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du Sculpteur ne fçauroit ni déguifer, ni réparer les fautes de l'Architecte. C'eft fans doute ce défaut d'entente qui fait que dans un même ouvrage, dans une Tragédie par exemple, un acte admirable, une fituation heureufe & naturelle, des Vers nobles & majeftueux, font fuivis immédiatement d'un acte foible, d'une fcéne amenée par force ou traitée fans goût d'une Poëfie fade & languiffante : défauts que les Auteurs n'apperçoivent pas fans doute, parce qu'ils ne confiderent que chaque partie prife féparément, fans faire attention aux rapports & aux proportions qu'elles doivent avoir avec le refte. C'est pourquoi dans la compofition l'on ne devroit jamais perdre de vûe le plan qu'on a formé en commençant, en forte que fçachant toujours par quelles routes on marche, on ne se trouvât point en danger d'aller d'un pas inégal ou même de s'égarer. On peut dire à la gloire des modernes qu'ils l'emportent de beaucoup à

cet égard fur les anciens, & peut être eft-ce un effet de cet efprit philofophique, qui depuis un fiécle s'eftrépandu fur toutes les fciences. Ce n'eft pas que porté trop loin, il ne foit dangereux à la Poëfie dont le caractere vif & impétueux craint la froideur & la pefanteur des analifes. Le point effentiel mais difficile à faifir; ce feroit de n'en prendre que la fleur, d'en adopter la jufteffe pour réprimer les excès de l'imagination & non pour en étouffer abfolument les faillies, fans lefquelles la raison contracte un air effrayant.

De la Il eft peu d'Auteurs qui ne conCritique. fervent pour leurs ouvrages des entrailles de pere & qui ne diftinguant point affez l'Ecrivain de Fhomme, ne penfent que celui-ci eft intéreffé à la défense de l'autre ; & que par indulgence il ne doit pas lui-même choquer fon amour propre. Cette erreur,auffi pernicieuse qu'elle eft commune, me donnera occafion de dire un mot de la Citique, tant pour les ouvrages

'des autres, que pour les fiens propres.

La critique eft un des moyens les plus utiles pour fe former un goût fûr elle confifte à fçavoir difcerner les beautés & les défauts d'un ouvrage, à les détailler avec précision & à rendre raison du jugement qu'on en porte. On fent affez que ces qualités exigent un grand fonds de connoiffances & de réflexions, & que le ton décifif & l'air méprifant, partage ordinaire de la jeuneffe, & de l'ignorance, n'en peuvent tenir lieu. La premié re condition de la critique eft donc d'être fenfée & judicieufe. Un bon mot, une raillerie ne fuffifent pas pour décider du mérite d'un ouvrage; les plus excellens peuvent être tournés en ridicule par certains efprits mal faits,accoutumés à prendre les meilleures chofes dans un mauvais fens. Un air de Rameau qui a charmé tout Paris, peut devenir infupportable dès qu'on affectera de le chanter fur un ton niais, ou de l'adapter à des paro

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les burlefques. L'efprit veut être éclairé par des raifons & par des principes folides. Quiconque s'érige en Cenfeur, doit donc commencer par acquérir des lumiéres, pour fe concilier dans l'efprit des autres le crédit & l'autorité qu'il prétend s'y fonder. Je dirois volontiers aux jeunes gens,, défiez-vous de la démangeaifon de parler naturelle à votre âge : écoutez long-tems: ne hazardez jamais des décisions faftueuses ,, ou cauftiques, lors même que vous êtes évidemment certains de ne vous point tromper: ne ,, propofez vos raifons que comme des doutes & des conjectures; ,, ne les défendez point avec opiniâtreté: fi elles font moins folides qu'elles ne vous sembloient d'abord, reconnoissez en la fauffeté, fans faire acheter par une refiftance inutile une victoire, ,, que vous devez céder aux per,, fonnes qui les combattent, & qui la remporteront infaillible,, ment; " par là, la critique de

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viendroit fenfée & en même-tems modefte; feconde qualité qui en affure le fruit. Les hommes, comme je l'ai déja dit, font jaloux de leurs productions; ils ont la foibleffe de trembler pour elles: les cenfure-t'on avec hauteur? Leur efprit fe roidit & va même jusqu'à fe refufer à l'évidence, dès qu'elle veut leur enlever, comme par force, un confentement qu'ils accorderoient fans peine à des raifons moins peremptoires propofées d'une maniére plus infinuante. Ménage - t'on leur foibleffe? pourvû qu'on le faffe délicatement & fans fauffe complaisance, ils ouvrent avec plaifir les yeux aux rayons d'une lumiére douce, ils fe feroient obftinés à les fermer au feu des éclairs dont on prétendroit les éblouir: on les gagne au lieu de les aigrir, & loin de s'entêter à défendre une prétendue gloire, ils fe perfuadent que nous nous intéreffons à leur en procurer une plus folide, en leur indiquant leurs fautes & les moyens de s'en

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