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DISCOURS

PRÉLIMINAIRE

SUR

Le But & le Plan de cet Ou

urage.

A deffination de tous les hommes dans la fociété a néceffairement deux rapports qu'ils ne doivent jamais perdre de vue. Ils y font placés pour ce qui les touche perfonnellement & pour ce qui concerne les autres. Environ

a

nés de befoins, une de leurs principales attentions doit être de les prévenir. Obligés, s'ils veulent être heureux, de plaire aux autres, ils ne peuvent fe difpenfer d'en chercher les moyens: on ne fe fuffit point à foi-même. Eft-on feul? l'ennui ne tarde pas à nous faire reffentir fes atteintes. Vit-onavec les autres? pour peu que l'on penfe, on fent qu'à moins de contribuer à leur utilité ou à leurs plaisirs, on leur devient bien-tôt infupportable. Il eft donc d'une extrême conféquence d'avoir des reffources certaines pour éviter ces deux inconvéniens & pour fe procurer tant à foi-même qu'aux autres, les agrémens dont tous les hommes font naturellement fiavides,

La différence des talens a fait naitre celle des occupations propres à charmer l'ennui ou à fatisfaire aux befoins. Le travail des mains, le commerce, les Arts méchaniques & laborieux occupent ceux que leur état, la fituation bornée de leur Génie & de leur fortune, leur propre goût, l'é ducation qu'ils ont reçuë & mille autres circonftances ont déterminé à un certain genre de vie. D'autres que leur naiffance, leur fortune, leur penchant, une éducation différente de celle qu'ont eû les premiers, & divers autres motifs portent à des objets plus relevés s'occupent de ce qu'on appelle Lettres, Sciences, beaux Arts; pour les cultiver ou pour en juger, pour produire des ouvrages ou pour

décider des ouvrages d'autrui.

Le génie qui eft absolument néceffaire pour écrire ne s'acquiert point par le travail: Les talens font des dons que la nature répand à fon gré fur qui bon lui femble. Auffi l'amour propre n'eft - il point choqué qu'on lui en reproche le défaut, il avouë fans rougir qu'il ne les a point reçus, il fe plaint de cette indigence, &: ne la regarde pas comme un mal qu'il fut en fon pouvoir d'éviter. Le goût au contraire, la facilité de juger qui peut s'acquerir par le travail & par l'habitude à comparer & à réfléchir, eft une chose que l'on ambitionne plus ardemment, qu'on fe flatte d'avantage de poffeder, qu'on a honte de n'avoir pas acquis auffi parfaite,

ment qu'on l'auroit pû faire; c'eft pour cela que dans le monde tant de perfonnes fe piquent de décider.

Dans ce Salon où nos Peintres & nos Sculpteurs ont coutume d'expofer dans un certain tems de l'année leurs productions nouvelles, l'ignorant accourt à ce spectacle comme l'Amateur éclairé, & dit fans déguisement ce qui le charme & ce qui lui déplait. Il juge, il décide, il prononce, au hazard & fans lumieres à la vérité, mais souvent avec plus de confiance que l'Amateur intelligent. Au Théâtre les cenfeurs ne font ni moins nombreux ni moins hardis, chaque fpectateur s'érige, pour ainsi dire, un tribunal du haut duquel il couronne ou condamne un

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