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rent. Le coup qui l'avoit frappée étoit mortel. Elle tomba fur le corps mourant de fon époux, & le fang de l'innocente victime fe confondoit avec celui de fon meurtrier, qui avoit fi brufquement executé fa cruelle réfolution, que le Roi n'en avoit pû prévenir l'effet.

Ce Prince infortuné fit un cri en voyant tomber Blanche; & plus frappé qu'elle du coup qui l'arrachoit à la vie, il fe mig en devoir de lui rendre les mêmes foins qu'elle avoit voulu prendre, & dont elle avoit été fi mal récompenfée. Mais elle lui dit d'une voix mourante: Seigneur, votre peine eft inutile. Je fuis la victime que le fort impitoyable demandoit. Puifle-t-elle appaiser fa colere, & affùrer le bonheur de votre regne. Comme elle achevoit ces paroles, Leontio, attiré par les cris qu'elle avoit pouffez, arriva dans la chambre & faifi des objets qui fe prefentoient à fes yeux, il demeura immobile. Blanche fans l'appercevoir, continua de parler au Roi. Adieu, Prince, lui dit-elle; -confervez cherement ma memoire. Ma tendreffe & mes malheurs vous y obligent. N'ayez point de reffentiment contre mon pere.Menagez fes jours& fa douleur

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& rendez juftice à fon zele. Sur tout, faites-lui connoître mon innocence. C'est ce que je vous recommande plus que toute autre chose. Adieu, mon cher Enrique... je meurs... recevez mon dernier foupir.

A ces mots, elle mourut. Le Roi garda quelque tems un morne filence. Enfuite il dit à Siffredi qui paroiffoit dans un accablement mortel: voyez, Leontio, contemplez votre ouvrage. Confiderezdans ce tragique évenement le fruit de vos foins officieux & de votre zele pour moi. Le vieillard ne répondit rien, tant il étoit penetré de douleur. Mais pourquoi m'arrêter à décrire des chofes qu'aucuns termes ne peuvent exprimer. Il fuffit de dire qu'ils firent l'un & l'autre les plaintes du monde les plus touchantes, dès que leur affliction leur permic de faire éclater leurs mouvemens,

Le Roi conferva toute fa vie un tendre fouvenir de fon amante. Il ne put fo réfoudre à épouser Conftance. L'InfantDom Pedre fe joignit à cette Princeffe, & tousdeux ils n'épargnerent rien pour faire. valoir la difpofition du teftament de Roger; mais ils furent enfin obligez de ceder au Prince Enrique, qui vint à bout de fest

Gij per

ennemis. Pour Siffredi, le chagrin qu'il eut d'avoir caufé tant de malheurs, le détacha du monde, & lui rendit infupportable le féjour de fa Patrie. Il abandonna la Sicile, & paffant en Espagne avec Porcie, la fille qui lui reftoit, il acheta ce château. Il vêcut ici près de quinze années après la mòrt de Blanche, & il eut avant que de mourir la confolation de marier Porcie. Elle époufa Dom Jerôme de Silva, & je fuis l'unique fruit de ce mariage. Voilà, pourfuivit la venve de Dom Pedro de Pinarés, l'histoire de ma famille, & un fidele recit des malheurs qui font reprefentez dans ce tableau, que Leontio mon ayeul fit faire pour laiffer à fa pofterité un monument de cette funeste avanture.

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CHAPITRE

****

V.

De ce que fit Aurore de Gufman, lorfqu'elle fut à Salamanque.

Rtiz,

íes

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compagnes & moi, après

avoir entendu cette hiftoire, nous fortîmes de la falle, où nous laiffâmes Aurore avec Elvire. Elles y pafferent le

refte de la journée à s'entretenir. Elles ne s'ennuïoient point l'une avec l'autre, & le lendemain quand nous partimes, elles eurent autant de peine à fe quitter, que deux amies qui fe font fait une douce habitude de vivre ensemble.

Enfin nous arrivâmes fans accident à Salamanque. Nous y loüâmes d'abord une maison toute meublée ; & la Dame Ortiz, ainsi que nous en étions convenus, prit le nom de Dona Kimena de Guzman. Elle avoit été trop long-tems Duegne, pour n'être pas une bonne actrice. Elle fortit un matin avec Aurore, une femme de chambre & un valet, & fe rendit à un hôtel garni,où nous avions appris que Pacheco logeoit ordinairement. Elle demanda s'il y avoit quelque appartement à louer. On lui répondit qu'oui, & on lui en montra un affez propre, qu'elle arrêta. Elle donna même de l'argent d'avance à l'hôtesse, en lui difant que c'étoit pour un de fes neveux qui venoit de Tolede étudier à Salamanque, & qui devoit arriver ce jour

là.

La Duegne & ma maîtreffe après s'être affurées de ce logement, revinrent fur leurs pas, la belle Aurore fans per

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dre de tems, fe travestit en Cavalier. Elle çouvrit fes cheveuxnoirs d'une fauffe chevelure blonde, fe teignit les fourcils de la même couleur, & s'ajufta de forte qu'elle pouvoit fort bien paffer pour un jeune Seigneur. Elle avoit l'action libre & aifée, & à la referve de fon vifage qui étoit un peu trop beau pour un homme, rien ne trahiffoit fon déguisement. La fuivante qui devoit lui fervir de

page, s'habilla auffi, & nous n'apprehendions point qu'elle fit mal fon perfonnage: outre qu'elle n'étoit pas des plus jolies, elle avoit un petit air effronté qui convenoit fort à fon rôle. L'aprefdinée, ces deux actrices fe trouvant en état de paroître fur la fcene, c'est-àdire dans l'hôtel garni, j'en pris le chemin avec elles. Nous y allâmes tous trois en carroffe, & nous y portâmes toutes les hardes dont nous avions befoin.

L'hôteffe, appellée Bernarda Ramirez, nous reçut avec beaucoup de civilité & nous conduisit à notre appartement, où nous commençâmes à l'entretenir. Nous convînmes de la nourriture qu'elle auroit foin de nous fournir, & de ce que nous lui donnerións pour cela tous les mois, Nous lui demandâmes en

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