infignia, Armoiries, fymboles d'une Maison.

Ainfi ce mot eft Oriental: il étoit connu dans l'Orient long-tems avant les Croisades; il est très-fignificatif, tenant à une Famille immenfe relative aux. mêmes idées; au lieu que chez les Nations Européennes, il n'offre aucune idée quelconque, il ne fe lie avec aucune Famille de mots, il eft abfolument ifolé, il s'y montre Etranger à tous égards.

Il en eft de même de la plupart des noms de couleurs: quel Peuple Européen fe feroit jamais avifé d'appeller le rouge gueule, le noir fable, le verd finople? Quel rapport ont ces noms avec leurs objets dans aucune Langue d'Europe? Cela n'eft point étonnant, ils ne font point Européens, ils ont été puifés dans la même fource que le nom du Blafon.

GUEULE.

GUEULE, pour défigner la couleur rouge, e Oriental Ghut, Gheul; qui fignifie rouge, rofe, &c. De-là, le nom d'un Poëme Perfan fort connu, le GHUL-ISTAN, ou l'Empire des rofes.

SABLE.

SABLE, nom de la couleur noire, eft un mot également Oriental; & qui prononcé Zébel, Zibel, fubfifte encore dans nos mots de fourures, MartreZibeline, mot-à-mot, Martre noire.

AZU R.

L'AZUR, couleur du ciel ou bleu, eft l'Oriental LAZURD qui défigne les mêmes objets, le Ciel & fa couleur ; & qui tient également à une nombreuse Famille Orientale.

SINOPLE.

el:

SINOPLE, nom de la couleur verte, s'eft refufé, quant à fon étymologie, aux recherches de tous les Erudits : ils n'ont avancé là - deffus que des conjectures ridicules. Les uns ont dit que fon nom venoit de la Ville de Sinope én Affe, comme fr elle fourniffoit une terre verte, tandis que la terre y eft rouge: les autres y ont vû une altération des mots Grecs Prafina opla, armes vertes, comme fi des armes étoient une couleur; comme s'il falloit aller chercher chez les Grecs des noms d'une Science qu'ils n'inventerent point. C'est un nom Orientál de même que ceux qui précédent; il eft composé de TSIN, herbe, verdure, & BLA, bled, le bled naiffant & d'un beau verd.

3.

Nombre des Couleurs, & leur diftinction en Emaux & en Métaux: & que ces objets font dus d'Orient & à fon Génie Allegorique.

Plus nous avançons dans le détail des objets relatifs au Blafon, & plus nous fommes obligés de convenir qu'il dut fon origine à l'Orient, & qu'il fut étroitement lié avec fon Génie Allégorique.

Les couleurs du Blafon font au nombre de fept; or, argent, les quatre dont

nous venons de donner l'étymologie, gueule, azur, sable, finople & le pourpre.

Eft-il néceffaire d'obferver que nous retrouvons donc ici la fameuse Formule de fept qui fervoit aux Egyptiens à combiner toutes leurs connoiffances; toutes leurs fciences; & que c'est une nouvelle preuve que ces choses ont été inventées dans l'Orient?

Ce n'eft pas tout: ces couleurs font divifées en deux claffes abfolument relatives aux Opinions Orientales: l'or & l'argent prennent le nom d'Emaux, & les cinq autres couleurs celui de Métaux; & outre cela, il eft de régle que l'or & l'argent ne foient pas employés enfemble dans un même champ.

Mais ceci nous conduit à la célèbre divifion des fept Planettes, dans laquelle le Soleil & la Lune font le Roi & la Reine de l'Univers, tandis que les trois autres, infiniment plus petites à l'œil, ne font que leurs Gardes ou Satellites. On diftingua donc néceffairement leurs couleurs en deux claffes; les couleurs du Roi & de la Reine furent appellées Emaux; celles de leurs Gardes ou Satellites, Méraux,

Les Emaux furent néceffairement l'or, couleur du Soleil, d'Apollon; & l'argent, couleur de la Lune ou de Diane.

Et comme le Soleil regne fur le jour, & la Lune fur la nuit, en forte qu'ils ne paroiffent jamais enfemble fur l'horifon, fur les champs des Gentes, des Familles à Armoiries, ce fut une régle néceffaire qu'ils ne miffent jamais enfemble les Emaux fur un même Blafon, ou fur le même champ.

Chacune des couleurs eut donc un rapport étroit avec une des fept Pla

nettes.

Rapport des Couleurs avec les Planettes, les Saifons, & les divers Etats de la vie.

L'Or représenta le Soleil, Roi du jour.
L'Argent, la Lune, Reine de la nuit.

Le Rouge, Mars, de couleur enflâmée, Dieu de la guerre.

Le Bleu, Jupiter, Roi du Ciel azuré: auffi cette couleur rappelle Ju piter dans les Livres de Blafon.

Le Verd, Vénus, Déeffe du Printems où renaît la verdure.

Le Pourpre, Mercure, Ministre des Dieux.

