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cieusement que j'avois bien rabattu de ma diligence. Je ne lui répondis point & je me laiffai conduire à l'appartement d'Aurore, qui me demanda dès que je parus, fi je m'étois bien informé de Ď. Luis. Oui, Madame, lui dis-je, & je vais vous apprendre en deux mots ce que j'en fçai. Je vous dirai premierement qu'il partira bientôt pour s'en retourner à Salamanque achever fes études. C'est un jeune Cavalier rempli d'honneur & de probité. Pour du courage, il n'en fçauroit manquer,puifqu'il eft Gentilhomme & Caftillan. De plus, il a beaucoup d'efprit & les manieres fort agréables; mais ce qui peut-être ne fera gueres de votre goût, c'eft qu'il tient un peu trop de la nature des jeunes Seigneurs; il eft diablement libertin. Sçavez-vous qu'à fon âge, il a déja eu à bail deux Comediennes ? Que m'apprenez-vous, reprit Aurore? Quelles moeurs! Mais êtes vous bien assuré, Gil Blas, qu'il mene une vie' fi licencieufe? Oh je n'en doute pas, Madame, lui repartis-je. Un valet, qu'on a chaffé de chez lui ce matin, me l'a dit, & les valets font fort finceres, quand ils s'entretiennent des défauts de leurs maîtres.

maîtres. D'ailleurs, il frequente Dom Alexo Segiar, Dom Antonio Centellés, & Dom Fernand de Gamboa. Cela feul prouve démonftrativement fon libertinage. C'est affez, Gil Blas, dit alors ma maitreffe en foupirant ; je vais fur votre rapport combattre mon indigne amour. Quoiqu'il ait déja de profondes racines dans mon coeur, je ne defefpere pas de l'en arracher. Allez, pourfuivit-elle en me mettant entre les mains une petite bourse qui n'étoit pas vuide, voilà ce que je vous donne pour vos peines.Gardez-vous bien de reveler mon fecret. Songez que je l'ai confié à votre filence. J'affurai ma maîtreffe qu'elle pouvoit demeurer tranquile & que j'étois l'Harpocrate des valets confidens. Après cette affurance, je me retirai fort impatient de fçavoir ce qu'il y avoit dans la bourfe. J'y trouvai vingt piftoles. Auffitôt je penfai qu'Aurore m'en auroit fans doute donné davantage, fi je lui cuffe annoncé une nouvelle agréable, puifqu'elle en payoit fi bien une chagrinante. Je me repentis de n'avoir pas imité les gens deJustice qui fardent quel* C'étoit chez les Anciens le Dieu du Silenceà

Tom. II.

B

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quefois la verité dans leurs procès ver◄ baux. J'étois fâché d'avoir détruit dans fa naiffance une galanterie qui m'eût été très-utile dans la fuite. J'avois pourtant la confolation de me voir dédommagé de la dépense que j'avois faite fi mal à propos en pommades & en parfums. Pass Bass:dsdsdsdsdsds

CHAPITRE III

Du grand changement qui arriva chez Dom Vincent; & de l'étrange refolulution que l'amour fit prendre à la belle Aurore.

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L arriva peu de tems après cette avanture, que le Seigneur D. Vincent tomba malade. Quand il n'auroit pas été dans un âge fort avancé, les fymptômes de fa maladie parurent fi violens, qu'on eût craint un évenement funefte. Dès le commencement du mal on fit venir les deux plus fameux Medecins de Madrid. L'un s'appelloit le Docteur Andros,& l'autre le Docteur Oquetos. Ils examinerent attentivement le malade & convinrent tous deux, après une exacte obfervation,que les humeurs

étoient en fougue; mais ils ne s'accorderent qu'en cela l'un & l'autre. Il faut, dit Andros, fe hâter de purger les humeurs, quoique crues, pendant qu'elles font dans une agitation violente de flux & de reflux, de peur qu'elles ne fe fixent fur quelque partie noble. Oquetos foutint au contraire qu'il falloit attendre que les humeurs fuffent cuites, avant que d'employer le purgatif. Mais votre methode, reprit le premier, eft directement oppofée à celle du Prince de la Medecine. Hippocrate avertit de purger dans la plus ardente fiévre dès les premiers jours, & dit en termes formels qu'il faut être prompt à purger, quand les humeurs font en orgasme, c'est-àdire en fougue. Oh, c'eft ce qui vous trompe, repartit Oquetos. Hippocrate par le mot d'orgasme n'entend pas la fougue; il entend plutôt la coction des

humeurs.

Là-deffus nos Docteurs s'échauffent. L'un rapporte le texte grec & cite tous les Auteurs qui l'ont expliqué comme lui; l'autre s'en fiant à une traduction latine, le prend fur un ton encore plus haut. Qui des deux croire? D. Vincent n'étoit pas homme à décider la queftion,

Cependant fe voyant obligé d'opter, il donna fa confiance à celui des deux qui avoit le plus expedié de malades, je veux dire au plus vieux. Auffitôt Andros, qui étoit le plus jeune, fe retira, non fans lancer à fon ancien quelques traits railleurs fur l'orgafme. Voilà donc Oquetos triomphant. Comme il étoit dans les principes du Docteur Sangrado, il commença par faire faigner abondamment le malade, attendant pour le purger que les humeurs fuffent cuites; mais la mort qui craignoit fans doute qu'une purgation fi fagement differée ne lui enlevât fa proye, prévint la coction & emporta mon maître. Telle fut la fin du Seigneur Dom Vincent, qui perdit la vie, parce que fon Medecin ne fçavoit pas le grec.

Aurore, après avoir fait à fon pere des funerailles dignes d'un homme de fa naiffance, entra dans l'adminiflration de fon bien. Devenue maîtreffe de fes volontez, elle congedia quelques domefti ques en leur donnant des récompenfes proportionnées à leurs fervices, & se retira bientôt à un château qu'elle avoit fur les bords duTage entreSacedon & Buendia. Je fus du nombre de ceux qu'elle

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