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étoient une Nation fort meprifée de fes voisins, peu connue des Peuples éloignés, & extrémement jalouse de fa Loy & de fes ceremonies, qu'elle cachoit aux Etrangers, comme des profanes, même dans le temps qu'elle a été obligée de vivre parmi eux. Quoiqu'on ne puiffe nier de même, que les miracles que Dieu fit en Egypte du temps de Moyfe, n'ayent été publics, il n'y a nulle apparence que ceux qui les raconterent aux Grecs, ayent fait beaucoup de cas d'un homme qui leur devoit être fi odieux; & je ne doute pas même qu'ils n'ayent donné la preference à leurs Magiciens : ou plûtôt ne firent-ils pas tout ce qu'ils purent, pour abolir le fouvenir d'une perfonne qui leur avoit tant fait de mal? D'ailleurs démentira-t'on toute l'Hiftoire ancienne, & les monumens les plus authentiques qui parlent des Heros de la Grece, qui nous apprennent leurs noms, leurs parens, & le lieu de leur naiffance, pour croire fur quelques foibles Etymologies, ou fur quelques legeres reffemblances, qu'ils ne font copiés que d'après Moyfe? Ne peut-il pas être arrivé en differens lieux des chofes affez femblables? Agamemnon ne peut-il pas avoir voulu immoler fa fille Iphigenie dans la crainte de perdre le commandement d'une belle Armée, fans qu'il foit befoin de confondre cet évenement avec le facrifice de Jephté, quelque reffemblance qu'on trouve dans le temps, (a) & dans le nom des deux Princeffes? (b) On doit dire la même cho fe du Déluge de Deucalion, de Minerve fortie du cerveau de Jupiter, & des autres Fables qui femblent avoir quelque rapport avec les verités de l'Ecriture. Eft-il impoffible de voir revenir fur la fcéne du monde les mêmes évenemens? Ne fera t'on pas toujours des facrifices à l'ambition? Ne verra-t'on pas toujours des meurtres, des parricides? &c. Cela eft fi vrai, que qui fçauroit parfaitement l'Hiftoire des fiecles paffés, verroit revenir bien des chofes qui font déja 'arrivées plus d'une fois. Après tout, s'il fe trouve quelque rapport entre les Fables & l'Hiftoire de Moyfe ou de Samfon, on doit penfer feulement que c'eft un refte de Tradition,

(a) Le Sacrifice d'Iphigenie arriva vers le temps de Jephté.

(b) La fille de Jephté s'appelloit Iphianaffe, nom qu'Homere donne à la nom fille d'Agamemnon.

que rien n'a été capable d'effacer. On ne fçauroit nier par exemple, que le fouvenir du Deluge univerfel, confervé chez tous les Peuples, n'ait contribué à embellir celui de Deucalion; qu'on ne fe foit fervi de quelques circonftances de l'Hiftoire de Noé, dans celle de Saturne & de fes enfans, qui vivoient peu de temps après; fur tout pour ce qui regarde le partage du monde, ainfi que de quelques autres; mais de vouloir tirer le denouement de prefque toutes les Fables, de l'abus prétendu des Livres de Moyfe, c'est vouloir s'aveugler.

cit.

En effet croira-t'on aifément que les métamorphofes de Protée, n'ont été inventées que fur ce que l'Ecriture dit de la Verge de Moyfe (1)? Que Mercure n'a paffé pour être le (1) Voyez Meflager des Dieux & le confident de leurs amours, que M. Huet. loc. parce que la curiofité de Chanaan lui attira la malediction de Noé (2)? Que l'Hiftoire des Mufes n'a d'autre fondement (2) Boch. que la corruption du nom de Moyfe; & qu'on ne leur attri- Phaleg. 1. 1. bua l'invention de la Danfe & de la Mufique, que parce que Marie, que les Grecs appellerent peut-être Moufa, chanta un Cantique en danfant (3)? Que la Fable qui dit que Mer-, (3) Huet. cure conduifoit les ames en enfer, eft fondée fur ce que Moyfe fit engloutir Dathan & Abiron (4)? Qu'Eurifthée per- (4) Id. Ibid. fécutant Hercule, c'eft Moyfe faifant agir Jofué? Que Vulcain tombant du ciel, eft Moïfe defcendant de la montagne? Que le combat d'Hercule avec Achelous, eft le paffage du Jourdain ? Que Promethée detaché du Mont-Caucafe par Hercule, c'eft Moyfe priant fur la montagne pendant

loc.cit.

