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més dans des cages. Celui qui en avoit foin étoit nommé Pullarius, comme nous l'apprenons de Ciceron (1). Les Ro- (1) De Div mains avoient tant de foi à la maniere dont ils mangeoient, qu'ils n'entreprenoient rien de confiderable, fans avoir pris auparavant cette forte d'augure. Les Generaux même des armées les faifoient porter dans leurs Camps, & les confultoient avant que de livrer bataille. Le Conful, après avoir averti celui qui prenoit foin de ces Poulets, de préparer tout ce qui étoit neceffaire pour prendre l'aufpice, jettoit lui-même du grain aux Poulets: s'ils le prenoient avec avidité, en le trépignant & l'écartant çà & là, l'aufpice étoit favorable ; fi aucontraire ils refufoient de manger & de boire, l'aufpice étoit mauvais, & on fe defiftoit de l'entreprise pour laquelle on les confultoit.

On eft étonné avec raison, de voir qu'un Peuple auffi ferieux & auffi fage que le Peuple Romain, ait été addonné pendant plufieurs fiecles à une fi puerile fuperftition, & ait fait dépendre les plus grandes entreprises de la fatieté ou de l'appetit d'un Poulet; mais le fait n'en est pas moins certain. Ciceron à la verité, s'en eft mocqué ouvertement, fans qu'il paroiffe qu'on lui en ait fait une affaire ferieufe; mais apparemment que les temps étoient changés, lorfqu'il écrivoit fes Livres de la Divination : peut-être que dans un autre fiecle il n'en auroit pas raillé impunément.

Quoiqu'il en foit, les Romains étoient fi attachés aux aufpices & aux augures, & ils y avoient tant de foi, qu'ils les pre noient dans toutes les entreprises. Après avoir fait précéder les ceremonies prescrites par la Religion, ils confultoient toujours une perfonne intelligente dans cette forte de fcience. On nous a confervé la maniere dont ils interrogeoient celui à qui ils s'adreffoient. Quintus Fabius, je fouhaite que vous me ferviez d prendre l'aufpice; dites-moi fi toutes les ceremonies ufitées en pareil cas, ont été obfervées exactement, & fi l'auspice n'eft point defecQuinte Fabi, te volo mihi in aufpicio effe dicito fi filentium effe videtur; & alors la perfonne confultée repondoit: rien n'y manque ; filentium effe videtur.

Les Arufpices étoient à Rome dans la même confideration que les Augures. Comme leurs fonctions consistoient à exami

ner les entrailles des Victimes, on les nommoit auffi Extifpices, nom compofé de deux mots latins, exta, entrailles, & infpicere, confiderer, obferver, ainfi que je l'ai dit en parlant des Sacrifices. Les Etruriens étoient de tous les Peuples d'Italie ceux qui poffedoient le mieux la fcience des Arufpices, que Tagès leur avoit enfeignée; & c'étoit de leur pays que les Romains faifoient venir ceux dont ils fe fervoient, ou les prenoient parmi ceux qu'ils y avoient envoyés pour s'y inf truire; car ils envoyoient tous les ans en Etrurie, ainfi que le Senat l'avoit ordonné, fix jeunes perfonnes, fi nous en croyons Ciceron, ou dix, felon Valere Maxime, ou douze, comme l'affûrent d'autres Auteurs, pour être inftruits dans les connoiffances des Arufpices & des autres fortes de Divination. De peur même que cette fcience ne vint à s'avilir, par la qualité des perfonnes qui l'exerçoient, ils choififfoient ces jeunes gens parmi les meilleures familles de Rome : Tantum autem ftudium antiquis, non folùm obfervanda, fed etiam amplificanda Religionis fuit, ut è florentiffima & opulentiffima Civitate decem principum filii Senatus-Confulto fingulis Hetruriæ populis, (1) Val. Max. percipienda Sacrorum difciplinæ gratia, traderentur (1).

Liv. 3. c. 11.

André Glareanus croit que comme les Etruriens étoient divifés en douze nations, il faut lire dans Valere Maxime & dans le fecond Livre de la Divination de Ciceron, douze jeunes gens, & non pas dix, comme le dit Valere Maxime, ou fix, comme le marque Ciceron, perfuadé que le texte de ces deux Auteurs a été alteré par quelque Copifte.

