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Phédre

A&te IV.

Scene 6.

de la Rime à moins qu'on ne veuille confondre la Poëfie avec la Profe. Le voici.

Où me cacher? fuyons dans la nuit infernale,

Mais que dis-je, mon Pere y tient l'urne fatale.

Le fort, dit-on, l'a mise en les févéres mains.

Minos juge aux Enfers tous les pâles hu

mains.

Indépendamment de l'habitude ces Vers font très-beaux & trèsharmonieux ; feroient-ils le même plaifir, fi on les changeoit de la forte?

Où me cacher? fuyons dans l'infernale

nuit,

Mais, que dis-je, mon Pere y tient l'urne fatale.

Le fort, dit-on, l'a mife en fes févéres

mains.

Minos juge aux Enfers tous les pâles mor

tels.

Qu'euffent été que des Poëmes entiers & des Tragédiés écrites

de la forte? cependant M. de la Mothe avoit compofé une Tragé die d'Oedipe en Profe qu'il comptoit faire représenter s'il met Oedipe en Profe, dit à ce fujet M. de Voltaire, je mettrai Inés ,, en Vers, " l'on fçait affez que les beautés de cette piéce de M. de la Mothe, ne confiftent ni dans la nobleffe, ni dans l'harmonie de la verfification.

دو

ridiculum acri

Fortius ac melius magnas plerumque fe

cat res.

Horace

du bel

On veut être nouveau dans tout Fureur ce que l'on écrit, & l'on facrifie efprit. tout à ce defir. Un Auteur veut avoir de l'efprit aux yeux de fesLecteurs, & dans l'ivreffe que lui caufe cette paffion, il oublie ce qu'il leur doit d'ailleurs.

La plupart emportés d'une fougue in

Art

Poët.

fenfée, Toujours loin du droit fens vont chercher Chant leur pensée.

Ils croiroient s'abbaiffer dans leurs Vers

monftrueux,

S'ils penfoient ce qu'un autre a pû penfer

comme eux.

prem,

Uniquement occupé du foin de leur plaire, il néglige celui de les inftruire. Or le grand Art en écrivant n'eft pas d'avoir feul de l'ef prit,il confifte bien davantage à faire croire à fesLecteurs qu'ils en ont; & à leur faire goûter ce qu'on leur dit, qu'à leur faire admirer la maniere dont on le dit. Si l'avidité qu'ils ont naturellement pour tout ce qui plaît fe trouve fatisfaite pendant quelques momens, l'amour propre qui ne leur eft pas moins naturel, fe choque & murmure contre un Auteur qui fait tout pour luimême, & rien pour les autres. Leur vanité délicate s'irrite de ne trouve que l'Ecrivain dans tout fon ouvrage. Le commun des hommes aime qu'on fe proportionne à fes lumieres, qu'on l'éclaire, & non pas qu'on l'éblouiffe. La raifon feule & le bon fens les mettent à leur aife, au lieu que l'affectation du bel efprit les fatigue. Eh! quelle contention ne faut-il pas pour fuivre un miftérieux tiffu de pensées, quelle pé

nétration pour en deviner le fens? Je n'en veux pour exemple que Seneque dont l'Empereur Caligu la appelloit le ftyle un monceau de fable fans ciment, un tas dont les parties ne font point de corps & s'approchent fans fe lier.On ne le lit pas long-tems fans dégoût, on a même quelquefois pitié de le voir courir après une antithefe, on fouffre du foin qu'il prend de terminer fa phrase par une pointe qui en énerve la force, & ôte à fes moralités une partie de leur prix. C'eft peutêtre ce qui a fait dire à M. de S. Evremont, que fi les phrafes coupées de Seneque avoient l'air de fentences, elles n'en avoient pas tou jours la folidité : il eft à craindre d'ailleurs que la multitude & la variété de ces penfées brillantes ne forment des idées confufes qui fe chaffent l'une l'autre qui ne laiffent dans l'efprit qu'une admiration paffagere, fans y porter aucune utilité réelle & permanente. Je fçais que dans les ouvrages de pur agrément (fi l'on peut

,

dire qu'il y en ait absolument de cette efpéce) ce ftyle brillanté plaît & rejouit par la surprise qu'il caufe: néanmoins à juger fainement des chofes, on conviendra que rien n'eft plus éloigné de la nature que certains écrits modernes, dont les graces prétendues ne font aux yeux du bon goût que du clinquant dont le premier afpect féduit, & qui ne cache au fond qu'un vuide méprifable.

Abon- Il est dangereux de vouloir épuidance fu- fer un fujet que l'on traite.

perflue, & féche

reffe.

Art

Poët.
Chant

prem.

Tout ce qu'on dit de trop eft fade & rebutant

L'efprit raffafié le réjette à l'instant.

L'Art a fes limites & un point fixe difficile à bien connoître, plus difficile encore à faifir. Les préceptes ne fçauroient être d'une grande étendue fur ce point, parce qu'il eft de fentiment, & qu'en ce genre, il eft plus aifé de remarquer les défauts & de montrer les extrémités vicieuses que de définir préci fément en quoi confifte la per

fection

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