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a déraisonné d'un bout à l'autre comme un Enfant, comme un efprit étroit, affervi par les préjugés les plus ridicules; & qui ayant fait difparoître fciemment les Monumens les plus intéreffans des Navigations anciennes, a été caufe que l'Afrique Méridionale a été perdue pendant XV fiècles

pour l'Eu

rope entiere: qu'on n'a rien compris à ce que l'Antiquité nous a dit des Voyages des Phéniciens & des flottes de Salomon, & que les efforts de ces grands Hommes, pour lier tout l'Univers, ont été en pure perte pour une foule de Générations.

O Hommes ! défiez-vous de ces Critiques fuperbes, qui cachent leur ignorance fous un ton impofant: qui croyent avoir un Privilége exclufif à la Science, & qui prenant leurs préjugés pour la raison, tournent le dos à la lumiere. Ce n'est pas elle qu'ils aiment : auffi les abandonne-t-elle ; mais malheur à ceux qui prennent pour guide ces Aveugles préfomptueux ! Nous allons voir que STRABON mérite plus que ces épithètes.

Lui & ceux qui l'ont fuivi prétendent que Ménélas n'a été que dans la Phénicie & dans l'Egypte, jusqu'à Syene à l'entrée de l'Ethiopie; que de-là il tourna chez les Arabes de la Mer-Rouge: & que fi Ménélas dit qu'il a été chez ces Ethiopiens & ces Arabes, ce n'eft pas pour dire qu'il avoit amassé chez eux de grandes richelles, car ils étoient fort pauvres ; mais feulement pour montrer qu'il avoit été dans des Contrées fort éloignées.

Quoi! Ménélas n'aura vu que les bords de la Mer Rouge, de droite & de gauche, & il vantera fes voyages lointains, & il aura employé huit ans à cette tournée, & il aura amaffé des richesses ailleurs que dans les Pays où il a voyagé! Tout cela eft fi pitoyable, qu'il ne vaut feulement pas la peine d'être refuté.

Homere étoit plus habile Géographe qu'eux: il nous trace ici en grand Maître, les Voyages des Phéniciens & des flottes de Salomon fi renommées dans l'antiquité, il les fuir pied-à-pied autour de l'Afrique.

De Chypre il paffe en Phénicie, de-là en Egypte : s'embarquant ici fur la Mer-Rouge, il voyage chez les Ethiopiens; mais ce mot fignifie les Noirs, les Nègres; c'étoit le nom générique de tous les Habitans de l'Afrique Méridionale: nous en verrons des preuves plus bas. Il fe trouve enfuite chez les Erembes, chez les Africains Occidentaux, chez ceux qui étoient des deux côtés du Détroit: au fortir de-là, il arrive néceflairement en LYBIE, c'est-àdire fur la côte Septentrionale de l'Afrique, entre le Warb & l'Egypte, d'où il revient chez lui par le chemin le plus droit. Ainfi fon voyage eft un périple, un vafte circuit fait par Mer, où il a toujours avancé vis-à-vis de lui, fans re

venis

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wenir fur fes pas. Ainfi il a été dans des Régions éloignées, dans ces Contrées abondantes encore de nos jours en or, en yvoire, en ébene, &c. Ainfi il a pu employer fept ans à faire ces voyages.

Dès-lors, on a fous les yeux le Tableau de ces grands Voyages anciens, qu'on affectoit de regarder comme fabuleux; la Géographie facrée & la profane, fe trouvent d'accord, Homere eft un grand Peintre, un grand Géographe: tout fe développe, tout eft dans l'ordre.

8.

Le Warb ou l'Arabie d'Afrique, a été également connu de Pline, du moins de nom, puifqu'en parlant (1) de la célèbre Navigation d'Hannon avec une Flotte Carthaginoife, il dit qu'étant parti de Cadix, il vint jufqu'à l'extrémité de l'Arabie. Or on fait que Hannon n'alla pas plus loin, que le Cap des TroisPointes. Il ne vit donc que l'Arabie Occidentale, le Pays des Erembes, le Warb, cette Arabie que perfonne n'a connue.

ARTICLE VL

VOYAGES DES PHÉNICIEN S.

I.

Un premier trait de lumiere, eft un flambeau qui conduit à de vaftes conféquences, qui fait tomber un voile épais, qui préfente d'immenfes & belles perspectives.

