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PRINCIPES

POUR

LA LECTURE

DES POËTES.

PREMIERE PARTIE.

Du Génie, de la Rime, de la Diction

E Génie eft de néceffité
dans tous les arts, mais

Nécef il doit dominer en Poë- fité du fie: c'eft lui qui diftin- Génie. gue le Poëte du Verfificateur; car il faut mettre une grande différence entre le Méchanifme du Vers & la Poëfie elle même. On pourroit n'ignorer rien des regles concernant Tome I.

A

la conftruction des Vers, fçavoir exactement les noms, les défininitions & les qualités propres à chaque genre de Poëfie, fans mériter pour cela le nom de Poëte, toutes ces connoiffances n'étant que l'éxtérieur & l'écorce de la Poëfie; comme il ne fuffit pas pour être éloquent de fçavoir les préceptes de la Réthorique, fi l'on ne joint à cette Théorie, le talent d'appli quer les regles aux fujets que l'on traite. C'est donc le Génie qui carractérise le Poëte. Que fi l'on demande en quoi confifte ce Génie; je réponds que c'est la difpofition, la facilité que la nature a accordée à certains hommes d'imaginer hardiment, & de peindre vivement Les objets par le fecours des expreffions, avec une harmonie plus foutenue & plus marquée que celle de la Profe; ou pour parler encore plus précisément, c'eft un jugement exquis, foutenu d'une ima gination vive & brillante commun à tout ce qu'on appelle beaux arts; Ufe diverfifie fuivant les objets qu'il

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embraffe, & retient par- tout le nom de Génie s'occupe-t-il des rapports des nombres pour calculer le mouvement & l'action des Globes qui forment cet univers & par des opérations auffi profon des que merveilleuses, parvient-il à rendre raifon des phénomenes de la nature? c'eft le Génie de la Phifique & de la Géometrie ; Defcartes & Newton l'ont eû: fe propofe t'il de perfuader en ajoutant à la force des raifons l'art d'emouvoir, & celui de plaire par les agrémens du ftile? c'eft le Génie de l'Eloquence, tel que l'ont poffedé Demofthenes & Ciceron: dirige t'il le pinceau qui trace fur la toile les actions des Héros ? conduit-il le çifeau qui donne au marbre les traits de leur vifage? c'eft le génie de la peinture & de la fculpture; il a brillé dans le Brun & dans Girardon; mais ce Génie, qui dépend beaucoup de la difpofition plus ou moins heureuse & de la fenfibilité plus ou moins grande des organes eft une chofe plus aiz

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fée à décrire qu'à définir exacte ment. Il feroit à fouhaiter que Virgile, Rouffeau ou Mr. de Voltaire euffent bien voulu nous expofer de quelle maniere leur ame étoit affectée, quand ils ont enfanté leurs plus beaux Vers. Le Génie Poëtique, s'il m'eft permis de dire ce que j'en penfe, me paroît être ce qu'Horace nomme quelque part, fplendida bilis: une efpece de feu central qui éleve l'efprit, qui échauffe l'imagination, qui fait penfer avec nobleffe & peindre avec force, different feulement par le dégré de vivacité du Génie de l'Eloquence qui s'accommode mieux du phlegme, & s'accorde mieux avec le jugement.

Dans tous les arts d'imitation & par confequent en Poëfie, le Génie réfulte donc du concert de l'imagination & du jugement. L'un dirige toujours l'efprit au vrai, & par confequent au beau

l'autre embellit les objets, mais toujours avec fageffe, avec discretion. L'af femblage de ces dons fe rencontre

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