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voir par là, que tout avoit commencé parmi eux, & qu'ils n'étoient redevables à aucun Peuple, ni de leurs Dieux, ni de leurs Heros. C'eft pour cette raifon fans doute, que l'on trouve dans les Poëtes Grecs les Fables Egyptiennes si défigurées, qu'il feroit difficile fans le fecours des Langues, d'en pouvoir découvrir l'origine ; & qu'il y a tant de difference entre ce que Diodore & Plutarque difent d'Ifis & d'Ofiris après les Prêtres d'Egypte, & ce que les Poëtes difent d'Io, de Bacchus & de Diane, qu'on feroit tenté de croire que ce ne font pas les mêmes Divinités.

On a donné dans le premier Chapitre des regles & des exemples pour connoître en general, les Fables Orientales, les Grecques & les Latines. Ce feroit ici le lieu de dire en quel temps ont commencé les Fables; mais il eft impoffible d'en fixer au jufte l'époque : on fçait feulement qu'elles font très-anciennes, puifque nous les trouvons dans ce qui nous refte de plus ancien dans l'Antiquité profane; à quoi on peut ajoûter que la maniere differente dont les racontent les premiers Poëtes, eft une preuve inconteftable qu'elles étoient répanduës avant leur temps, parmi les peuples dont apparemment elles contenoient l'ancienne Tradition. Mais pour dire quelque chofe de plus précis, je crois que fi avant le Deluge, les Fables n'ont pas corrompu la Religion de Caïn & de fa famille, ainfi que l'idolatrie avec laquelle elles paroiffent fi naturellement liées, elles ont du moins pris naiffance peu de temps après, dans la famille de Cham, & de Chanaam fon fils, premiers auteurs de l'idolatrie. Ainsi on doit regarder la Phenicie & l'Egypte comme le premier Theâtre des Fables, d'où elles pafferent avec les Colonies en occident, & dans la Grece fur tout, où elles multiplierent infiniment, les Grecs ayant un genie porté aux fictions. De la Grece elles pafferent en Italie, & dans les autres pays.

Il eft conftant qu'en fuivant un peu l'ancienne Tradition, on découvre aisément que c'eft là le chemin de l'idolatrie & des Fables, qui ont toûjours marché enfemble. Qu'on ne s'imagine donc pas qu'Homere & Hefiode font les inventeurs de ces Fables: l'idolatrie étoit plus ancienne que ces deux

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Expliquées par PHiftoire. Liv.I. CHAP. VI. Poëtes, & par confequent les Fables, qui y font néceffairement enchaînées, l'étoient auffi. Les Poëtes qui avoient précédé ceux que je viens de nommer, en avoient apparen ment rempli leurs Ouvrages, & je ne doute pas qu' n'ait eu des modeles qu'il a imité. La Poëfie Grecque auroitallomere elle commencé par des Chefs-d'œuvres? Il y avoit eu fans doute avant lui des Poëtes, qui avoient traité le fujet de la guerre de Troye, & qui avoient fait des Iliades, où remment le commerce des Dieux avec les hommes, & les appaautres Fables, regnoient comme dans l'Iliade & l'Odyffée ; car il ne faut pas croire que les Dieux de la Grece doivent leur origine aux Poëmes d'Homere & d'Hefiode. Ces deux Poëtes, & ceux qui les ont precedés, avoient fuivi dans leurs Ouvrages les principes de la Theologie de leur pays, le fyfteme avoit été formé dès le temps de Cecrops qui dont établit dans la Grece le culte des Divinités d'Egypte & de Phenicie, comme il paroît par le témoignage des Anciens, ainsi qu'on peut le voir dans Saint Epiphane (1). Les autres Chefs de Colonies, tels que Cadmus, qui porta en Grece Liv. 1. de fes les myfteres de Bacchus & d'Ofiris, fuivirent la même méthode; or ces Chefs de Colonies étoient tous anterieurs de plufieurs fiecles à ces deux Poëtes. Mais pour tout dire en un mot, la Poëfie Grecque n'eft qu'une copie de cette ancienne Poëfie fi connue en Orient, & que Moyfe a fi heureufement employée dans ces admirables Cantiques, où il celebre avec tant de majefté les victoires du Dieu des Armées fur les ennemis des Hebreux; & peut-être même que c'eft ce commerce facré du Dieu d'Ifrael avec fon peuple, que fait fi fouvent fentir ce faint Legiflateur, qui a donné lieu dans la fuite aux Poëtes, de mêler à tous propos leurs Dieux avec les hommes, n'ayant pas fçu expliquer autrement cette divine Providence qui regle les évenemens, & qui paroît dans ces divins Cantiques fi remplie de foin & de follicitude. Ainfi les premieres verités ont donné occasion aux Fables les plus anciennes, qui fe font enfuite multipliées au gré du genie des peuples qui les ont adoptées.

