Imágenes de páginas
PDF
EPUB

les affoibliffant: elle a perdu beaucoup d'expreffions énergiques fans en acquérir de plus fortes ou de plus nouvelles : c'eft la faire rentrer dans fon domaine que de lui rendre ces mots, pourvû qu'on le faffe avec fineffe & qu'on les adopte de nouveau, parce qu'ils font bons, & non parce qu'ils font antiques. L'élégance d'un bâtiment dépend de l'enfemble & de la diftribution générale des parties & non de la nature de chacune des pierres en particulier dont il eft compofé; de même c'eft dans l'aifance & dans la facilité que confiftent les agrémens du ftyle Marotique, & non dans tel ou tel mot renouvellé des anciens. Des idées fimples fans être communes, naïves fans être baffes des tours unis fans ornement, fans emphase, du feu fans hardiesse une imitation conftante de la nature, & le grand art de déguiser l'art même; voilà ce qui fait le fonds de ce genre d'écrire, & ce qui caufe en même-tems la difficul

[ocr errors]

té d'y réuffir; les hommes n'ayant que trop de penchant pour les grandes idées, les ornemens recherchés les expreffions pompeufes & figurées qui furprennent l'efprit en remuant l'imagination, au lieu qu'ils fe trouvent arrêtés dès les premiers pas, lorfqu'il s'agit de ne prêter au bon fens qu'une parure légere, propre à l'embellir fans le mafquer; c'eft le fruit du génie que la nature partage, comme il lui plaft. Tel décrit noblement les Exploits des Héros qui échouroit dans le récit d'une avanture ordinaire. Corneille qui faifoit parler les Grecs & les Romains avec tant de nobleffe, n'auroit pas fait parler les animaux avec la naïveté que leur a prêté la Fontaine; & la main de le Brun qui réuffiffoit admirablement à peindre des combats & des triomphes, auroit peut être manqué de légéreté pour crayonner un Païfage dans le goût de Taifniere, ou une danse champêtre & galante dans celui de Watteau: tant il eft vrai que plus on

s'écarte de la fimplicité de la nature, moins il est aisé de s'en approcher, quoiqu'on fe flatte d'y reve-. nir aifément lorfqu'on le voudra. L'expérience eft feule capable de diffiper cette erreur.

empou

Les liaisons de nos Sçavans avec Du ftyle ceux d'Angleterre, nous ont mis lé. depuis quelques années à portée de connoître leurs meilleurs Poëtes, & l'on ne peut difconvenir que ceux dont on nous a donné des traductions, tels que Pope & Milton, ne foient remplies d'idées fortes & grandes, exprimées avec énergie. Ce qui vient en partie du caractere de la Nation Angloife, & en partie du génie de la langue plus hardie, & plus concife que la nôtre. Il n'eft pas douteux, par exemple, que les Épîtres de Pope ne foient écrites avec infiniment plus de force que celles de Boileau. A peine dans celles-ci trouve t-on une pensée renfermée dans l'efpace de chaque Vers; dans le Poëte Anglois, chaque hémiftiche forme pour l'ordinaire une pensée.

Du nom

monie.

auroient eu befoin de faire le Commentaire, en les donnant au Public, pour y découvrir le grand & le merveilleux qu'ils ont prétendu y mettre, en affemblant comme par force de grands mots & des termes empefés bien éloignés de la nature & de la vraifemblance.

L'harmonie des Vers répond

bre ou de exactement à la mélodie du chant. L'har- Celle-ci fondée en partie fur la nature & dépendante en partie de combinaisons arbitraires confifte dans une fucceffion naturelle & fenfible des fons. De là naissent dans la Mufique cette variété inépuifable, & cette multitude prodigieufe de chants propres à ébranler l'ame par les impreffions

'ils font fur les oreilles. Il en eft qu'i de même, proportion gardée, du mélange des mots; car comme on peut les combiner en mille maniéil en résulte des tons variés propres à charmer l'oreille s'ils font affemblés avec justesse; par conféquent plus une langue fera féconde & riche en expreffions,

res,

plus elle fera fufceptible d'harmonie, pourvû qu'on fuppofe d'ailleurs qu'elle n'ait point une rudeffe naturelle qui vienne de la compilation des confonnes ou de la gêne des afpirations, telles que font les langues du Nord, dont la roideur comparée au moëleux de la langue Françoife, ou à la douceur de l'Italienne eft comme le bruit aigre d'une lime mis en parallele avec le fon mélodieux d'une flute traverfiere. Notre langue tient le milieu entre la moleffe Italienne & la barbarie du Nord, & quelque pauvre qu'elle paroiffe, elle eft néanmoins très-fufceptible des diverfes combinaisons qui forment Pharmonie. J'avoue que la conftruction prefque toujours uniforme de fes phrafes la refferre, dans des bornes affez étroites, puifqu'elle n'a point comme la Grecque & la Latine la liberté des inverfions fi propre à multiplier les tours, quoiqu'à cet égard elle ait en Poëfie quelques licences, que n'admet point la Profe: elle n'a point non

« AnteriorContinuar »