pofe. L'Auteur d'une Ode n'eft pas moins obligé de fe foutenir, que celui d'une Tragédie ou d'un Poëme Epique. Je ne fçais même s'il ne feroit pas plus permis à celui-ci qu'au premier, de fommeiller dans un ouvrage de longue haleine, où la grandeur du deffein, la multitude des objets, la variété des idées occupans l'ame toute entiere, femblent excufer des négligences qui naturellement ne doivent point échaper à une attention réunie, & fixée fur un objet moins vafte. Les beautés d'un grand tableau d'hiftoire portent avec elles l'excufe des défauts dont elles pourroient être accompagnées; mais on juge avec rigueur de ceux d'une mignature; les plus légeres imperfections y deviennent des défauts confidérables. Ceci au refte ne tend point à autorifer les négligences; un défaut tout excufable qu'il foit ne ceffe point d'être un défaut : fi l'on a pû le prévoir, il falloit l'éviter; fi fans l'avoir prévû, on la senti par fes

propres lumieres, ou par celles des autres, on doit le corriger. Ce feroit une présomption que de prétendre les éviter tous en écrivant, les productions de l'efprit humain fe reffentiront toujours de fa nature foible & bornée; le plus éclairé n'eft au fonds que celui qui eft le moins enveloppé de nuages & d'obfcurité, & fa perfection confifte moins dans un affemblage de qualités réelles, que dans la privation d'un grand nombre de défauts. Magis extra vitia Tacit. quam cum virtutibus. Ses productions participent à ce caractere, l'exactitude & la correction y tiennent quelquefois lieu de beautés, mais elles y font toujours fi néceffaires, que fans elles les beautés mêmes deviennent des imperfections. La fcience, l'érudition, les penfées les plus nobles, l'élocution la plus fleurie font des matériaux propres à produire de grands effets; cependant fi la raison n'en régle l'ordre & la diftribution, fi elle ne marque à chacune le rang qu'elle

doit tenir, fi elle ne les enchalne avec jufteffe; il ne réfultera de leur amas qu'un cahos dont chaque partie, prise en foi, peut être excellente, quoique l'enfemble foit monftrueux tandis que l'imagination broye les couleurs qui doivent répandre l'agrément & la vivacité fur les différentes parties d'un ouvrage, & que toute occupée des détails, elle les finit & les embellit; la raison qui ne doit jamais la perdre de vûë, pour la ramener lorfqu'elle s'écarte, la raifon le compas à la main, diftribue un ordre général, établit un point fixe, auquel tout puiffe fe rapporter; affortit les diverfes parties, ne choifit que le néceffaire, rejette le fuperflu, facrifie quelques beautés pour en placer d'autres qui feront plus plus en jour; éclaircit les vérités les unes après les autres, & s'avance infenfiblement de dégrés en dégrés vers le but qu'elle fe propoloit. Tout cela demande un grand art, qui ne réuffit qu'autant quil eft lui-même caché avec foin:

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le Lecteur veut voir tout le brillant de la décoration, fans approfondir le mouvement bruyant & compofé des machines: l'effet des forces mouvantes le réjouit, fi l'on prend foin d'en dérober à fa vûe, le jeu dont l'aspect l'épouvanteroit. Il faut néanmoins mettre une grande différence entre cette marche fecrette du génie que j'exige dans un Poëte & la contention pénible d'une méthode Géométrique qui fe traine d'une maniere lente & glacée. Celle-ci annonce fcrupuTeufement à chaque pas le nouveau pas qu'elle va faire, tout décéle fes mouvemens, & en arrivant avec elle au but qu'elle envifageoit, on a encore l'idée récente des lieux qu'elle a traversés. L'autre au contraire doit voler comme un aigle, & dérober fous l'apparence de la plus parfaite liberté, ce qui n'eft que le fruit de l'exactitude & de la réflexion: non-feulement les yeux vulgaires, mais encore les plus clairvoyans charmés de l'illufion qu'elle leur préTome I,

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fente ne doivent pas foupçonner l'artifice; l'art en un mot n'y fçauroit plaire, s'il s'y montre à découvert. Voilà, je penfe, ce que c'eft que fe foutenir dans un ouvrage: lorfque l'ordre & la méthode en auront difpofé le plan, lorfque par une vue générale, mais étendue, on en aura d'avance combiné les parties principales, le rempliffage ne coutera rien: les détails font aifés à finir & les ornemens à placer, lorfque les maffes font bien établies. Or pour en venir à ce point, il eft d'une néceffité indifpenfable d'épurer fa raison & de former fon jugement fur des principes vrais & folides ; fans cela le feu de l'imagination, le bel efprit, l'art de penfer des colifichets, ne font pas d'une plus gran→ de reffource, que celui de fculpter des figures & des ornemens fur les maffes d'un édifice conftruit fans fimétrie ou fur des fondemens rui→ neux. Le fuccès du cifeau n'empêche point le bâtiment de fe dé mentir & de crouler, & l'habileté