1.7.

ch.

que Jofué defait les Amalecites (5)? S'il étoit permis de (5) Id. Ibid. profiter des moindres reffemblances, je dirois auffi que le chien qui reconnut Ulyffe à fon retour en Ithaque (6), eft, (6) Odyfl. le même que celui de Tobie qui careffa fon jeune Maître à fon retour de la maifon de Raguel (7): Que le difcours que (7) Tobie. tint Achille à son Cheval (8), eft une imitation de la con- (8) Iliad. 1.19. verfation de Balaam, avec fon âneffe (9). Que l'expedi- (9) Num. 14. tion des Argonautes, eft une Relation bigarrée des voyages d'Abraham, & de ceux des Ifraelites dans le defert (10): Que l'hiftoire de Philemon & de Baucis, eft celle d'Abraham & de Sara; ou de Lot & de fa femme (11): Que la Fable de

(10) Conf. T. 1. p. 155. (11) Idem.

de la Fable

(1) Id.T. 2. P. 19.

Niobé, eft la copie des malheurs de Job (1): Celle de Laomedon, & des Dieux qui bâtiffent Troye, l'hiftoire de Laban (2) Id. T. 2. & de Jacob (2): Que l'hiftoire d'Orion, eft tirée de celle de Jacob & de Sara; ainfi qu'une infinité d'autres que je pourrois citer; c'eft ce qui eft bien difficile à prouver.

P. 151.

D'ailleurs fi le rapport eft fi parfait entre les Heros de la Bible & ceux de la Fable, pourquoi nos plus célebres Auteurs font-ils si differents entre eux ? Pourquoi, felon Bochart, Mercure eft-il le même que Chanaan, & felon M. Huet, le même que Moyfe? Pourquoi l'un dit-il, qu'Hercule eft Samfon & l'autre que c'eft Jofué? L'un que Noé eft Saturne, & l'autre que c'est Abraham? Cette varieté d'opinions n'eft pas une petite preuve contre le fentiment de ces Sçavans modernes auffi faut-il avouer que quelque étudiés que foient les paralleles dont leurs Livres font remplis, il s'y trouve toujours des chofes bien gratuites, pour ne rien dire de plus. Je voudrois bien voir un Sçavant qui, en examinant les Annales de la Chine, trouveroit beaucoup de reffemblance dans le nom, dans l'humeur & dans les actions d'un de leurs Empereurs, avec un de nos Rois de France, s'il feroit bien reçu à dire que ce Roi de France a été Empereur de la Chine, ou que le Prince Chinois a été Roi de France.

Il n'eft rien de fi arbitraire que les Etymologies des noms qu'on peut fouvent lire, & qu'on peut toujours interpreter à fa fantaisie. Je veux croire qu'Orphée & quelques autres ont fait des voyages en Egypte, du temps même que les Ifraëlites y habitoient; mais je fçais bien auffi qu'ils s'y inftruisirent bien plus dans la funefte science de la Magie, ou du moins dans les vaines fuperftitions de ce Peuple idolatre, que dans la connoiffance du vrai Dieu, quoi qu'en ayent penfé plufieurs (3) Cohort. Sçavans après S. Justin (3); & d'ailleurs, il ne nous refte rien de cet Orphée, quel qu'il foit. De quoi s'inftruisent, je vous prie, ceux qui voyagent dans quelque pays, fi ce n'eft de fa Religion, de fes Loix, & de fes Coûtumes? Ne confultentils pas plutôt leurs Prêtres & leurs Docteurs, que ceux d'un peuple captif, haï, perfecuté, & d'ailleurs peu porté à reveler fes myfteres aux Etrangers? Je ne nie pas à la verité, que ces anciens Poëtes n'ayent connu plufieurs verités, conume,

ad Græcos.

l'unité de Dieu, l'immortalité de l'ame, les peines de l'Enfer, les recompenfes du Paradis; verités qui malgré l'attirail de fictions dont ils les ont ornées, brillent dans plufieurs endroits de leurs Ouvrages: mais croira-t-on qu'ils les ayent puifées dans nos divines Ecritures? Ne font-ce pas plutôt ces précieux reftes de la Tradition, que rien ne peut effacer; des étincelles de la raifon & de la lumiere naturelle, & qui font, comme dit Tertullien, le témoignage d'une ame naturellement Chrétienne? Teftimonium anima naturaliter Chriftianæ (1). (1) Tert. de En un mot c'étoient ces divines femences des verités teft. anima. éternelles, qui étoient reftées dans le fond du cœur de l'homme, de fon ancien état d'innocence, & dont Dieu étoit l'auteur auffi bien que des Livres faints. Non multum refert an à Deo formata fit animæ confcientia, an litteris Dei? (2)