Le Noir, Saturne, Dieu du tems & de l'hyver, emblême de la mort. Ainfi chaque couleur avoit un district & des propriétés différentes, qu'elle

tenoit

tenoit de la Nature même ; & qui en déterminerent prefque toujours le choix ; car il falloit bien qu'elles fuffent affociées à leurs objets.

Le Verd fut la couleur du printems, de la jeunesse, où tout prend fon accroiffement; de l'espérance, puifqu'alors tout eft promeffe d'un avenir profpére, qu'on n'a qu'à espérer.

Le Rouge, couleur du fang, & de Mars Dieu des combats, fut celle des combats, des Héros, des Guerriers.

Le Pourpre, couleur plus tempérée, devint celle des Miniftres des Autels, comme elle l'étoit déjà de Mercure, Miniftre des Dieux.

L'Or & l'Azur furent celles des Rois Maîtres du Monde, & Chefs de la Justice qui s'exerce & fleurit fous leur protection & fous leur bon vouloir: d'ailleurs le Ciel azuré fut toujours l'emblême de cette Vertu fans laquelle rien ne peut profpérer: le Bleu étoit auffi la couleur de la Mer & celle des Marins. Le Noir, couleur du blême Saturne, & de l'hyver où tout eft mort, fut naturellement l'emblême de la mort, de la trifteffe, du deuil.

Le Blanc fut, au contraire, l'emblême de la joie, & fur-tout celui de la candeur, de l'innocence pure & fans tache.

Ces rapports font fi conformes à la Nature, qu'on n'a jamais pu s'en écarter & qu'ils fe font fentir par-tout, & qu'on leur obéit fans ceffe, nême en ne s'en doutant point.

Le Clergé, par exemple, s'y conforme exactement.

Sa couleur propre eft le pourpre : & il varie fes ornemens fuivant les cir conftances. Ils font

Blancs pour les Fêtes de Vierge.

Rouges pour les Pontifes.

Violets pour celles des Martyrs.

Noirs pour les Morts.

Ces obfervations font fi naturelles, que les Anciens s'en fervoient même pour leurs Divinités.

Cerès étoit peinte comme une blonde, à cause de la couleur des épis

de bled.

Apollon, jeune & aux cheveux d'or, étant le Roi de la Nature. Bacchus, comme un jeune homme gros & gras, au vifage rouge ou enluminé.

Vulcain, enfumé, au milieu de fes forges & de fes cavernes embrâfées. Minerve, aux yeux bleux, comme étant la Reine de la Voûte azurée : tandis que Junon étoit représentée, non avec des yeux de bœuf, Diff. Tom. I.

Cc

comme on a mal traduit, mais avec de grands yeux, parce qu'étant Reine de la Nature, rien ne peut échapper à fes regards.

Il en étoit de même en Egypte.

Le Dieu fuprême, le Créateur de l'Univers, étoit peint couleur de ciel. Ifis, ou la Nature univerfelle, avoit une robe de toute couleur; & fur la tête les quatre Elémens représentés par quatre cercles concentriques, ayant chacun la couleur d'un Elément.

Leurs Monumens, peints, doivent offrir à cet égard des points de comparaifon très-curieux, très-intéreffans; mais perfonne n'y a fait attention, parce qu'on n'a jamais cru que ces objets renfermaffent des vérités, & fuffent l'effet de la réflexion, & d'une parfaite conformité à la nature des choíes. ▲ Rome, aux jours de Fête, on coloroit de rouge ou de minion les Statues des Dieux: & dans les jours de triomphe, les Généraux Romains mettoient du rouge à leur vifage: c'eft ainfi que triompha Camille.

La convenance des couleurs étoit tellement obfervée, que les Chantres même des Poemes d'Homère s'habilloient de rouge pour chanter l'Iliade, & de bleu pour l'Odyffée, l'Iliade ne parlant que de combats, & l'Odyffée que de voyages par Mer. Ce coftume étoit obfervé même pour la couverture de ces Livres : un parchemin rouge enveloppoit l'Iliade, & un bleu l'Odyssée : on auroit pû les appeller le Livre rouge, & le Livre bleu.

Les Romains faifoient préfent d'un étendard bleu à ceux qui avoient remporté une victoire navale telle fut la récompenfe dont Augufte honora Agrippa, lorique fur les rivages de la Sicile il eut battu la flotte du jeune Pompée.

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Entre toutes les couleurs, la plus eftimée chez prefque tous les Peuples eft le rouge. Les Celtes le préféroient à toutes les couleurs : & chez les Tartares, l'Emir le moins riche a toujours une robe rouge pour les jours où il eft obligé de paroître en Public.

Cette couleur étoit chez les Romains celle des Généraux, de la Nobleffe, des Patriciens: ele devint par conféquent celle des Empereurs. Ceux de Conf tantinople étoient entierement habillés de rouge: ils étoient vêtus, chauffes, meubles de rouge: auffi le dernier de ces Princes ayant été érouffé dans la foule en combattant vaillaniment contre les Turcs qui prenoient fa Capi

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