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roient l'ufage des lettres, n'y a-t'il pas plufieurs manieres de transmettre à la posterité les faits éclatans ? Des Fêtes, des Jeux, des Hymnes, des Cantiques, des Colomnes, des Monceaux de terre, un amas de pierres,ou enfin une tradition tranfmise de pere en fils: tout cela étoit capable de faire connoîtreces Hommes celebres qui avoient merité les honneurs divins: & dès-làil n'eft donc pas impoffible de fçavoir leur hiftoire, & les explications hiftoriques qu'on donne des Fables qu'on ya mêlées, ne font pas fans fondement.

Il arrive quelquefois dans le monde des évenemens fi celebres, qu'on ne les oublie point. Tels ont été dans l'Antiquité les Conquêtes des Princes Titans, que l'Ecriture fainte dit avoir dominé fur la terre; & celles de Bacchus, ou Ofiris: & de quelque maniere que le fouvenir en foit paffé à la pofterité, il eft fûr qu'on ne les a pas ignorées, & que Diodore de Sicile & les autres Anciens qui en ont écrit l'Hiftoire, ne l'avoient pas inventée.

Que les Dieux du Paganisme ayent été les Patriarches des Hebreux, comme le prétendent plufieurs Sçavans; ou qu'ils ayent été d'anciens Rois d'Egypte & de Phenicie, & des autres Peuples voifins, c'eft ce que je n'examine pas préfentement; mais toûjours eft-il certain qu'on connoiffoit leur Histoire, & qu'on avoit des traditions sur lesquelles on pouvoit compter.

S'il eft vrai après ce que je viens de dire, qu'on peut ramener à l'Hiftoire les Fables des Dieux, per

moins autant de celle des Heros & des Demi-Dieux, puifque les Grecs ont été en état de nous la tranfmettre. Il eft inutile de rechercher présentement jufqu'à quel temps ils demeurerent fans avoir l'ufage des Lettres: perfonne ne doute au moins qu'ils ne l'ayent reçu de Cadmus qui leur apporta l'Alphabet Phenicien, comme je le prouverai en fon lieu. Or les Heros de la Grece & les évenemens qui donnerent lieu à leur Heroïsme, font pofterieurs à l'établissement de la Colonie qui vint fous la conduite de ce Chef s'établir dans la Béotie; par consequent dans un temps où les Grecs ne manquoient pas de fecours pour écrire leur Histoire. Le nom de temps fabuleux que Varron donne aux fiécles, où les Heros parurent, & qui ( felon Scaliger) auroient dû être nommés les temps heroïques, ne porte nullement à croire qu'on n'en fçavoit rien de certain, puisque la Conquête des Argonautes, la Guerre des Centaures & des Lapithes, les Travaux d'Hercule, les deux Guerres de Thebes & celles de Troye, font des évenemens qu'on ne fçauroit revoquer en doute: ce fçavant Romain ne leur a donc donné le nom de temps fabuleux, qu'à cause que l'Hiftoire de ces évenemens fe trouve mêlée d'une infinité de fictions, ce qui ne doit pas paroître étonnant : car fi l'on a reproché tant de fois aux Grecs d'avoir facrifié la verité au panchant qu'ils avoient pour le merveilleux, dans des Histoires plus connues & plus récentes, comment l'auroient-ils refpectée quand il s'agiffoit de ces temps éloignés,

éloignés, fur lefquels il n'étoit pas aifé de les démentir ?

Donnons encore un nouveau jour à cette réponse. Les Grecs ont été inftruits par les Peuples de l'Orient, & en particulier par les Egyptiens, de 'Hiftoire des Dieux qui avoient vêcu dans l'efpace de temps que Varron nommoit les temps inconnus. Cadmus leur apprit l'ufage des Lettres, & les mit en état d'écrire eux-mêmes l'Hiftoire de leurs Heros, ceft-à-dire celle des temps fabuleux. Les Ouvrages qui la contenoient fubfiftoient apparemment du temps d'Hefiode & d'Homere, qui en tirerent le fond de leurs Poëmes, ou le puiferent du moins dans une tradition encore affez recente. Je