Dès qu'on eft affuré que les Phéniciens ont fait le tour de l'Afrique, ce Peuple en devient plus grand, plus habile, il marche de pair avec les Modernes; la Géographie ancienne fe développe, une foule de préjugés contre les Navigations des Anciens fe diffipent, le rapport ancien des quatre parties du Monde n'eft plus un Problême infoluble.

L'Antiquité a connu les Voyages autour de l'Afrique: Néchao en a fait exécuter un, nous l'avons vu , par des Phéniciens: ceux-ci ne furent ni les premiers ni les derniers. Ce Prince vouloit avoir part, au Commerce des Phéniciens: il vouloit, comme eux, dominer fur les Mers, effacer cette dépendance abfolue, dans laquelle les Egyptiens avoient été jufques alors à l'é

(1) Hift. Nat. T. II. Ch. LXVII.

Diff. Tom. I.

G

gard de ce Peuple; ainfi il fait faire le tour de l'Afrique, non pour s'affurer de fa poffibilité; les Phéniciens le faifoient depuis plufieurs fiècles; mais pour fon propre avantage; pour y établir des comptoirs, des Correfpondans en fon nom, pour faire tomber ce Commerce fous fa puiffance.

Les Phéniciens furent même imités en cela par les Négocians d'Espagne, puifque PLINE nous apprend (1) que Caius Célar, Fils d'Agrippa & de Julie, & Fils adop tif d'Augufte, étant à la tête d'une Flotte dans la Mer-Rouge, y reconnut les Pavillons de plufieurs vaiffeaux Espagnols, qui y avoient fait naufrage. Ils avoient donc fait le tour de l'Afrique. Il cite auffi Cælius Antipater, qui die avoir vu un Espagnol qui naviguoit pour fon Commerce, jufques dans l'Ethiopie.

Les Prolomées, qui étoient devenus Maîtres de tout le Commerce de l'Orient, entreprirent également de faire faire à leurs vaiffeaux le tour de l'Afri

que.

EUDOXE qui préfida à ce Voyage, en avoit publié une Relation qui exiftoit du tems de Strabon: lui-même engagea enfuite les Négocians de Cadix à former une Compagnie pour cette Navigation. Si Strabon avoit eu moins de préjugés, il nous auroit tranfmis la fubftance de cet Ouvrage ; mais il regarda Eudoxe comme un menteur, parce qu'il affuroit avoir paffé dans une Contrée où à l'heure de midi les ombres étoient tournées, non vers le Nord, mais vers le Midi : & là-deffus, Strabon eft aux champs, il crie à l'abfurdité: & d'après ce beau raisonnement, on ne croit plus au tour de l'Afrique, & les avantages qui en feroient revenus aux hommes, font perdus pendant des fiècles; & la Géographie ancienne n'eft qu'un cahos fur ces objets intéreffans.

Cependant un de fes Contemporains, Ariftonicus, qui avoit compofé un Traité fur les Voyages d'Ulyffe, affuroit que Ménélas avoit fait le tour de l'Afrique; il en appelloit à Homere, à l'Antiquité, à Eudoxe, aux richefes & aux longues courfes de Ménélas ; mais il n'étoit qu'un Grammairien: STRABON fe donnoit pour un Géographe auquel rien en ce genre n'étoit caché : l'orgueil du Géographe écrafa donc la modeftie du Grammairien, & la vérité en resta étouffée pendant XV fiècles.

Ce qui eft auffi étonnant, c'est que PTOLOMÉE n'ait rien dit de ce Voyage, ni du contour de l'Afrique, quoiqu'ARRIEN fon Contemporain, après avoir parlé comme lui des trois Caps Septentrionaux de l'Afrique Orientale, le Cap des Aromates aujourd'hui Guardafui, à l'entrée de la Mer-Rouge, le

(1) Hiftoire Naturelle Liv. 11. Ch. LXVII.

Cap Raphum au-deffus de Mélinde, & à vingt-sept journées, dit-il, du Cap des Aromates, le Cap Praffum, aujourd'hui le Cap du Chat, ou Del Gado, ajoute qu'entre ces deux derniers, demeuroient des Peuples Sauvages, qui se refufoient à tout commerce; qu'au de-là, la côte tournoit à l'Oucft: que P'Océan enveloppoit le Midi de l'Afrique, & qu'il ne formoit qu'une même Mer avec celle qui va jufqu'au Détroit de Cadix: rien n'eft mieux ; mais le filence de PTOLOMÉE que les Grecs & les Arabes prirent pour guide, joint aux préjugés de Strabon, l'emporta fur ces jufies notions; c'eft ainfi que l'ignorance ou la fauffe fcience lutte fans ceffe avec la vraie, & cherche à l'écrafer, fans fe mettre en peine ni de la vérité, ni des avantages qu'en retireroient les hommes.

