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ces fortes d'événemens) il faut avoir recours aux Médailles, aux Infcriptions, & autres Monumens antiques; & lorfque tout cela manque, il faut fe jetter dans les étymologies, & chercher dans les anciennes Langues le dénouëment de la plûpart de ces anciennes fictions. Il faut examiner avec attention ce qui peut y avoir donné lieu quelquefois un mot équivoque d'une langue que le Poëte n'entendoit pas, l'a porté à débiter une Fable, en préférant fuivant fon goût, la fignification qui tenoit du merveilleux, à celle qui n'offroit rien que de naturel. Il eft vrai qu'on diminue beaucoup de la beauté de ces fictions en les expliquant : dès qu'elles viennent à être dépouillées des ornemens qui les accompagnent, elles ne font plus fi éblouiffantes. Les Fables font le même effet qu'une perfpective dans une décoration; il ne faut pas les voir de trop près. On eft faché d'apprendre que les Dragons qui jettoient du feu par la bouche, les Tauraux aux cornes d'airain qui gardoient la Toifon d'or, n'étoient qu'une fauffe clef que Médée donna à Jafon pour enlever les tréfors de fon pere, qu'une bonne muraille avec des doubles portes, rendoient inacceffibles. Accoutumés à nous former

:

d'un grand Heros, lorfqu'on entend parler d'Hercule, on eft furpris de voir partager tant de belles actions entre quelques Marchands qui trafiquent en divers pays, où ils conduifent quelques colonies de ne voir dans Ganimede enlevé par Jupiter, & dans Hyacinthe tué par Apollon, que deux jeunes Princes, l'un enlevé par un Roi de Lydie & l'autre tué par un accident imprévu dans les ailes de Dédale & d'Icare, un Vaiffeau à voile; dans tous les changemens d'Acheloüs, des inondations fréquentes, & dans le combat d'Hercule avec le Dieu de ce Fleuve, une digue qui fut élevée pour en arrêter les débordemens. Je ferai voir que le Minotaure, avec Pafiphaé & toute la fuite de la Fable, ne renferme autre chofe que les amours de la Reine de Créte avec un Capitaine nommé Taurus ; & l'artifice de Dédale, qu'un confident habile: que Scylla & Charybde, ces deux monftres redoutables qui dévoroient les paffans, n'étoient que deux rochers près de l'Ile de Sicile, où les vaiffeaux couroient quelque danger: que le monftre affreux

L 10.

inventées à plaifir, fe découvrent auffi fort aisément par les contes ridicules qu'elles font de perfonnes inconnuës : le fens des Fables Morales & Allégoriques faute aux yeux pour les Philofophiques, elles font remplies de Profopopées qui animent la nature : l'air & la terre y font fouvent enve loppés fous les noms de Jupiter & de Junon.

Généralement parlant, il y a très-peu de Fables dans les anciens Poëtes, qui ne renferment quelques traits d'Hiftoire; ce ne font que ceux qui font venus après, qui y ont ajoûté des circonftances purement inventées. Quand Homere, par (2) Odyf. exemple, dit (2) qu'Eole avoit donné les vents à Ulyffe enfermés dans une peau, d'où fes compagnons les laifferent échapper, c'est un trait d'Hiftoire enveloppé, qui nous apprend que ce Prince avoit prédit à Ulyffe le vent qui devoit fouffler pendant quelques jours, & qu'il ne fit naufrage que pour n'avoir pas voulu fuivre fes confeils; mais quand Virgile (3) Eneid. 1. ajoûte (3) que le même Eole, à la priere de Junon, excita une terrible tempête qui jetta la flote d'Enée fur les côtes d'Afrique, c'est une pure Fable, fondée fur ce qu'Eole étoit regardé comme le Dieu des Vents. Les Fables même que nous avons appellées Philofophiques, étoient d'abord Hiftoriques, & ce n'eft qu'après coup_qu'on y a attaché l'idée des chofes naturelles: de là ces Fables mixtes, pour ainfi parler, qui renferment un fait Hiftorique & un trait de Phyfique, comme celle de Myrrha & de Leucothoé changées en l'arbre qui porte l'encens, & celle de Clytie en Tournefol. Mais avant que d'entreprendre d'expliquer les Fables, eft à propos d'en découvrir les fources, & d'en rechercher l'origine; ce qui fera la matiere du chapitre suivant.

CHAPITRE I V.

Conjectures fur l'origine des Fables.

té.

