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pour se fouftraire au funefte effet de ces loix. Celui-ci, pénétré de reconnoiffance, refufa tout, à caufe de l'expatriation qui en devenoit la bafe, & il donna lieu au Régent de réfléchir fur la bifarrerie des circonftances qui le mettoient dans l'impoifibilité d'être utile à d'excellens fujets, à moins qu'ils n'aban⚫donnaffent leur Patrie, & qu'il ne pût plus fe fervir d'eux.

Ce qu'il ne crut pas devoir faire alors à des conditions auffi avantageuses, il fut obligé de le faire plus tard, en abandonnant tout, lorsque les loix pénales, qui furent renouvellées à la majorité du Roi, peferent avec une force fans égale fur lui & fur une famille qu'il ne pouvoit plus rendre heureuse dans le fein de fa Patrie.

Ayant tout facrifié au devoir, & ne pouvant nous laiffer du bien, il voulut du moins nous laiffer la SCIENCE, titre avec lequel on n'eft étranger nulle part; avec lequel on peut fe rendre utile à tous en fe faifant du bien à foi-même. D'ailleurs nous étions demeuré seul d'une nombreuse famille, & nous en étions devenu plus précieux.

Il nous dévoua à l'étude, & il avoit à cet égard les plus grandes vues : il jugea fans doute à notre docilité, à notre patience, à notre taciturnité, telle qu'à huit ans, le Spectateur nous parut un homme étonnant, parce qu'il étoit accoutumé à ne parler que par geftes, que nous pourrions faire de grands progrès dans les fciences fpéculatives, & reculer les bornes des connoiffances humaines, fur lesquelles il lui paroiffoit qu'il y avoit encore prodigieufement à faire.

Il fut notre premier Maître dans un tems où à peine pouvionsnous bégayer: il nous donna enfuite tout ce qu'il put trouver ; de plus habiles Inftituteurs : il nous lia avec de Grands-Hommes; l'amitié qu'on avoit pour lui rejailliffoit fur nous; il auroit voulu

que nous euffions embraffé l'univerfalité des connoiffances hu maines. Ce qu'un homme a pu faire, nous difoit-il, un autre doit l'exécuter il nous fit donc étudier diverfes Langues, le Latin, le Grec, l'Anglois, l'Hébreu, &c.

Mais les Langues n'étoient confidérées que comme moyen : il fallut donc étudier d'autres chofes : l'Hiftoire ancienne & mo derne, Sacrée, Eccléfiaftique, Nationale; la Géographie, la Chro nologie, les Voyages, les Antiquités, la Théologie, les BellesLettres, la Mythologie : toutes les Religions du monde, pour connoître en quoi elles s'accordent, jufqu'à quel point elles font la vérité : il fallut en même-tems acquérir des notions plus ou moins étendues des Mathématiques, de l'Aftronomie, de la Physique, du Droit : fur-tout, pofféder cette heureuse & fage Philofophie, qui fait fufpendre son jugement fur tout, pour mettre tout au creufet de la raison; & analysant tout, aller chercher la vérité au fond du puits.

Comme les idées nettes fe rendent nettement par la parole, il voulut auffi que nous puffions les rendre nettement, librement, & très-couramment par l'Ecriture; il nous fit faire même quelquefois, à cet égard, des tours de force uniques, & qui nous ont infiniment valu, pour nous faciliter cette immense quantité d'Extraits & d'Ecritures de toute efpece que nous avons été obligés de faire, de Dictionnaires même entiers qu'il nous a fouvent fallu copier avantage fans lequel nous euffions fuccombés fous le poids des recherches.

Il nous fit auffi apprendre le deffin, connoissance qui paroît étrangere à un Homme de Lettres, & qui nous a été très-utile pour copier & pour nous rendre propres les monumens de tous les fiecles, de même que pour compofer les planches & les cartes du Monde Primitif, Nous faififfons même avec empreffe

ment

ment cette occafion de témoigner notre reconnoissance à un Prince de Weftphalie, M. le Comte de la Lippe, qui nous associa aux leçons qu'il prenoit dans ce genre.

Notre excellent PERE, digne de tous nos regrets, & fecondé par une Epoufe d'une force d'ame peu commune, qui veilla fans cesse à notre éducation, & qui ne vivoit que pour sa famille, ménageoit en même tems nos forces & notre fanté peu ferme, par des exercices modérés, afin que nous euffions dans un corps fain, un jugement fain : & dans la belle faifon nous allions fou vent paffer quelques jours dans la campagne de M. Louis de Chefeaux, Gentilhomme auffi diftingué par fon efprit, fes connoiffances & fon mérite, que par fon rang. Il avoit deux fils; l'un devenu un des premiers Savans de l'Europe, peut-être le plus grand Aftronome depuis Newton : l'autre plus jeune & de qui nous avions l'avantage d'être compagnon d'étude : tous élevés fous les yeux de leur mere, fille du célébre Philofophe de Crous faz; & par fon goût & fes lumieres, digne de fon illuftre Pere.