Ajoûtons que ces mots Raphum & Praffum font Phéniciens, avec une terminaison Grecque qu'ils fignifient; celui là, uni, étendu; celui-ci efcarpé; & c'eft fans doute, par la même raifon, qu'on l'appelle aujourd'hui le Cap du Chat, animal grimpant, tel qu'il faut être pour efcalader des lieux escarpés.

2.

RÉPONSES A QUELQUES DIFFICULTÉS.

Une des plus fortes objections qu'on ait faites au fujet de ces Voyages, eft tirée de la prétendue impoffibilité de faire fur Mer des voyages de long

cours fans Bouffole.

On a également oppofé les terribles difficultés qu'eurent à vaincre les Por tugais pour faire le même tour, & les affreufes tourmentes du Cap de BonneEspérance.

Mais des objections, quelque fpécieuses qu'elles foient, ne peuvent aller contre des faits: & celles-ci font mêmes très-aifées à détruire.

Le chemin que les Portugais furent obligés de prendre pour faire le tour de l'Afrique, eft précisément l'oppofé de celui que prenoient les Phéniciens; peut-être la Navigation étoit-elle plus aifée dans le premier cas, que dans le second: on double le Cap plus facilement, & enfuite pouffé en pleine Mer par les vents, on trouve la Côte Occidentale avec moins de peine qu'il n'en faut pour le rendre du Cap-Verd, au Cap de Bonne-Espérance. La Côte Orientale d'Afrique eft d'ailleurs moins longue, plus égale, moins coupée de courans que la Côte Occidentale.

Il est même très-apparent que dans l'espace de deux mille ans & plus, écoulés depuis les premieres navigations des Phéniciens, le Cap de Bonne

Espérance eft devenu beaucoup plus difficile à doubler, plus efcarpé, plus: coupé de bancs, que dans l'origine : il eft très-vraisemblable que le banc des Aiguilles, qui embarraffe fi fort cette Navigation, s'eft formé par le débris des terres que la Mer a rongées de ce côté par la violence de fes vagues, & qu'anciennement la pointe de l'Afrique, formoit une Côte circulaire, unie & fur laquelle les flots venoient mourir, au lieu de fe brifer contre, avec cette impétuofité qui rend ces Côtes fi orageufes.

Les Phéniciens d'ailleurs avoient des entrepôts très-confidérables fur eetteroute à l'Orient, les Ifles Comores & l'Ile de Madagascar; à l'Occident, le: Royaume de Juida en Guinée.

DE L'ISLE DE MADAGASCAR..

L'Isle de Madagascar, très-grande, très-belle, fe préfentoit nécessairement aux Phéniciens qui defcendoient de la Mer-Rouge au Midi pour leur Com merce & qui côtoyoient l'Afrique : ils durent donc y former des Comptoirsde très-bonne-heure, & y établir des Colonies, avant même qu'ils en euffent à Cadix. Et ces Comptoirs faifant le Commerce avec les Côtes voisines, du-rent de très-bonne-heure, découvrir le Cap de Bonne Efpérance, & chercher les moyens d'unir le Commerce du Midi à celui de Cadix..

Ces préfomptions font fortifiées par les ruines qu'on trouve encore de nos jours dans les Ifles de Comore, & qui démontrent qu'elles ont été habitées par un Peuple plus induftrieux, plus éclairé que les Nègres.

Elles le font également par le rapport étroit des langues de l'Ile de Madagas car avec la Phénicienne. On ne fauroit jetter les yeux fur les Dictionnaires de ces Langues, l'un publié dans le fiècle dernier par FLACOURT qui y avoit été Gouverneur pour les François, l'autre imprimé depuis peu dans l'Ifle Bour, bon, fans y reconnoître une prodigieufe quantité de mots Phéniciens, même. dans les noms de lieux, & en particulier dans ceux des chiffres.

4.

DU ROYAUME DE JU ID 4.

Mais ceci eft fur-tout vrai du Royaume de Juida en Guinée. Il est établi dans le plus beau local de cette vafte Contrée, fur de belles rivieres, dans de vaftes plaines extrêmement fertiles, & qui s'élèvent en amphithéâtres qui do-minent majestueulement fur la mer : fon nom rappelle celui des Juifs, de même.

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