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Nous avons démontré que l'homme étant un Etre intelligent, il étoit nécessairement un Etre parlant, puifque la parole eft le miroir de l'intelligence, fon organe propre, fon véhicule celui par lequel elle fe développe, elle fe communique, s'inftruit, & fe perfectionne : qu'ainfi, la parole eft un acte aussi naturel à l'homme que ces fenfations qui le constituent Etre fenfible & animal, & dont aucune ne dépend de lui.

Que la parole étant naturelle à l'homme, & par conféquent, tout ce qu'on difoit du langage comme l'effet de la convention & de longues recherches, étant une pure chimère, il en réfulte que la parole eft l'effet des organes de l'homme mis naturellement en jeu par fon intelligence pour peindre fes idées : & que de ces organes réfultent des fons, & des tons naturels élémens néceffaires de la parole, & dont l'étendue eft telle,qu'elle fe prête à tous les befoins de la parole; parce que ces fons & ces tons ont entr'eux toutes les propriétés néceffaires pour peindre toute l'étendue des idées; tous les objets physiques & moraux, fources de ces idées.

Que de là résulta nécessairement une maffe de mots primitifs, monofyllabiques, qui peignent la Nature entiere, & qui ne purent jamais varier, parce qu'on ne pouvoit pas employer pour chaque objet un mot plus propre, plus fignificatif, plus conforme à l'idée qu'on vouloit peindre.

Que ces mots formerent la Langue primitive dont aucun Peuple ne put s'écarter; mais que chacun put étendre ces élémens, & les développa en effet de trois manieres, en en dérivant d'autres par l'addition de quelques terminaifons, en les affociant deux à deux, trois à trois, ou en les modifiant par des Prépofitions initiales.

Qu'il n'existe aucun mot dans aucune Langue qu'on ne puisse

ramener à l'une ou l'autre de ces quatre claffes; mots primitifs ; dérivés, binomes & compofés.

Que la vraie maniere d'étudier les mots d'une Langue, eft de les réunir par Familles nombreuses, en raffemblant fous chaque mot primitif, tous ceux qui en font descendus, parce qu'au moyen de cette Méthode on apperçoit à l'inftant la raifon d'une prodigieuse quantité de mots, & qu'il n'en eft aucun qui ne fasse tableau, & qui ne foit d'autant plus fatisfaifant qu'il a dès-lors une énergie qui eft à lui, pleine de force & de vérité, fort fupérieure à l'état inanimé qu'il offroit, lorfqu'on ne le confidéroit que comme l'effet du hasard & de la convention, & comme ayant fi peu de rapport à l'idée qu'il offroit, qu'on auroit pu l'employer pour en défigner d'oppofées.

De-là réfulte la facilité de ramener toutes les Langues à une, au moyen des mots primitifs communs à tous, combinés avec les divers Modes du Langage, ou avec les fons que chaque Peuple adopte de préférence, par la facilité avec laquelle ils fe fubftituent les uns aux autres, phénomènes fondés fur la Nature, foumis au calcul & à des régles certaines & peu nombreuses.

Que de-là résulte enfin cet Art Etymologique, fi long-tems & fiinutilement cherché, parce qu'on fe livroit à ces recherches au hafard, fans principes, fans aucune connoiffance de caufe: qu'on fe bornoit fur-tout à remonter avec peine d'une Langue connue à une autre; en paffant des Langues modernes au Latin ou au Grec,& de celles-ci à l'Hébreu,fans penfer à fe rendre compte des Langues Orientales elles-mêmes : ce qui n'étoit rien faire.

Paffant de-là à l'origine de l'Ecriture dont on ne pouvoit également se rendre raison faute de principes, nous avons démontré qu'elle a également sa source dans la Nature; que de même qu'on avoit pris celle-ci pour guide dans l'Art de la parole, on

avoit également été obligé de la prendre pour guide dans l'Ecriture: qu'on n'avoit eu qu'à peindre chacun des objets que représente chaque lettre, & que la Parole fe trouva peinte par l'Ecriture: que de-là naquirent les lettres alphabétiques dont les voyelles peignent la Langue des fenfations, tout ce qui eft relatif aux fens à l'Ecriture & à la propriété; & dont les confonnes peignent la langue des idées, tout ce qui eft relatif aux qualités des objets & à leurs rapports.

