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raconte pas fimplement en & Historien, mais il y mêle des machines, ambages Deorumque minifteria, comme dit Petrone. Il faut donc ôter cette intervention des Dieux donner ou à la valeur, ou à la prudence, ou à l'adreffe, ce que le Poëte donne à Mars, ou à Minerve, ou à Mercure. Il faut examiner encore en quelle langue la Fable qu'on veut expliquer, a été écrite, & on trouve fouvent que c'est une fimple équivoque de cette langue, qui a donné lieu à la fiction; Bochart en fournit un très-grand nombre d'exemples. Il eft inutile & impoffible en même temps d'expliquer toutes les circonftances des Fables, dont la plupart n'ont été inventées que longtemps après, par les Poëtes qui ont eu occasion de les employer; ainfi il faut les prendre dans les Poëtes les plus anciens, où ordinairement elles font plus fimples comme je l'ai déja remarqué. Il eft néceffaire auffi d'avoir lû les Anciens, pour voir fi le fait contenu dans la Fable, est lié avec quelque autre événement hiftorique; car alors il est aisé de le débarraffer du merveilleux qui l'accompagne. Le voyage des Argonautes, par exemple, & les travaux d'Hercule, font des vérités hiftoriques : de combien de fictions ne les a-t'on pas embellies? Le plus grand embarras que rencontre un Mythologue, confifte à débrouiller le cahos des opinions différentes fur une même Fable, qui fe trouve racontée en tant de manieres, & fi différentes l'une de l'autre, qu'il eft impoffible de les concilier toutes.

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Suppofons qu'on veuille examiner, par exemple, le partage du monde entre les trois enfans de Saturne; d'abord on fera effrayé de la diverfité des fentimens des Sçavans fur ce fujet. On trouvera dans les Hiftorens (1) des traditions très-oppo- (1) Voyez fées, quoique également anciennes. Pendant que le plus grand Diod. de Sic. nombre fuppofera le partage comme une chofe fûre, d'autres montreront des faits qui le détruifent. On dira, par exemple, que Neptune étoit forti de la Libye, & Minerve des bords du lac Triton dans le même pays, & qu'ainfi ils n'avoient rien de commun avec Jupiter, dont ils ne pouvoient pas même être parens. Il faut d'abord examiner ces différentes traditions, abandonner celles qui paroiffent fe contredire, & qui détruisent des faits, qu'on fçairpar des Auteurs dignes de foi

Eufebe Prep.
Evang.

C'eft ce qu'ont fait nos meilleurs Mythologues, & je n'en connois point qui ait adopté cette Fable, fans avoir recherché auparavant ce qui a pû y donner lieu. Les plus fenfés, tels que Girard Voffius, Marsham, Bochart & le Pere Thomaffin, ont cru que le partage du monde entre les enfans de Noé, Sem, Cham & Japhet, étoit l'origine de la tradition du même partage, entre Jupiter, Neptune & Pluton ; & fur cette idée, ils n'ont pas manqué de faire des paralleles fort recherchés, entre les trois Princes fabuleux; & les trois fils du Patriarche. Cependant ces mêmes Auteurs varient encore fur les traits de reffemblance qu'ils trouvent entre les uns & les autres, & ce ne font pas les mêmes perfonnes qui entrent dans le même parallele. Dans le fond, quelle reffemblance peut-on trouver entre Sem & Jupiter, entre Cham & Pluton? Tout ce qu'on pourroit conclure de plus raisonnable de l'opinion de ces grands hommes, eft, non que les deux familles, qu'on ne fçauroit confondre fans s'écarter de tous les Anciens, n'en faffent qu'une; mais feulement la vérité de cette propofition, que les Grecs ont fouvent embelli l'hiftoire de leurs temps fabuleux, de celle des Peuples de l'Orient, dont ils tiroient leur origine.

