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l'Eneïde, de traits qui repréfentent la vertu aimable & le vice odieux ! Dans Homere comme dans Virgile, quel art admirable de cacher ces inftructions fous des exemples, de mettre cette Philofophie toute en action, afin de la rendre plus infinuante, plus perfuafive, plus parlante, plus effi

cace!

Mais l'Epopée ne jouit pas feule de cet avantage, le Poëme dramatique s'en glorifie peut être avec encore plus de fondement. Le tableau des paffions des hommes, la peinture de leurs crimes, l'image de leurs malheurs ne peuvent que réveiller dans nos cœurs les idées du bon & du vrai, que la nature y a gravées. Egifte puni dans l'Electre de Sopho

cle, après avoir joüi du fruit de fon crime l'efpace de plusieurs années, ne m'inftruit-il pas que le vice n'eft jamais impuni, & que le Scélerat, qui paroît le plus tranquile, touche peut-être à l'inftant de fon fupplice? Hécube en pleurs dans Euripide ne m'enseigne t'elle pas affez, que les plus grandes fortunes font fujettes aux plus grands revers? J'en dis autant de la Comédie, proportion gardée, & des autres efpeces de petits Poëmes. La Poëfie dans tous ces Ouvrages, n'eft-elle donc qu'un amusement frivole? L'utilité qui en resulte n'eftelle donc qu'un être de raison ? j'en attefte fes propres adverfaires.

Ce que je viens de prouver par rapport aux Anciens est

exactement applicable aux nfodernes. Sans remonter plus haut que le fiécle dernier, oferoit-on avancer, fans fe convaincre publiquement d'ignorance & de mauvaise foi, que les Fables de la Fontaine, les Tragédies de Corneille & de Racine, les Pieces de Moliere, les Odes de Malherbe, de la Mothe & de Rouffeau ne forment qu'un vain fon harmonieux de paroles arrangées uniquement pour amufer les François Concluons donc, non fur des fpéculations chimériques, mais. fur une expérience conftante & personnelle, que dans ces livres célébres, que l'on peut appeller la Bibliotheque du genre humain, l'agréable & l'utile fe trouvant réünis, l'Art qui fçait nous les repré

fenter bien loin d'être un art futile & méprifable, eft au contraire très eftimable & précieux à la fociété.

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chap. 4.

Mais, dit-on, le plaifir qui réfulte de la Lecture des ouvrages de Poëfie eft-il bien vrai? eft-il pur & innocent? Je ne crois pas devoir m'arrêter longtems à démontrer que ce plaifir eft réel.,, Des monftres & des hommes morts ou mou,, rans, dit Ariftote, ces ob- Poëtique jets que nous n'oferions re», garder ou que nous ne verrions qu'avec horreur, nous ,, les voyons avec plaisir imitez dans les ouvrages des Peintres mieux ils font imités » plus nous les regardons avidement. "Or la Poëfie eft une peinture, & fes imitations produisent le même effet : qu'

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on parcoure les divers genres de Poëfie, que l'on fe rende compte à foi-même de bonne foi des impreffions que font le fel de l'Epigramme, la tendreffe de l'Elegie, la fimplicité de l'Eglogue, la vivacité de la Satire, la hardieffe de l'Ode, la majefté fublime de l'Epopée, le pathétique de la Tragédie, la fineffe & l'enjouëment de la Comédie, en un mot les images & les imi tations qui caractérisent tous ces Poëmes, & l'on reconnoi tra que rien n'eft moins illufoire que le plaifir que nous en ref

fentons.

Il n'eft pas moins conftant que ce plaifir eft un plaifir pur & innocent, quoiqu'il n'arrive qu'en conféquence du mouvement des paffions. Il faut bien

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