Tems heureux! Maifon chérie! dont nous ne perdrons jamais le fouvenir, & à laquelle nous faififfons, de même avec empreffement, cette occafion de rendre nos hommages, de même qu'à l'Homine grand & refpectable dans la maifon de campagne de qui nous écrivons ceci : & qui depuis que nous avons le bonheur de le connoître, veut bien en quelque façon nous tenir lieu de tant de pertes; l'AMI des HOMMES, pouvoit-il ne pas avoir quelqu'amitié pour l'Auteur du Monde Primitif?

Mais pour en revenir à nos études, nous nous y prêtions de notre mieux, autant que pouvoient le permettre la diffipation de la jeuneffe, une fanté long-tems foible, une mémoire lente & cruelle qui fe refufoit à tout ce qu'elle ne concevoit pas.

Diff. T. 1.

B

Néceffité de refondre ces Etudes.

Parvenus à l'âge où l'on prend un état & où nos Camarades d'étude étoient déjà avantageufement placés, nous ne crumes pas devoir les imiter & fuivre à cet égard les confeils fages & prudens d'une fortune au-deffous du médiocre ; nous renonçâmes courageufement à toute vue d'établiffement ordinaire, pour revenir fur nos études, afin de les perfectionner d'après nousmêmes ; & de parvenir s'il se pouvoit à la folution d'une foule de difficultés dont nous avions cherché en vain l'explication dans tout ce qui exifloit, perfuadés que fi nous y parvenions, nous trouverions dans la chofe même notre récompenfe & l'établissement le plus conforme à une perfonne dévouée aux Lettres & à la vérité.

En effet, nous ne pouvions nous diffimuler, qu'ayant examiné ou appris tout ce qu'on avoit dit & écrit sur ces objets, il n'en réfultoit que longueur, obfcurité & ignorance; nous avions vu qu'on ne favoit rien de positif fur l'origine des Peuples & fur celles des Sociétés : qu'on foutenoit à cet égard avec la même vraisemblance le pour & le contre : qu'on ne favoit pas un mot de l'origine des Langues; qu'on déraifonnoit fur l'Ety mologie; qu'on avoit perdu toute idée du rapport intime des Langues d'Occident avec celles d'Orient; qu'on avoit perdu jufques à la vraie maniere de lire celles-ci : que toutes les Grammaires n'étoient qu'imperfection : qu'on ne fe doutoit pas même de l'origine de la Parole: encore moins de celle de l'Ecriture: qu'on ignoroit abfolument la vraie maniere d'étudier les Langues; les Méthodes qu'on employoit pour cela, étant en général longues, faftidieufes, livrées à une routine qui ne connoiffoit guères que l'ufage, & avec le fecours de laquelle on ne pouvoit apprendre

qu'un très-petit nombre de Langues, fans être en état d'en expliquer les procédés & de s'élever au-deffus de leurs régles.

que les

Que la plupart des anciens monumens étoient muets, parce qu'on ne favoit ni les interroger, ni s'élever au-deffus d'une lettre morte & fans vie : qu'on les expliquoit, de même Langues, plutôt par routine que par une vraie & folide connoiffance; enforte qu'on ne voyoit dans l'Antiquité que ruine & que décombres, là où on auroit dû voir fcience, fageffe & ordre merveilleux.

Qu'on ne fe doutoit pas des vraies limites de la Fable & de l'Hiftoire: qu'on en faifoit le plus malheureux mélange,changeant l'Hiftoire en Fable & la Fable en Hiftoire : que c'étoit fur-tout à l'égard de la Mythologie qu'on s'étoit égaré : les explications qu'on en donnoit étant incapables de fatisfaire un homme raisonnable, parce qu'elles étoient prefque toujours contraires au fens commun, & qu'elles n'offroient qu'un cahos qui donnoit lieu à toutes fortes de difficultés : qu'on s'attachoit à des traditions qui n'amenoient à rien, tandis qu'on ne faifoit nulle attention à des faits ou à des procédés importans, au point qu'il falloit souvent faire le plus grand cas de tel monument qu'on rejettoit comme indigne d'attention & négliger tel autre qu'on croyoit merveilleux.

Que fi quelques vérités avoient eu affez de force pour percer à travers tant d'erreurs, tant d'inconféquence, & un fi grand defordre, elles reftoient fans énergie & fans fuccès. On peut même dire que nous n'offrons peut-être aucune vérité qui n'ait été fentie ou apperçue dans un tems ou dans un autre, & qui ne foit entrée dans quelque fyftême vrai ou faux: telle eft en effet la vé rité, qu'elle ne peut fe laiffer fans témoignage, & qu'elle perce nécessairement à travers le brouillard le plus épais; mais les hom mes, offusqués par les préjugés, méconnoiffoient celles-ci, & elles

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