J'ai dit que Tagès avoir le premier enfeigné aux Etruriens la fcience des Arufpices, & cette autre forte de Divination que les Latins nomment la Divination Etrufque ; je dois maintenant faire connoître ce Tagès. Ciceron raconte ainsi son (2) De Div. hiftoire, ou plûtôt fa fable (2). » Un Payfan, dit-il, labourant » un champ, & le foc de fa charrue étant entré un peu avant dans la terre, il remua une motte d'où fortit un enfant qui lui enfeigna, de même qu'aux autres Tofcans, les principes » de la Divination ».

Lib. 2.

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Ovide raconte la même fable dans le XVe. Livre de fes

(3) Verf. 558. Metamorphofes (3).

Indigena

Indigena dixere Tagen, qui primus Hetrufcam
Edocuit gentem cafus aperire futuros.

Comme la maniere de raconter un fait, peut bien en alterer les
circonftances fans le detruire, je fuis perfuadé que le fond
de la fable que je viens de rapporter, eft vrai, & qu'elle
fignifie, ou que Tagès étoit d'une naiffance obfcure, ou qu'il
étoit originaire du pays, Autoctone; car c'étoit de ces for-
tes de gens qu'on difoit communément qu'ils étoient fortis
de terre. Quoiqu'il en foit, Tagès devint habile dans la science
de la Divination, fur tout dans celle qui confifte à exami-
ner les entrailles; & l'enfeigna enfuite aux Etruriens, qui y'
devinrent très-habiles. Il avoit même compofé fur cette
matiere un Ouvrage que l'on confervoit précieusement, &
qui fut expliqué dans la fuite par Antiftius Labeo, qui le divisa
en quinze Livres.

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On ne fçait fi Tagès avoit lui-même inventé cette forte de Divination, ou s'il l'avoit apprife des Etrangers qui voya gerent de fon temps en Tofcane. Il eft für du moins que, fuivant plufieurs Auteurs, elle étoit connue & pratiquée dans d'autres pays. Les Grecs la poffedoient du temps de Tirefias & de Carès, lefquels avoient inventé, felon Pline, le premier, l'Aufpice, & le fecond, l'Augure. Clement d'Alexandrie qui nous a confervé de précieux morceaux fur l'Antiquité, prétend que les Phrygiens furent les premiers de tous les Peuples du monde, qui obferverent le chant & le vol des oifeaux; & nous apprend en même temps qu'on nommoit Præpetes, ceux qui avoient attention au vol, & Ofcines, ceux qui s'attachoient au chant; ce qui peut fervir, pour le dire en paffant, à faire entendre les vers d'Horace que j'ai cités dans ce Chapitre.

1

D'autres Auteurs font encore remonter plus haut l'origine de cette fcience, & foutiennent qu'elle a été en ufage dès les temps les plus reculés, dans la Chaldée & dans l'Egypte, d'où les Grecs l'apprirent, & la pratiquerent fort long-temps. Il y avoit même dans la Grece deux familles, celle des Jamides & celle des Clytides, qui étoient fpecialement deftinées aux fonctions qu'elle prefcrivoit. De la Grece elle paffa

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(1) Trad. de Brebœuf.

en Etrurie, & les Tofcans s'y rendirent fi habiles; qu'ils devinrent les plus fçavans de tous les Arufpices, comme je l'ai déja dit. Il falloit même qu'elle fe fût repandue dans plufieurs parties de l'Italie avant la fondation de Rome, puifque Romulus établit dans fa nouvelle ville un College de trois Aufpices, en prenant un dans chaque Tribu.