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fuis perfuadé que ces Poëmes cauferent la perte de la plupart des autres Ouvrages plus anciens; car il est arrivé plus d'une fois, qu'un bon livre a fait oublier & enfin difparoître ceux qui l'avoient précedé. Mais comme Homere & Hefiode n'avoient pas employé toutes les traditions qui étoient reçues de leur temps, les autres Poëtes qui font venus après eux, s'en font fervis ; & c'eft pour cela qu'on en trouve de fi differentes dans Sophocle, dans Euripide, & dans les autres Tragiques. Pour les Auteurs qui dans la fuite ont recueilli en Profe l'Hiftoire de ces anciens évenemens, tels qu'Apollodore, Diodore, & quelques autres, ils ont tiré ce qu'ils en racontent, ou de cette même tradition, ou des Ouvrages qui fubfiftoient encore de leur

temps, & qui avoient eux-mêmes été compofés fur d'autres encore plus anciens.

C'est ainsi que s'eft confervée d'âge en âge l'Hiftoire des Dieux & des Heros, & c'eft en même temps. le fondement des Explications Hiftoriques des Fables. Mais fuppofons pour un moment que les Grecs n'écrivirent que fort tard; qu'Homere fut leur premier Auteur, & que leur Poëfie commença par un Chef-d'œuvre, ce qui feroit afsûrément fort extraordinaire; je foutiens encore que ce Poëte auroit eu affez de fecours pour le fond de fes deux Poëmes. La Grece n'avoit rien de plus facré que les Fables, qui faifoient partie de fa Religion; & elles ne pouvoient pas perir, s'il m'eft permis de m'exprimer ainfi. Les Peintures, les Statues, les Jeux & les Fêtes, en rappelloient fans ceffe le fouvenir ; & Athenes qui, felon Paufanias, avoit de ces Statues & de ces Peintures dans tous les quartiers. de la Ville, & dans tous les Temples, auroit pû feule en conferver la tradition.

Ajoûtons encore que quelques Sages de la Grece peu contens des connoiffances que leur avoient communiquées les Colonies qui étoient arrivées en differens temps dans leur Pays, allerent eux-mêmes en Egypte pour y en puifer de nouvelles ; qu'il y en eut même quelques-uns qui firent ce voyage avant la Guerre de Troye, c'eft-à-dire, dans le temps même que Varron nomme le temps fabuleux. Diodore, qui avoit voyagé auffi dans ce Pays, l'affûre posi

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tivement, & entre dans le détail des connoiffances que ces Sages y avoient puisées, & qu'ils avoient enfuite communiquées auxGrecs. « Les Prêtres lifent» dans leurs Annales, dit cet Auteur (a), « qu'on avoit (a) L. 1. » vû chez eux Orphée, Musée, Mélampe & De» dale, ( car je ne parle pas d'Homere ni des autres » qui avoient fait le même voyage dans des temps posterieurs à la Guerre de Troye) & il n'en eft » aucun d'eux, du paffage ou du fejour duquel on »> ne montre quelque marque; comme, leur Por» trait, ou quelque Ouvrage, ou même quelque lieu qui porte leur nom. Ils donnent auffi diverfes >> preuves, qui font voir que tous ces Sages ont ti» ré de l'Egypte ce qu'il y a eu de plus merveil>> leux dans les Sciences qu'ils ont profeffées : Orphée, difent les Egyptiens, a rapporté de fon voyage fes Myfteres, fes Orgies, & toute la Fable >> de l'Enfer.

>>

» On dit que c'est Mélampe, qui a apporté du » même Pays les Fêtes de Bacchus en Grece, la Fable de Saturne, le Combat des Titans, les pe»rils & les malheurs des Dieux, &c.

Il eft inutile de fuivre préfentement cet Auteur dans les autres détails où il entre à ce fujet; j'en ai parlé ailleurs ; mais toûjours eft-il certain que ces Sages puiferent en Egypte plufieurs connoiffances concernant fa Religion & ses mysteres. Herodote (b) convient que ce même Mélampe, (b) L. 2. c. Homme Sage & éclairé, avoit appris des Egyptiens,

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