A vanité a été fans doute la premiere fource des Fables: Premiere LA la vérité n'ayant pas toujours paru affez belle ni affez fource des Fa amufante, les hommes ont crû qu'elle avoit befoin pour e bles. La Vanis paroître, d'être parée d'ornemens étrangers (a); ainfi ceux qui ont raconté les premiers les actions de leurs Heros, y ont mêlé mille fictions, foit qu'ils ayent voulu les rendre par là plus recommandables, ou porter à la vertu ceux qui les écoutoient, en leur propofant de grands exemples. Mais ils fçavoient bien peu ce que c'étoit que la vériable vertu, puifque pour la rendre aimable, il faut la faire paroître dans des modéles qu'on puiffe imiter, & que ceux qu'ils propofoient, étoient inimitables. J'ajoûterai qu'il s'entendoient bien mal en belle gloire, puifqu'ils mêlent, fans y penfer, dans l'Hiftoire de ces prétendues belles actions, des circonftances de rabais qui ôtent à leurs Heros tout le mérite qui pourroit rejaillir fur eux. Si Perfée tuë Medufe, il la furprend dans le fommeil : s'il délivre Andromede, il a les ailes de Mercure. Si Bellerophon devient le vainqueur de la Chimere, il est monté fur le cheval Pégafe. Achille eft couvert des armes que Vulcain lui avoit faites, & il eft invulnérable. Jafon ne tuë le Dragon, que lorfque Medée lui a donné un breuvage pour endormir ce monftre; & Thefée a befoin du fil d'Ariadne, pour fortir du labyrinthe. Concluons avec M. Defpreaux, que

Rien n'eft beau que le vrai, le vrai feul eft aimable;
Il doit régner par tout, & même dans la Fable.

Venons à la feconde fource.

Avant que l'usage des Lettres eût été introduit, les grands

(a) Voyez le Projet du Livre fur ce fujet, publié par le P. Tournemine dans

L 10.

inventées à plaifir, fe découvrent auffi fort aifément par les contes ridicules qu'elles font de perfonnes inconnuës : le fens des Fables Morales & Allégoriques faute aux yeux pour les Philofophiques, elles font remplies de Profopopées qui animent la nature : l'air & la terre y font fouvent enveloppés fous les noms de Jupiter & de Junon.

Généralement parlant, il y a très-peu de Fables dans les anciens Poëtes, qui ne renferment quelques traits d'Hiftoire; ce ne font que ceux qui font venus après, qui y ont ajoûté des circonftances purement inventées. Quand Homere, par (2) Ody exemple, dit (2) qu'Eole avoit donné les vents à Ulyffe enfermés dans une peau, d'où fes compagnons les laifferent échapper, c'est un trait d'Hiftoire enveloppé, qui nous apprend que ce Prince avoit prédit à Ulyffe le vent qui devoit fouffler pendant quelques jours, & qu'il ne fit naufrage que pour n'avoir pas voulu fuivre fes confeils; mais quand Virgile (3) Eneid. 1. ajoûte (3) que le même Eole, à la priere de Junon, excita une terrible tempête qui jetta la flote d'Enée fur les côtes d'Afrique, c'eft une pure Fable, fondée fur ce qu'Eole étoit regardé comme le Dieu des Vents. Les Fables même que nous avons appellées Philofophiques, étoient d'abord Hiftoriques, & ce n'eft qu'après coup_qu'on y a attaché l'idée des chofes naturelles: de là ces Fables mixtes, pour ainfi parler, qui renferment un fait Hiftorique & un trait de Phyfique, comme celle de Myrrha & de Leucothoé changées en l'arbre qui porte l'encens, & celle de Clytie en Tournefol. Mais avant que d'entreprendre d'expliquer les Fables, il eft à propos d'en découvrir les fources, & d'en rechercher l'origine; ce qui fera la matiere du chapitre suivant.

L

CHAPITRE I V.

Conjectures fur l'origine des Fables.

A vanité a été fans doute la premiere fource des Fables: Premiere

té.

la vérité n'ayant pas toujours paru affez belle ni affez source des Faamufante, les hommes ont crû qu'elle avoit befoin pour les bles. La Vanis paroître, d'être parée d'ornemens étrangers (a); ainsi ceux qui ont raconté les premiers les actions de leurs Heros, y ont mêlé mille fictions, foit qu'ils ayent voulu les rendre par là plus recommandables, ou porter à la vertu ceux qui les écoutoient, en leur propofant de grands exemples. Mais ils fçavoient bien peu ce que c'étoit que la véritable vertu, puifque pour la rendre aimable, il faut la faire paroître dans des modéles qu'on puiffe imiter, & que ceux qu'ils propofoient, étoient inimitables. J'ajoûterai qu'il s'entendoient bien mal en belle gloire, puifqu'ils mêlent, fans y penfer, dans l'Histoire de ces prétendues belles actions, des circonftances de rabais qui ôtent à leurs Heros tout le mérite qui pourroit rejaillir fur eux. Si Perfée tuë Meduse, il la furprend dans le fommeil : s'il délivre Andromede, il a les ailes de Mercure. Si Bellerophon devient le vainqueur de la Chimere, il est monté fur le cheval Pégafe. Achille eft couvert des armes que Vulcain lui avoit faites, & il eft invulnérable. Jafon ne tuë le Dragon, que lorfque Medée lui a donné un breuvage pour endormir ce monftre; & Thesée a besoin du fil d'Ariadne, pour fortir du labyrinthe. Concluons avec M. Defpreaux, que

Rien n'eft beau que le vrai, le vrai feul eft aimable;
Il doit régner par tout, & même dans la Fable.

Venons à la feconde fource.

Avant que l'ufage des Lettres eût été introduit, les grands

(a) Voyez le Projet du Livre fur ce fujet, publié par le P. Tournemine dans

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