L'empire des Titans, fuivant les Anciens, étoit extrême ment étendu. Ces Princes poffédoient la Phrygie, la Thrace, une partie de la Grece, l'Ile de Créte & plufieurs autres Provinces, jufqu'au fond de l'Espagne. Sanchoniathon (1) femble y joindre la Syrie, & Diodore (2) y ajoûte une (2) L. 3. partie de l'Afrique & les Mauritanies. Je n'entre point dans les preuves de ce fait, qu'on trouvera fort détaillé dans l'ouvrage que le Pere Dom Pezron a compofé fur l'origine & l'antiquité de la Langue des Celtes. Il fuffit de dire ici, que ce fçavant homme prétend que le partage qui fut fait de ce vafte Empire, fut regardé dans la fuite comme le partage du monde que l'Afie demeurée à Jupiter, le plus puiffant des trois freres, l'avoit fait regarder comme le Dieu de l'Olympe, montagne célébre où il faifoit fa résidence, & qui fut dans la fuite prife pour le ciel même : que la mer & les Ifles, qui avoient été le lot de Neptune, lui avoient fait donner le titre de Dieu de la mer : & que l'Espagne, le bout du monde

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connu, pays confidéré comme très-bas, par rapport à l'Afie, célébre d'ailleurs par fes excellentes mines d'or & d'argent, devenues le partage de Pluton, l'avoit fait prendre pour le

Dieu des Erfers.

Un Mythologue doit propofer & examiner avec foin ces différentes opinions, pour mettre le Lecteur en état d'en juger, & il peut fe déterminer lui-même en faveur de celle qui lui aura paru la plus vraisemblable, & l'appuyer, s'il peut, de nouvelles preuves, fans trop s'embarraffer des difficultés qu'on pourroit lui faire; car on ofe affurer ici, qu'on n'oppofera jamais rien contre la fraternité des trois Princes Titans, qui foit plus fort que ce qu'on aura pû dire pour l'établir.

CHAPITRE II

Où l'on prouve que les Fables ne font point de pures Allégories, & qu'elles renferment d'anciens événemens.

L

ES Fables ne doivent être regardées que comme de belles enveloppes, qui nous cachent les vérités de THiftoire ancienne; & quelque défigurées qu'elles foient par le grand nombre d'ornemens qu'on y a mêlés, il n'est pas abfolument impoffible d'y découvrir les faits hiftoriques qu'elles renferment. Je ne disconviens pas qu'il n'y ait dans les Fables des circonftances qui étoient de l'invention des Poëtes; mais il y a bien de l'apparence que le fond en étoit yrai (a): & fi on ne doit pas prendre à la lettre tout ce qu'ils ont dit de leurs Dieux & de leurs Heros, on auroit tort de le rejetter entierement, d'autant plus qu'ils parlent souvent de perfonnes, dont les Hiftoriens nous ont raconté les actions; ce qui fait dire à Paufanias (1), » de tout temps les (1) In Att. » événemens extraordinaires & finguliers, en s'éloignant de la mémoire des hommes, ont ceffé de paroître vrais, par

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(a) Non enim res ipfas geftas finxerunt Poëta, fed geftis addiderunt quemdam colorem rebus. Lact. de falfa Rel. Lib. r. C. 12.

C. 2.

» la faute de ceux qui ont bâti des Fables fur le fondement » de la vérité.

