Imágenes de páginas
PDF
EPUB

& des tours trop fleuris. Toutes ces chofes font contraires à la vraifemblance. En effet le Lecteur veut qu'on lui faffe illufion. Il cherche des Bergers qui s'entretiennent naïvement des avantures d'une vie fimple & unie, & non pas des Courtifans. Il s'attend à trouver des Bergeres Innocentes, & non des précieuses & des Coquettes, qui débitent des fentences galantes avec un rafinement d'expreffions, telles qu'un métaphyficien fubtil, les employeroit à peine. Les hautes fpéculations de la Philofophie, les traits de morale & d'Hiftoire, ne doivent pas avoir place dans de pareils entretiens. Eh! qui ne feroit étonné d'entendre dire à un Berger en parlant d'un autre.

Il ne connoît nul art en aimant qued'aimer, Son cœur ne fut jamais trop prompt à s'enflammer,

Il aime, mais forcé par les yeux d'une

belle,

Et fon amour devient un éloge pour elle

Le bonheur d'être aimé,n'eft pour lui qu'un

bonheur,

Il en fent le plaifir, & renonce à l'hon

neur,

Il n'en prend point le droit d'augmenter fon audace,

Les faveurs qu'on lui fait, font toujours une grace.

Je ne cite que ce morceau d'un Auteur célébre dans lequel on en trouve plufieurs autres femblables, où il tache en vain de fe cacher fous les habits du Berger, il eft impoffible que l'on s'y méprenne. Nos jeunes Seigneurs s'exprimeroient-ils en pareille matiere, avec plus d'efprit & d'agrément? cependant quelque joli que foit cet endroit, il n'eft point naturel, & dès lors il n'eft point dans le vrai gout de la Poëfie paftorale; une comparaison rendra la chofe plus fenfible. Qu'un peintre entreprenne de tracer un païfage, & qu'il me présente ici des prairies Couvertes de troupeaux, & entre

coupées de ruiffeaux, là, des feuillages épais ou des arbres placez comme au hazard; plus loin des Cabanes ruftiques, fur le penchant d'un Coteau chargé de vignes & d'autres objets femblables, fon tableau fera dans le vrai: ne s'en écarteroit-il pas étrangement s'il of roit à mes regards un vafte jardin, dont les allées régulieres accompagnées d'un parterre bien def fine, conduiroient à des bofquets, taillés en fimétrie & ornés de ftatuës de marbre? Ce dernier fpectacle n'auroit certainement rien de champêtre.J'en dis autant des Bergeres galantes introduites dans les Eglogues modernes. On les a défigurées en voulant les polir. Eiles ont beau parler de moutons & de chiens, de mufettes & de houlettes. Le rafinement du refte de leur langage, les démafque & les trahit. On a mis la tête d'une coquette, fur les épaules d'une Païfanne. Segrais, cet Auteur qu'on ne lit prefque plus', traite l'Idille & l'Eglogue avec cette fimplicité

naturelle, mais cependant noble & décente qui leur convient: tout le monde connoit le beau morceau, qui commence par ces mots :

Heureux qui vit en paix, du lait de fes brebis, &c.

Fait-il parler des Bergers de tendreffe? que leur langage & leur ton font differens de celui que nous venons d'entendre! Leurs idées, leurs difcours, fe reffentent de l'ingénuité de leurs moeurs. L'amour ne refpire en eux que la candeur du bon vieux tems: ils font tendres, mais non Métaphyficiens. C'eft du fentiment mis en Vers & non de l'efprit prodigué: je n'en veux d'autre preuve que cet endroit.

Timarete s'en est allée,

L'ingrate méprifant mes foupirs & mes pleurs,

Laiffe mon ame défolée

A la merci de fes douleurs.

Je n'efperai jamais qu'un jour elle eût

envie

De finir de mes maux le déplorable cours,
Mais je l'aimois plus que ma vie,
Et je la voyois tous les jours.

Il femble que ces Vers n'ayent dû coûter à Segrais que le tems de les écrire, tant ils font coulans & naturels, au lieu que les premiers que nous avons cités ont demandé

grands efforts pour y mettre de la fineffe, & néanmoins ceux-ci étoient plus faciles. On s'écarte plus aisement de la belle nature qu'on ne la faifit: les Fables de la Fontaine,ces ouvrages fi naïfs, n'ont été les fruits que de l'étude la plus opiniâtre & de la méditation la plus profonde: UnConte de fée où l'on a mis en œuvre les geans, les Palais d'émeraudes, les génies & tout l'attirail de la férie, a demandé moins de contention d'ef prit, que n'en a exigé la fable des femmes, & du fecret: tout peintre habile peut donner des morceaux d'invention, mais tout peinre n'eft pas Rigault, ni la Tour, &

tel

« AnteriorContinuar »