(2) Idem,

On peut ajouter que les Fables ayant pris naiffance peu de Ibid. fiecles après le Déluge, temps auquel les Traditions des chofes même arrivées avant Noé, étoient encore affez recentes, il y a bien de l'apparence que ceux qui les fuivirent ne manquerent pas d'adopter quelques traits de ces anciennes verités; ainfi le Chaos, le Siecle d'or, & tant d'autres Fables, font copiées d'après ce que raconte Moyfe de la création, de l'état d'innocence, & de cette communauté où vivoient les premiers hommes. Mais pour ce qui eft de ces rapports infinis que le Pere Thomaffin (3), & après lui l'Auteur de (3) Lect. des l'Homere Hebraïfant, trouvent à chaque page entre les Li- Poëtes. vres de Moyfe & ceux de cet ancien Poëte, je crois qu'il n'en ont vu un fi grand nombre, que par la difpofition favorable où ils étoient de les y appercevoir. Laiffons donc à la Grece fes Heros & fon Heroifme, & contentons-nous de dire que s'il y a quelques Fables qui doivent leur origine à l'abus que les Payens ont fait de l'Ecriture Sainte & de la Tradition, le nombre n'en eft pas fi grand qu'on le croit communément.

On ne fçauroit nier à la verité que Sanchoniathon n'ait fait allufion à l'Hiftoire des premiers hommes, quoiqu'il l'ait entiérement defigurée, comme j'efpere de le faire voir lors qu'il fera queftion du Fragment de cet Autheur qu'Eufebe nous en a confervé; mais cet Ecrivain qui vivoit avant, ou peu après

cienne.

la guerre de Troye, & qui n'a été connu dans la Grece que par
la traduction de Philon de Byblos, faite au temps d'Hadrien,
a-t'il été le Precepteur d'Hefiode & d'Homere, dans lefquels.
on trouve tout le fond de la Mythologie Grecque? Il est
vrai encore que
les Grecs ont tiré la connoiffance de leurs
Dieux, des Pheniciens & des Egyptiens, par les Colonies
qui leur arriverent de ces deux Pays; mais l'Hiftoire des Pa-
triarches devoit être bien obfcurcie du temps d'Inachus, de
Cecrops & de Cadmus, l'Idolatrie étant alors repandue dans
l'Orient depuis plufieurs fiecles. Difons cependant qu'on ne
manquera pas dans l'occafion, de rapporter le fentiment de
ces Sçavans, afin que le Lecteur, qu'on cherche à inftruire
dans cet Ouvrage, fans vouloir le contraindre de fuivre un
fentiment plutôt qu'un autre, puiffe être en état de juger lui
même quel parti il doit prendre.

Onziéme Une fource plus feconde & plus favorable à l'introduction fource. L'ides Fables, c'eft l'ignorance de l'Hiftoire ancienne, & de gnorance de Hiftoire an- la Chronologie. Comme on ne commença que fort tard, furtout dans la Grece, à avoir l'ufage des Lettres, il fe paffa plus fieurs fiecles, pendant lefquels le fouvenir des évenemens remarquables, ne fut confervé que par Tradition, ou tout au plus par quelques Monumens qui devenoient dans la fuite fort équivoques. Lors même qu'on commença à fe fervir de l'Ecriture, on n'écrivit pas d'abord des Hiftoires fuivies ; on compofa des Eloges, des Cantiques, & quelques Genealogies remplies de Fables, qui furent dreffées par les foins (1) Voyez le des Prêtres, ainfi qu'on l'a déja infinué (1); en forte qu'on ne premier Chatrouvoit pitre. par tout que confufion; & même quand on vouloit un peu approfondir ces Hiftoires anciennes, après qu'on étoit remonté jufqu'à trois ou quatre generations, on fe trou voit dans le labyrinthe de l'Hiftoire des Dieux, où l'on rencontroit toujours Jupiter, Saturne, le Ciel, & la Terre. Les Grecs fur-tout, ne fçavoient rien de plus fur leur origine; c'étoit -là qu'aboutiffoit toute leur Tradition, même parmi les plus raifonnables car les autres publioient bonnement que leurs Ancêtres étoient fortis de terre comme des champignons, ou des fourmis de la forêt d'Egine (a), ou des dents Qui rupto robore nati, compofitique luto, nullos habuere parentes, Juven. Sat, 6,

(a)

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