Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Ode

Anac. de

M. de la Mothe. Ode 15.

Buvons, amis, le temps s'enfuit ;
Menageons bien ce court espace;
Peut-être une éternelle nuit
Eteindra le jour qui fe paffe.

Peut-être que Caron demain
Nous recevra tous dans fa barque;
Saififfons un moment certain,
C'eft autant de pris fur la Parque.

A l'Envi laiffons-nous faifir,
Aux transports d'une douce yvreffe
Qu'importe, fi c'eft un plaifir,
Que ce foit folie ou fageffe?

Ce feroit bien ici le lieu de parler de nos Cantates, genre tout nouveau pour nous, infiniment fupérieur à ces riens Anacreontiques, comme les a nommé leur Auteur lui-même, fi je n'y refervois un article particulier. Il conviendroit peut-être encore de faire connoître les Poëtes Liriques les plus célébres, tant Anciens que Modernes, Pindare, Anacréon, Horace, Malherbe, la Mothe & Rousseau.

Une Cabale a vainement prétendu déprimer celui-ci pour élever fon Rival, ce n'eft plus un problême aujourd'hui de fçavoir qui des deux l'emporte quelqu'ingénieux que foit le premier, on ne fçauroit le propofer pour modéle dans un genre d'écrire, où la véhémence & le feu que cet Auteur ne pofféda jamais font d'une néceffité abfolue. Quant aux autres, M. de la Mothe dans fon difcours fur l'Ode a tracé leurs caracteres avec tant de jufteffe & de précifion, que ce qu'on pourroit dire de plus, ne les feroit pas mieux connoître. D'ailleurs ils font entre les mains de tout le monde, & c'eft dans eux-mêmes qu'ils faut les chercher.

Son ftyle impétueux fouvent marche au hazard,

Chez elle un beau défordre eft un effet de

l'art.

L'Enthoufiafme eft la caufe du De PE

défordre qui produit dans la Poë- thoufiaf

me.

fie Lirique un effet merveilleux, & n'eft en lui-même qu'une imagination vivement échauffée, quoique toujours dirigée par la raison. Les grands mots de feu divin, de verve Poëtique, d'infpiration, n'en développent pas la nature. On ne l'acquiert point par les préceptes, -il eft originel, parce qu'il ne dépend pas de nous d'avoir l'imagination vive & brillante, comme il en dépend de perfectionner notre raifon par le fecours de l'étude & de la réflexion. Mais lorsqu'on en fent une fois les étincelles, on ne doit plus être attentif qu'à difcerner jufqu'où l'imagination doit aller pour plaire, & quand il est à propos de réprimer fon impétuofité; ; car il n'eft pas vrai qu'elle doive être pouffée jufqu'à une forte de fureur, & les Auteurs qui pour nous en donner quelqu'idée, la comparent à l'infpiration des Sibilles & des Pithies, n'en ont eux-mêmes aucune idée diftincte. Pour moi j'entens par enthoufiafme un état réel de l'ame, qui for

tement

tement occupée d'un objet, recueillie en elle-même, pénétrée des idées & des fentimens qu'elle éprouve, s'éleve au grand & au fublime:pour atteindre à la hauteur de ce même objet, elle cherche les penfées & les expreffions les plus nobles, accumule les figures les plus hardies, multiplie les comparaifons & les images les plus juftes, rapproche & faifit des rapports éloignés, parcourt la nature & en épuife les richeffes, pour les ramener à fon fujet, & l'embellir. Je dis, pour les ramener à fon fujet : car il eft permis de s'en écarter quelquefois, pourvû que ces écarts ne foient point choquans, que ces digreffions ne foient pas longues, & que le Poëte fçache fe pofféder en maîtrifant fon imagination par le fecours d'un jugement raffis. C'eft en cela que confifte le défordre également éloigné de la confufion de Pindare & de la marche géométrique de quelques Modernes. L'ordre, je le fçais, est d'une utilité reconnue, c'eft lui Tome I.

Р

qui de diverfes parties qui fembloient n'avoir entr'elles aucun rapport, forme un ensemble ou tout, par un lien commun, fe rapporte à une même fin, mais il ne doit pas trop fe manifefter; fi on le devine dès l'abord, il ne manque pas de rebuter par fa féchereffe & fa monotonie. Des vérités philofophiques froidement analifées, réduites en principes & en conféquences, de belles idées exactement déduites les unes des autres, ne forment qu'un enchaînement de penfées qui peuvent convaincre l'efprit. Une Ode doit l'étonner & l'échauffer, le faire voler de merveille en merveille, & non pas le traîner pefamment fur des objets méfurés au même niveau. Ce n'eft pas à dire pour cela qu'il foit permis aux Modernes d'imiter Pindare dans ces longues & fréquentes excurfions, que l'ingratitude de fa matiere le forçoit malgré lui de faire, ni d'introduire dans une Ode toutes les penfées qui leur viendroient au hazard, fans choix

« AnteriorContinuar »