Il eft bon de remarquer encore, que les Fables qui fortirent de la Phenicie & de l'Egypte, ne prirent pas toutes la

(1) Dans le

herefies, §.7.

Quinziéme fource. L'ignorance de la

route d'Occident, je veux dire de la Grece & de l'Italie; il y en eut beaucoup qui pafferent dans les Indes avec les Colonies qui allerent s'y établir; & c'est ce qui fait qu'il y a peu de pays où l'on n'ait trouvé une Tradition du combat des Géants, & de la Guerre qu'ils firent aux Dieux, comme on le peut voir dans plufieurs Relations (a). On trouve encore dans les pays les plus éloignés plufieurs veftiges des anciennes Fables, où elles ne font pas même affez défigurées, pour n'être pas reconnuës; ce qu'on doit penfer auffi de l'idolatrie de ces Peuples, qu'on voit bien, malgré les changemens qu'on y a faits, être la fuite de l'ancienne, qui fut portée dans les climats éloignés avec les Colonies. Sur quoi on peut confulter l'Ouvrage du P. Laffiteau, pour ce qui regarde les Sauvages de l'Amerique, dont les mœurs, felon lui reffemblent à celles des premiers hommes. Mais il eft temps de paffer à une autre fource.

Comme dans ces premiers temps l'art de la Navigation étoit peu perfectionné, & qu'on ne fçavoit guere bien la Geographie. Geographie, les voyages de mer étoient fort dangereux. Lorfqu'on vint enfuite à faire des Relations des ces voyages, on y mêla plusieurs Fables: on ne parla, par exemple, de l'Ocean que comme d'un lieu couvert de tenebres, où le foleil alloit fe coucher tous les foirs dans le Palais de Tethys (b).

Les Rochers qui compofent le Détroit de Scylla & de Charybde, pafferent pour deux monftres qui engloutifsoient les vaiffeaux. On publioit que les Symplegades ou les Cyanées, qui font à l'entrée du Pont-Euxin, s'entreheurtoient pour engloutir les navires qui y paffoient. On regardoit les Cimmeriens, comme un Peuple enfeveli dans des tenebres éternelles : les Arimafpes & les Iffedons, comme des hommes qui n'avoient qu'un œil : les Hyperboréens, comme des gens qui vivoient mille ans fans chagrin, fans maladie, & fans reffentir aucune des incommodités de la vie. Ici, il y

(a) Voyez ce que M Dellon en a écrit dans fon troifiéme tome des Divinités qu'adorent les peuples des Indes, fur tout fur les côtes de Malabar, & des pays (1) Sil ital. L. voifins : & ce que le Pere Laffiteau en a dit dans fes Mours des Sauvages. T. 2. Tarteffos ftabulanti coufcia Phœbo (1).

3.

(2) Ovid.

Met. L. 14.

(b)

Prefferat oociduus Tarteffia littora Phœbus (2).

avoit un peuple couvert de plumes; là, des hommes fans tête, ou Acephales; des Cynocephales, ou hommes à tête de chien; d'autres, dont les oreilles pendoient jufqu'aux talons ; d'autres enfin qui n'avoient qu'un pied, car c'est ce que contenoient les Relations des Indes & du Nord: partout des monftres effroyables qu'il falloit dompter. Si quelqu'un alloit dans le Golphe de Perfe, on publioit qu'il étoit allé jufqu'au fond de l'Orient, & au pays où l'Aurore ouvre la barriere du jour. Parce que Perfée eut la hardieffe de fortir du détroit de Gibraltar pour aller jufqu'aux Ifles Orcades, on lui donna le Cheval Pegase, avec l'équipage de Pluton & de Mercure, comme s'il avoit été impoffible de faire un si long yoyage, fans quelque fecours furnaturel.

