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qui coûte le plus à embellir. Un faifceau de fleurs demande moins d'art & de goût qu'un fimple bouquet.

Or il arrive par la difficulté de faifir ce point fixe ou qu'on appauvrit un fujet, ou qu'on l'enrichit indifcretement. Nous avons des Tableaux de certains Peintres Flamands qui ne connoiffant rien de plus brillant que les bouquets de plumes dont les deux sexes fe paroient dans leur tems, en ont coiffé les Juifs & les Romains dans une fuite de tableaux de la Paffion, en forte que les Panaches de toutes couleurs y tiennent prefqu'autant de place que les perfonnages. Cette fuperfluité d'ornemens n'arrive jamais qu'aux dépens du fonds qui s'en trouve chargé. En effet, fi du portail de l'Eglife des Jéfuites de la Maifon Profeffe on fupprimoit ce fatras de fculptures embrouillées, de guirlandès, de chiffres & d'autres embelliffemens confus, ne goûteroit-on pas davantage le fonds d'architecture enféveli fous ce cahos de minuties ? C'est l'ima

Poëfie un fecond vrai, dont l'ufage confifte à adoucir ce qu'une imitation trop naïve auroit de choquant, à embellir ce qu'elle auroit de groffier, à rectifier ce qu'elle auroit de défectueux ; ainsi Tout ce qui ne fçauroit être fufceptible de ce fecond vrai, ne produiroit que baffeffe en Poëfie, & c'eft ce qui rend, à mon fens, ridicule la comparaifon qu'homere fait d'Ajax, foutenant prefque feul l'effort des Troyens auprès des Vaiffeaux des Grecs, avec l'opiniâtreté d'un âne qui ne veut pas fortir d'un champ où il est harcelé de toutes parts à coups de pierres & de bâtons par une troupe d'Enfans. Quoique Madame Dacier allegue pour montrer l'eftime qu'on faifoit des ânes dans l'Antiquité, je ne les vois cependant pas fort en honneur dans le camp des Grecs, où les Héros ne fe fervent que de chevaux. Mais fans vouloir condamner Homere par cette feule raison, il me femble que cette troupe d'Enfans armés de bâtons

& de pierres, à bien l'air d'un concours de poliffons, & fi je ne me trompe, les anciens, malgré leur fimplicité, dûrent trouver comme nous, dans cette comparaifon un vrai trop naif qui dégénére en baffeffe. Le Génie froid d'un Géometre fe borneroit dans tout le cours d'un ouvrage à ce premier vrai. Il faut de l'Enthoufiafme pour appliquer le fecond, & répandre par ce moyen de la vie & de la chaleur dans un ouvrage.

par

L'Enflûre vient d'une cause toute oppofée: un Auteur tend au grand, au fublime, mais il n'a dans le coeur ni affez d'élévation de fentimens, ni dans l'efprit af fez de force pour y atteindre ; il en embraffe le fantôme : c'eft un pigmée qui fait des efforts gigantefques. Dans ces occafions Timagination va beaucoup au-delà du vrai, & les chofes qu'elle exagére n'ont qu'une vaine apparence de grandeur. On a reproché ce défaut à Brebeuf dans fa traduction de la Pharfale de Lucain: Mal

Pompée Act.

prem.

herbe n'en eft pas exemt: Corneille, ce génie accoûtumé à penfer des chofes fublimes, eft guindé dans plufieurs endroits. Que doit-on penfer par exemple de ce commencement de fa Tragédie de Pompée,

Le deftin fe déclare, & nous venons d'entendre

Ce qu'il a réfolu du beau-pere & du gendre. Scene 1. Quand les Dieux étonnés fembloient fe

partager

Pharfale à décidé ce qu'ils n'ofoient juger.
Ses fleuves teints de fang & rendus plus
rapides

Par le débordement de tant de Parricides,
Cet horrible débris d'aigles, d'armes, de

chars,

Sur fes champs empestés confusément épars, Ces montagnes de morts privés d'honneurs fuprêmes,

Que la nature force à se venger eux mêmes, Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents

Dequoi faire la guerre au refte des vivans.

C'est tout ce qu'auroit pû dire un témoin oculaire de la Bataille

de

de Pharfale, & Corneille l'a mis dans la bouche d'un jeune Prince âgé de dix-huit ans qui n'avoit jamais vû de guerre,& qui ne venant que de recevoir la nouvelle de la défaite de Pompée, n'en devoit pas fçavoir les particularités dans un détail fi circonftancié. On s'eft déja plaint de nos jours avec fondement que ce ftile bourfouflé s'introduit dans le Dramatique, & que l'on ne diftingue point affez la Nobleffe qui lui convient, du Phébus dans lequel on donne. Le cothurne, il eft vrai, exige de la Majefté, mais elle doit plûtôt confifter dans les chofes que dans les mots; parceque c'est le fonds des fentimens, & non pas la force du langage qui caractérise les Hé- · ros: & d'ailleurs les piéces de Théatre devant être écrites dans un ftile naturel qui approche affez de celui de la conversation; certains tours, certaines expreffions qui plairoient dans l'Epopée, produiroient un effet contraire dans la Tragédie.

Tome I

D

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