Nous avons vû de plus que l'enfemble des objets peints par ces voyelles & par les confonnes, eft relatif à l'homme pour qui feul l'écriture fut inventée, & qui eft d'ailleurs le centre de toutes les connoiffances: qu'ainfi l'A peignit premierement l'homme lui-même; E,fon vifage; O,fon œil; OU,fon oreille; I, fa main; R, fon nez; S, fes dents; B, fa maison; P, la bouche entr'ouverte & la Parole; K, la Langue & les lèvres ́; AL, les aîles & les bras ; C & G, la gorge; M, la mere de famille; N, fon nourriffon; Th, le fein qui le nourrit ; H, le champ cultivé des mains de l'homme; Q, la force avec laquelle il agit, les inftrumens tranchans, agens de cette force. Enfin T, la perfection, l'ensemble de tout; cette figure peignant l'homme, qui, les bras étendus,embraffe l'Univers, & forme la figure de la Croix, l'Emblême conf tant de la perfection & de l'accompliffement de tout.

Nous avons vu en même tems que cet Alphabet remontoit à la plus haute antiquité, & qu'antérieur à la difperfion des Peuples, il fe retrouvoit chez toutes les Nations qui ont écrit ou écrivent, & de qui il refte quelque monument écrit ou gravé: qu'il n'existe, en un mot, aucune écriture qu'on ne puiffe ramener avec quelque attention à celle-là; même l'écriture des Indiens, même celle des Chinois, chez qui nous avons montré les mêmes caractères avec la même valeur.

Ces principes une fois établis, il en eft résulté une nouvelle force, en faveur de ce que nous avions dit des rapports intimes des Langues d'Occident avec celles d'Orient; & pour confirmer nos vues fur la vraie & antique prononciation de celles-ci, altérées par le laps de tems & par la facilité qu'ont les fons de fe fubftituer les uns aux autres, d'autant plus que les générations fucceffives d'un même Peuple operent, dans une feule Langue, les mêmes altérations que la diversité des Peuples occasionne dans une même Langue, en un même efpace de tems.

De l'Analyse des Langues,

Difons un mot de la maniere dont nous fomines parvenus à analyser cette multitude de Langues dont nous parlons dans le Monde Primitif, qui ne nous étoient pas toutes connues lorsque nous commençâmes d'y travailler, & qui nous ont été d'une fi grande utilité pour parvenir à la démonstration de nos principes & à la découverte du Monde Primitif.

Nous n'eûmes pas de peine à fentir que les Langues que nous favions, & auxquelles on borne le nom de favantes, le Latin, le Grec & l'Hébreu, ne fuffifoient pas pour nous dévoiler l'origine des Langues & celle des Nations; qu'il falloit pouffer nos recherches plus loin, afin de pouvoir confulter un plus grand nombre de monumens, & d'avoir le plus grand nombre possible d'objets de comparaison. Nous commençâmes donc à étudier l'Arabe, d'après la méthode que nous avions conçue, & en mettant à part les mots que nous connoiffions pour les avoir vus dans les Langues que nous favions déjà : c'étoit autant de gagné, & un grand encouragement pour notre travail : nous vîmes, par ce moyen, que nous favions déjà beaucoup d'Arabe, fans l'avoir étudié. Nous passâmes à d'autres Langues, & nous fîmes

la

la même épreuve avec le même succès; ce fuccès fut tout autre, lorfque d'après les rapports qui nous frappoient, nous nous fumes fait une clef comparative des changemens que chaque lettre éprouvoit dans chaque Langue; car dès lors les rapports furent infiniment plus nombreux & plus intéreffans. Nous n'avions qu'à prendre un Primitif quelconque, ouvrir tous nos Dictionnaires, d'après cette clef, & en peu de tems nous raffemblions une Famille nombreuse, compofée de mots de toutes les Langues, formés de ce primitif, & préfentant les mêmes idées.

De-là, notre Alphabet primitif, notre Langue primitive, l'O rigine du Langage & de l'Ecriture, la Grammaire Univerfelle, tout l'ensemble de nos Dictionnaires. Voyant dès-lors qu'aucune Langue ne pouvoit nous réfifter, nous jugeâmes que c'étoit le moment de nous livrer à d'autres Recherches, en y procédant d'après les mêmes principes, & en profitant de l'avance prodigieufe que nous donnoit la clef des Langues: fur tout, la connoiffance du Langage figuré que nous trouvâmes toujours fondé fur la Nature & fur la valeur phyfique des mots : ce qui devint encore pour nous une feconde clef d'une reffource infinie pour le développement & l'intelligence des énigmes mythologiques, & pour redreffer celle d'une multitude de monumens anciens qu'on avoit affreufement défigurés par la privation de ces deux admirables clefs. Grammaire Univerfelle & Comparative.

Les mots font les Élémens de la Parole comme les cous leurs font les Élémens de la Peinture; mais afin que ces mots puiffent fe réunir en Tableaux & peindre les idées, il faut les affortir entr'eux de maniere qu'ils correfpondent aux diverfes parties de l'idée ; & les unir de façon qu'ils ne forment qu'un tout comme elle. De-là résulte la Grammaire ou l'Art de peindre les idées : elle nous apprend quelles espéces de mots répon Differt. Tome I.

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