L'Arufpice tiroit fes prefages des mouvemens de la Victi me qu'on menoit au Sacrifice, de fes entrailles, & du feu qui la confumoit. Si la Victime fe laiffoit conduire fans fe débattre ; fi elle ne jettoit point de cris extraordinaires quand on lui donnoit le coup mortel; fi elle ne fe déroboir point des mains de celui qui la conduifoit, c'étoit un bon augure, & un mauvais si le contraire arrivoit. La Victime frappée, on lui ouvroit le ventre & on examinoit ses entrailles, fur-tout le foye, le cœur, la rate, les reins, & la langue: on avoit attention à leur couleur, & on obfervoit foigneufement s'il n'y paroiffoit point quelque flêtriffure, & fi chacune de fes parties étoit telle qu'elle devoit être.

Avant que d'ouvrir la Victime on affignoit un des lobes du foye à ceux qui offroient le Sacrifice, & l'autre aux ennemis de l'Etat. Celui qui fe trouvoit rouge & vermeil, ni plus ni moins gros qu'il ne falloit, fans flêtriffure, fans tache, annonçoit les chofes les plus heureuses à ceux à qui il étoit destiné; celui qui étoit maigre, livide, &c. annonçoit le plus mauvais de tous les prefages. Lucain, qui a decrit avec beau coup d'élegance toutes les operations des Arufpices, n'a pas oublié cette circonstance.

Au côté qu'il affigne à la force ennemie,

La couleur eft vermeille, & la chair affermie.
L'autre eft tout languissant & tout defiguré,
Et, ce qui lui prononce un malheur affûré,
A la tête du foye une autre eft attachée, &c (1).

Après le foye, le coeur étoit la partie qu'on obfervoir avec le plus de foin. S'il palpitoit, s'il étoit maigre & plus petit qu'à l'ordinaire, tout cela étoit de mauvais augure; mais fi on ne trouvoit point de coeur dans la Victime, on en tiroit les préfages les plus finiftres. On aflûre que le jour que Cefar fur

et

dans

de

affaffiné, cette partie ne s'étoit point trouvée dans deux Victi-
mes qu'on avoit immolées. La même chofe arriva, dit-on
à Caius Marius dans un Sacrifice qu'il offrit à Utique en Afri-
que, & à l'Empereur Pertinax.

On en ufoit de même pour la rate, le fiel, & les poulmons;
& pour que l'augure füt bon, il falloit que ces trois parties
euffent à peu près les mêmes qualités que celles que devoient
avoir le cœur & le foye. Si les entrailles tomboient des mains
de celui qui les examinoit; fi elles jettoient une mauvaise
odeur; enfin fi elles étoient livides, flêtries, ou trop bouffies,
l'Arufpice n'en prefageoit que des malheurs.

Après avoir fcrupuleufement examiné les entrailles de la Victime, on allumoit le feu, & on tiroit plufieurs augures dé la maniere dont il brûloit. Si la flamme étoit claire, si elle s'élevoit fans se separer, fi elle ne s'éteignoit qu'après avoir éntierement confumé la Victime, c'étoit une marque infaillible que le Sacrifice étoit agréable ; fi au-contraire on avoit eu de la peine à allumer le feu, fi la flamme se separoit, fi au-lieu de s'attacher à la Victime, elle ne faifoit que rouler autour, fi elle defcendoit en bas, le prefage étoit mauvais.

L'Arufpice tiroit encore fes pronoftiques du vin dont on se fervoit pour la Libation. S'il perdoit fa couleur & fon goût,

l'augure étoit mauvais : c'eft, au rapport de Virgile (1), ce qui (1) Æneid. arriva à Didon, lorfqu'offrant un Sacrifice elle s'apperçut que L. 4. v. 453. le vin s'étoit changé en un fang noir & corrompu,

Latices nigrefcere facros,

Fufaque in obfcænum fe vertere vina cruorem.

De même qu'à Xerxès, qui, felon Valere Maxime, foupant
la veille qu'il devoit affieger la ville de Sparte, vit avec éton-
nement le vin qu'on lui fervoir à boire, se changer par trois
fois en fang: Infufum namque pateræ ejus vinum, in fanguinem
nec femel, fed iterùm & tertiò converfum.

Tels étoient les prefages que tiroient les Augures, les Auf-
pices & les Arufpices: mais comme il y en avoit encore plu
fieurs autres que chaque particulier pouvoit obferver, je vais
en parler dans le Chapitre fuivant.

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