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voulut auffi déïfier les hommes. Plus l'Ode s'éloigna de fon origine plus elle embraffa d'objets. Pindare n'avoit célébré que les Dieux, les Héros & les Athlétes; Alcée les Guerriers, Sappho la tendreffe, Anacréon ne chanta que les plaifirs de la table & ceux de l'amour. Du caractere de ce dernier Poëte mêlé avec celui de Pindare, Horace chez les Latins s'en fit un particulier qu'on n'a point encore imité parmi nous. Lors donc que j'ai marqué la grandeur & la nobleffe du fujet pour premiere qualité de l'Ode; je n'ai penfé qu'à ramener l'Ode à fa premiere deftination, fans prétendre que cette Majefté du fujet lui foit abfolument effentielle, puifque les Odes amoureufes & bachiques font de véritables Odes; ainfi pour éviter la confufion, il fera bon de diftinguer l'Ode Héroïque, de l'Ode Anacréontique:par Ode Héroïque, j'entends celle où l'on fe propofe l'Eloge d'un Héros, d'une vertu, d'une belle action, celle

qui roule fur la Morale, ou fur des événemens célébres. Par Ode Anacréontique, j'entens celle qui choifit des objets rians, tels que la table ou la galanterie. La différence des genres nait de la différence

des objets, & celle-ci une fois établie, il n'eft pas difficile de conclure que le premier caractere d'une Ode Héroïque dépendra du choix & de la Majefté du fujet. En effet, s'il eft grand, il influera fur tout l'ouvrage, il infpirera des pensées nobles à l'Esprit, il fournira à l'imagination des tours hardis & brillans, qui ne fe rencontrent pas dans un fujet commun ou médiocre. II en eft d'un Héros vulgaire, comme de ces Athlétes que chantoit Pindare, il tariffoit bien-tôt fur leur Chapitre, & fe trouvoit obligé de s'étendre fur les louanges des Héros & des Demi - Dieux connus dans la Fable, dans l'Hiftoire par leur adreffe à manier le Cefte, ou à conduire des Chars. Ainfi un Poëte fe trouve quelquefois comme forcé de tirer de fon imagina

tion des reffources que la ftérilitě de fon fujet lui refufe. Il eft rare que l'Art du Peintre pallie bien dans fes occafions ou répare le défaut de la matiere. Les Odes de M. Rouffeau fur l'homme, fur les Conquérans, fur la naiffance du Duc de Bretagne font admirables; cependant je ne crains pas d'avancer que quelques-unes de fes Odes facrées font encore fupérieures par une raifon de fentiment: c'eft que les Grandeurs de Dieu même, c'eft que les vérités éternelles en font le fondement, & que ces mêmes objets répandent à leur tour dans l'ame du Poëte, je ne fçais quelle élévation qui produit le fublime de fentimens.

2o. M. de la Mothe dans fon difcours fur l'Ode définit le Sublime, le vrai & le nouveau réunis dans une grande idée, exprimés avec élégance & avec précifion. Mais on a démontré contre lui que cette derniere qualité n'eft point effentielle au Sublime. Le fameux paffage de la Genese admiré par

Longin, ne laisse pas d'être fublime, quoiqu'il ne foit pas exprimé avec élégance. Quant à la briéveté, elle ne lui eft pas plus néceffaire, puifque dans les Poëtes on trouve des endroits vrayement fublimes traités avec une jufte étendue, & quelquefois même amplifiés; ainfi pour définir le Sublime qui convient à l'Ode (j'entens toujours l'Ode Héroïque) en adoptant la premiere partie de la définition de la Mothe, j'ajoûterois que ce Sublime doit être exprimé avec force & avec véhémence; car quoiqu'en général la fimplicité ne foit pas oppofée au Sublime, elle l'eft cependant au Sublime Lirique qui ne confifte guéres moins dans la beauté du ftyle, que dans celle des chofes. Il ne fuffit pas d'y être fort de chofes, il y faut encore être fort d'expreffions; mais ce qui rendra toujours cette efpéce de fublime très-difficile à atteindre, c'eft qu'il dépend moins de l'efprit que du Coeur. La grandeur & la Nobleffe du fentiment en eft le feul princi

pe, il n'appartient qu'à une ame grande & élevée de penfer des chofes fublimes. Un efprit jufte & délicat, une imagination riante peuvent faifir le vrai & produire du nouveau, mais la grande idée celle qui frappe, qui étonne, qui transporte, naît de l'élévation du cœur. Un Poëte de nos jours a fait un grand nombre d'Odes dans lefquelles on ne trouve pas un feul trait fublime, quoiqu'on y rencontre par tout du vrai & du nouveau exprimé avec élégance. C'étoit un Philofophe aimable, mais phlegmatique. L'exactitude de fa raison étouffa le feu de fon imagination; fon efprit étoit très-brillant, & fon coeur capable de fentimens tendres. Sans pouvoir s'élever au-deffus de cette fphere, il ofa entrer en concurrence avec un homme que fes malheurs ont rendu célébre, & dont les ouvrages Liriques remplis de traits fublimes & véhémens; malgré les efforts de l'envie feront admirés dans tous les tems. Il a dit après David:

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