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Je fçais que les Poëtes ont quelquefois inventé jusques aux perfonnages mêmes dont ils parlent; mais il eft aifé de les reconnoître, ces perfonnages feints, & affùrément les gens raisonnables ne jugent pas de Saturne ou de Neptune, comme de la Fortune & du Deftin. Il n'est pas impossible de diftinguer parmi tous ces perfonnages poëtiques, ceux qui étoient réels, d'avec ceux qui n'étoient que métaphoriques ou allégoriques. De fçavans hommes l'ont fait avant moi, & S. Auguftin, Lactance & Arnobe n'avoient pas jugé cet article indigne de leur application, & avoient crû rendre un grand fervice à la Religion, en découvrant à tout le monde que les anciennes Divinités des Payens, n'avoient été que des hommes. J'avoue que s'il n'y avoit dans les Fables des Poëtes que quelques allégories, je ne vois pas qu'on dût faire beaucoup de cas de leurs ouvrages: je ne trouverois rien de si froid. Au lieu que s'il eft vrai qu'elles renferment d'anciens événemens, on n'eft pas furpris qu'ils en ayent employé un fi grand nombre; on a même meilleure opinion du génie des Grecs, puifqu'on voit que malgré le penchant infini qu'ils avoient pour les fictions, ils ne fe repaiffoient pourtant pas de contes purement inventés (a); & que s'ils ont embelli leurs narrations, on fçait du moins qu'elles renferment plufieurs vérités intereffantes. Auffi eft-il certain que les plus grands hommes de l'Antiquité, ont toûjours eu une haute idée des Poëtes, qu'ils regardoient comme les premiers (1) Lib. 2. Hiftoriens. Strabon dit (1), que les Hiftoriens approchoient d'autant plus du caractére d'Homere, qu'ils étoient plus anciens ce qui fait dire à Cafaubon (b), que lorsqu'il lifoit Herodote, il lui fembloit lire Homere lui-même. Croira-t'on de bonne foi, qu'Alexandre eût tant fait de cas de ce Poëte, s'il ne l'avoit regardé que comme un conteur de Fables? Et auroit-il envié le fort d'Achille d'avoir eu un tel panégyrifte? Y auroit-il eu du fens à fouhaiter un Hiftorien qui, au

(a) Voyez M. le Clerc, Bibl. Ch. Tom. II.

(b) Note in Strabon. Lib. 1. Ac mihi quidem perfæpè Herodotum cum lego, Homerum aliquem videor legere,

lieu de raconter les véritables actions de ce Prince, n'en auroit écrit que de fabuleuses? Il fçavoit bien, que parmi ces fictions que le Poëte employoit pour enluminer le fond de fes Hiftoires, il confervoit parfaitement le caractére de fon Heros. Paufanias eft de même avis que Strabon, ainfi que Polybe, Herodote & tant d'autres. On fçait comment Denys d'Halicarnaffe, cet Auteur fi grave & fi judicieux, explique les avantures d'Enée & des autres Troyens. On n'ignore pas auffi que Tite-Live humanife les Fables qui regardent les antiquités de Rome, comme la naiffance de Romulus, fon éducation, &c. Ne rapporte-t'il pas à l'Hiftoire les voyages d'Anténor & d'Enée, les guerres & les victoires de ce dernier,& fon Apotheofe? Ne regarde-t'il pas le fujet de l'Eneïde, comme Polybe & Strabon avoient regardé l'Iliade & l'Odyffée Ciceron ne met-il pas au nombre des Sages, Ulyffe & Neftor (a)? Y auroit-il placé des Phantômes ? N'explique-t'il pas les Fables d'Atlas, de Cephée & de Promethée ? Ne nous apprend-il pas que ce qui a donné occafion de débiter que l'un foutenoit le ciel fur fes épaules, & que l'autre étoit attaché au mont Caucafe, c'étoit leur application infatigable à la contemplation des chofes céleftes? Je pourrois joindre ici l'autorité de la plupart des Anciens : plupart des Anciens : j'y ajoûterois celle des premiers Peres de l'Eglife, des Arnobes, des Lactances & de plufieurs autres, qui ont regardé le fond des Fables comme de véritables Hiftoires; & je finirois cette lifte par les noms de nos plus illuftres Modernes, qui ont découvert dans les anciennes fictions, tant de reftes de la tradition des premiers temps.

Mais, dira-t'on, ne feroit-ce pas affez accorder fi l'on difoit que les Fables renferment la Philofophie & la Religion des Anciens? Il eft vrai qu'on y a mêlé quelques allégories qui y ont rapport; mais le premier objet des Poëtes a été d'y renfermer l'hiftoire de leurs Heros ; & on s'éloigne de leur véritable but, lorfqu'on ne s'attache qu'aux allégories. Croit-on de bonne foi, que lorfqu'ils ont dit que Bacchus

(a) Nec verò cœlum Atlas fuftinere, nec Prometheus affixus Caucaso, nec Cepheus ftellatus..... nifi cœleftium divina cognitio nomen eorum ad errorem fabula conduxiffet. Tufc. Quæft. L. 5.

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