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fection & quelles voyes il faut fuivre pour y parvenir. L'abondance fuperflue & la féchereffe font les deux écueils contre lefquels on échoue le plus ordinairement. Aurefte le premier eft moins funeste que l'autre, fur- tout aux jeunes gens. Le feu de l'imagination les emporte; une circonftance rien les amufe; ils s'imaginent que tout eft fufceptible d'agrément, ce qui fait que leurs productions ne font ni juftes, ni châtiées : mais il vient un tems où l'on remedie à cette trop grande abondance. Le jugement fe perfectionne, le goût s'épure, & la réflexion retranche ce qu'il y avoit de fuperflu. Ce n'eft donc pas dans cet âge que la fécondité de l'efprit eft pernicieufe, mais dans celui où la raison plus éclairée doit avoir des idées plus nettes du vrai & du beau. Il eft une forte de bienféance pour les paroles, comme il en eft une pour les habits. Une robe furchargée de pompons & de fleurs feroit ridicule. Il en eft de même en Tome I.

C

Poëfie d'une defcription trop fleurie, & dans laquelle parmi de grands traits on rencontre des circonftances inutiles. Les plus grands Maîtres ne font pas exemts de ce défaut, & leur chute doit nous fervir de préfervatif, comme leurs beautés de modele. M. Raci ne dans la narration de la mort d'Hyppolite qui d'ailleurs eft pleine de beautés, eft tombé, ce me femble, dans l'excès dont nous parlons ici. Qu'on fe mette à la place de Théramene, qu'on époufe les fentimens d'eftime & d'attache-· ment dont il eft pénétré pour Hyp polite, qu'on fuppofe enfin que l'on va annoncer à un Pere la mort malheureufe de fon fils; eft - il croyable que dans un fujet fi inté¬ reffant l'on s'amufe à relever des cir conftances peu importantes, par les expreffions les plus fleuries? Qu'on décrive en peu de mots le départ du fils de Théfée, à la bonne heure, mais qu'eft-il befoin d'ajoûter que;

es fuperbes Courfiers qu'on voyoit au

trefois

Phédre A&te V.

Pleins d'une ardeur fi noble obéir à sa voix, Scene 6. L'œil morne maintenant & la tête baiffée, Sembloient fe conformer à fa trifte pensée.

Ne fuffifoit-il pas à Théramene de dire en parlant du monftre envoyé par Neptune.

L'Onde approche, se brife & vomit à nos Ibid.

yeux,

Parmi des flots d'écume, un monftre fu

rieux,

Sans ajouter cette longue defcription de la figure du Dragon:

Son front large eft armé de cornes menaçantes

Tout fon corps eft couvert d'écailles jauniffantes,

Sa

Indomptable Taureau, Dragon impétueux croupe fe recourbe en replis tortueux. Ses longs mugiffemens font trembler le ri

vage,

Le ciel avec horreur voit ce monftre fau

vage,

La terre s'en émeut, l'air en eft infecté,

Le flot qui l'aporta, recule épouvanté,

Quand on retrancheroit ces huit Vers & les quatre précédens de cette narration, elle n'en feroit ni moins belle, ni moins touchante; ce font donc des ornemens fuperflus, des hors d'oeuvre fi peu liés à la piéce principale qu'on pourroit, les en détacher fans qu'elle en fouf, frît.

Quelquefois c'eft un mot qui gâ te tout ce qui précéde ainfi Regnard fait dire à son joueur :

Tu peux me faire perdre, ô fortune enne

mie!

Mais me faire payer, morbleu, je t'en défie,

Jufques là tout eft vif, & l'on devine affez la raison de cette impui fance, qu'étoit-il besoin d'ajoûter? Car je n'ai pas un fol. Ce der nier trait n'eft qu'une longueur.

Mais s'il ne faut rien dire de trop, il est bien effentiel auffi de ne point appauvrir fon fujet; ce qui peut venir de deux caufes différentes ou d'une aridité naturelle, & c'eft un mal incurable, ou d'une timide

circonfpection qui craignant d'approfondir un fujet ne fait que l'effleurer, ce qu'on peut réparer foit en fe remplissant mieux de la matiere que l'on traite, foit en ajoûtant de nouveaux coups de pinceau à ceux que l'on a déja donnés. Pour écrire avec fuccès en Poëfie, il faut ôter & fur-tout ne jamais prendre pour bon ce qui n'eft que médiocre; ne pas faire confifter l'excellence à être exemt de défaut, parce que c'en est un très-grand dans ce genre que de manquer de perfection. La féchereffe nait encore quelquefois du choix du fujet dont, après bien des travaux, on ne peut rien tirer, alors le parti le plus fage eft de l'abandonner comme une terre ingrate & brulée, fans s'opiniâtrer inutilement à chercher dans fon génie des reffources qu'on employeroit plus heureusement fur d'autres matieres.

De la

Il en eft des Vers comme de toutes les autres productions de l'art ; correc 'ils ne font pas d'abord nés heu tion.

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