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ties. Il ouvrit le rideau pour s'éclaircir par fes propres yeux de la caufe du bruit qu'il entendoit, mais la lumiere qu'on avoit laiffée dans la cheminée s'étoit éteinte, & bientôt il oüit une voix foible & languiffante, qui appellaBlanche à plufieurs reprises. Alors fes foupçons jaloux le tranfporterent de fureur, & fon honneur alarmé l'obligeant à fe lever pour prévenir un affront ou pour en tirer vengeance, il prit fon épée, il marcha du côté que la voix lui fembloit partir. Il fent une épée nuë qui s'oppose à la fienne. Il avance, on fe retire. Il pourfuit, on fe dérobe à fa pourfuite. Il cherche celui qui femble le fuir, par tous les endroits de la chambre autant que l'obfcurité le peut permettre, & ne le trouve plus. Il s'arrête. Il écoute & n'entend plus rien. Quel enchantement! Il s'approche de la porte dans la pensée qu'elle avoit favorifé la fuite de ce fecret ennemi de fon honneur, mais elle étoit fermée au veroüil comme auparavant. Ne pouvant rien comprendre à cette avanture, il appella ceux de fes gens qui étoient le plus à la portée d'entendre fa voix; & comme il ouvrit la porte pour cela, il en ferma le paffage & se tint fur

Tome II.

E

ies gardes, craignant de laiffer échapper ce qu'il cherchoit.

A fes cris redoublez, quelques domeftiques accoururent avec des fiambeaux; il prend une bougie & fait une nouvelle recherche dans la chambre en tenant fon épée nuë. Il n'y trouva toutefois perfonne,ni aucune marque apparente, qu'on y fût entré. Il n'apperçut point de porte fecrette, ni d'ouverture par où l'on eût pû paffer. Il ne pouvoit pourtant s'aveugler lui-même fur les circonftances de fon malheur. Il demeura dans une étrange confufion de pensées. De recourir à Blanche, elle avoit trop d'interêt à déguiser la verité, pour qu'il en dût attendre le moindre éclairciffement. Il prit le parti d'aller ouvrir fon coeur à Leontio, après avoir renvoyé fes gens en leur difant qu'il croïoit avoir entendu quelque bruit dans la chambre & qu'il s'étoit trompé. Il rencontra fon beau-pere qui fortoit de fon appartement au bruit qu'il avoit oui; & lui racontant ce qui venoit de fe paffer, il fit ce recit avec toutes les marques d'une extrême agitation & d'une rofonde douleur.

Siffedi fut furpris de l'avanture. Quoi

qu'elle ne lui parût pas naturelle, il ne laiffa pas de la croire veritable; & jugeant tout poffible à l'amour du Roy, cette penfée l'affligea vivement. Mais bien loin de flatter les foupçons jaloux de fon gendre, il reprefenta d'un air d'affurance que cette voix qu'il s'imaginoit avoir entendue, & cette épée qui s'étoit oppofée à la fienne,ne pouvoient être que des phantômes d'une imagination féduite par la jaloufie : qu'il étoit impoffible que quelqu'un fût entré dans la chambre de fa fille: qu'à l'égard de la trifteffe qu'il avoit remarquée dans fon époufe, quelqu'indifpofition l'avoit peut-être caufée : que l'honneur ne devoit point être refponfable des alterations du temperamment: que le changement d'état d'une fille accoutumée à vivre dans un defert & qui fe voit brufquement livrée à un homme qu'elle n'a pas eu le tems de connoître & d'aimer, pouvoit bien être la caufe de ces pleurs, de ces foupirs & de cetre vive affliction dont il fe plaignoit; que l'amour dans le coeur des filles d'un fang noble ne s'allumoit que par le tems & par les fervices: qu'il l'exhortoit à calmer fes inquie tudes: à redoubler fa tendreffe & fes

empreffemens pour difpofer Blanche à devenir plus fenfible; & qu'il le prioit enfin de retourner vers elle, perfuadé que fes défiances & fon trouble offenfoient fa vertu.

Le Conneftable ne répondit rien aux raifons de fon beau-pere, foit qu'en effet il commençât à croire qu'il pouvoit s'être trompé dans le defordre où étoit fon efprit, foit qu'il jugeât plus à propos de diffimuler, que d'entreprendre

inutilement de convaincre le vieillard d'un évenement fi dénué de vrai-femblance. Il retourna dans l'appartement de fa femme, fe remit auprès d'elle & tâcha d'obtenir du fommeil quelque re lâche à fes inquietudes. Blanche de fon côté, la trifte Blanche n'étoit pas plus tranquile. Elle n'avoit que trop entendu les mêmes chofes que fon époux, & ne pouvoit prendre pour illufion une avanture dont elle fçavoit le fecret & les motifs. Elle étoit furprife qu'Enrique cherchât à s'introduire dans fon appartement, après avoir donné fi folemnellement fa foi à la Princeffe Conflance. Au lieu de s'applaudir de cette démarche & d'en fentir quelque joye, elle la regardoit comme un nouvel outrage, & fon

coeur en étoit tout enflammé de colere. Tandis que la fille de Siffredi prévenuë contre le jeune Roy, le croyoit le plus coupable des hommes, ce malheureux Prince le plus épris que jamais de Blanche, fouhaitoit de l'entretenir pour la raffurer contre les apparences qui le condamnoient. Il feroit venu plutôt à Belmonte pour cet effet, fi tous les foins dont il avoit été obligé de s'occuper, le lui euffent permis, mais il n'avoit pû avant cette nuit fe dérober à fa Cour. Il connoiffoit trop bien les détours d'un lieu où il avoit été élevé, pour être en peine de fe gliffer dans le château de Siffredi, & même il confervoit encore la clef d'une porte fecrette, par où l'on entroit dans les jardins. Ce fut par là qu'il gagna fon ancien appartement & qu'enfuite il paffa dans la chambre deBlanche. Imaginez-vous quel dut être l'étonnement de ce Prince d'y trouver un homme & de fentir une épée oppofée à la fiende. Peu s'en fallut qu'il n'éclatât & ne fit punir à l'heure même l'audacieux qui ofoit lever fa main facrilege fur fon propre Roy. Mais le ménagement qu'il devoit à la fille de Leontio fufpendit fon reffentiment. Il fe retira de la même E

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