Que de Fables ridicules, que de fictions pueriles ne trou ve-t'on pas dans le faux Orphée, dans Apollonius de Rhodes, au fujet du retour des Argonautes; Combien de Pays & de Peuples inconnus, ne leur font-ils pas rencontrer dans ce voyage chimerique? Qui eft-ce qui peut dire où étoient les Cimmeriens d'Homere, & l'Ifle de Calypfo ?

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On peut ajoûter à toutes ces fources, le foin qu'on a pris fouvent de fauver l'honneur de plufieurs femmes. Lorsque quelque Princeffe avoit eu de la foibleffe pour fon Amant, les flatteurs ne manquoient pas d'appeller au fecours de fa réputation quelque Divinité favorable: il falloit que ce fut un Dieu métamorphofé, qui eût triomphé de l'infenfibilité de la Belle; on fauvoit par là fa réputation, & ces fortes de galanteries, bien loin d'être diffamantes, étoient très honorables. Il n'y avoit pas jufqu'aux époux trop faciles, qui ne les favorifaffent; & l'hiftoire de Pauline & de Mundus, n'eft le feul monument qui nous refte de la fotte crédulité des maris. Mundus, jeune Chevalier Romain, étoit devenu amoureux de Pauline, & ayant employé inutilement tous les moyens de la rendre fenfible, il s'avifa de gagner les Prêtres d'Anubis, qui firent fçavoir à Pauline que ce Dieu étoit amoureux d'elle; Pauline fut le même foir conduite dans le Temple par fon mari. Quelques jours après, Mundus qu'elle rencontra par hafard, lui déclara le fecret. Pauline au défefpoir s'en plaignit à Tibere, qui tout Tibere qu'il étoit,

pas

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fit brûler les Prêtres d'Anubis, trainer fa Statue dans le Tybre, (1) Jofeph. & fit exiler Mundus (1).

'Ant. 1. 18.

d'Halicarn.

L. I.

Il eft für qu'une infinité de Fables tirent leur origine de cette fource. Celle de Rhea Silvia, mere de Remus & Ro(2) Den. mulus, en eft une preuve (2). Amulius fon oncle entra dans Ant. Rom. L. fa cellule, & Numitor fon pere, fit courir le bruit que les 1. Tite-Live. deux enfans qu'elle mit au monde avoient pour pere le Dieu de la Guerre. Souvent même les Prêtres étant amoureux de quelque femme, lui annonçoient qu'elle étoit aimée du Dieu qu'ils fervoient, & elle fe préparoit à aller coucher dans le (3) Herodot. Temple, où les parens la conduifoient avec ceremonie (3). L. 1. C. 181. A Babylone une femme, de celles que Jupiter-Belus avoit fait choisir par fon Prêtre, alloit coucher dans fon Temple. De là ce grand nombre d'enfans qu'on donne aux Dieux.

CHAPITRE VI I.

Dans lequel on recherche l'origine des Metamorphofes d'Ovide, & de quelques autres Poëtes.

P

OUR ne rien laiffer à defirer fur l'origine des Fables

il faut ajoûter à ce que nous avons dit dans les Chapi tres precedens, que prefque toutes celles qui fe trouvent dans les Metamorphofes d'Ovide, d'Hyginus, & d'Antoninus Liberalis, ne font fondées que fur des manieres de s'expri mer figurées & metaphoriques : ce font ordinairement de veritables faits, aufquels on a ajoûté quelque circonftance furnaturelle pour les embellir. La vie retirée, par exemple, que menerent en Illyrie Cadmus & Hermione, après avoir été chaffés du Trône de Thebes, donna fans doute lieu à les faire changer en Serpens; furtout à l'aide des équivoques, dont nous parlerons dans leur hiftoire. La cruauté de Lycaon, qui immoloit des victimes humaines à Jupiter Lyl'a fait metamorphofer en loup. Céyx & Alcyone ont été changés en Alcyons, pour nous donner une idée d'un amour parfait entre deux époux. Quand quelque Princeffe mouroit de douleur de la perte de fon mari ou de fes enfans,

cæus,

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