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1. C. 3.

(2) Nous,

On peut tirer encore une quatriéme Theogonie Grecque d'un Auteur très-ancien, s'il eft vrai qu'elle ait été suivie Pronapidès, Precepteur d'Homere, ainfi que le pretend Bocace (1), fur un fragment de Theodontius, qui exiftoit appa- () Geneal. remment de fon temps. Suivant cette ancienne Theogonie, la plus raisonnable de toutes, il n'y avoit qu'un Dieu feul qui fut éternel, duquel tous les autres Dieux avoient été produits. Il n'étoit pas permis de donner aucun nom à ce premier Etre (a), & on ne fçauroit dire ce qu'il eft. Anaxagore croyoit l'avoir defini en difant qu'il eft l'entendement (2). Cependant comme les idées les plus fimples ont été alterées dans la fuite, Lactance Scholiafte de Stace nomme cet Etre Souverain, Daimogorgon, ainfi que fait après Theodontius l'Auteur que je viens de citer; nom qui veut dire le Genie de la terre, & qui par la description qu'on fait de ce Dieu, ainfi qu'on le verra en son lieu, ne repond gueres à l'idée que les premiers Philofophes s'en étoient formée. Car enfin, & il eft bon de le remarquer, les Poëtes, qui ont été les premiers Theologiens de la Grece, ont pour ainfi dire, perfonifié leurs idées, & fait chacun à leur mode des Theogonies; mais ils femblent toujours fuppofer un Etre veritablement independant. Ils conviennent même la plupart d'une éternité, d'une Ontogonie, ou generation des Etres, dont les uns font celeftes, les autres terreftres ou infernaux; mais Daimogorgon & Achlys, font, dans leur fyfteme, avant le monde, avant même le Cahos. Leur Acmon, leur Hypfiftus exiftent avant le Ciel, que les Latins nomment Cælus, & les Grecs Ouranos. Selon eux encore la Terre, le Tartare, & l'Amour, avoient precedé Calus, puif qu'on trouve dans Hefiode que celui-ci eft lui-même fils de la Terre. Phornutus, Hefychius, & Simmias de Rhodes fon Scholiafte, regardent Acmon comme le pere de Cœlus ; & ce même Acmon eft fils de Manès, dans Polyhiftor & dans Stephanus. Cœlus a été premierement pere des Hecatonki-ch res, enfuite des Cyclopes, puis des Titans, & de Saturne, qui à fon tour eft devenu le pere des autres Dieux. Les Geants, enfans de la Terre, vinrent enfuite, & Typhon eft

(a) Et triplicis mundi fummum, quem fcire nefaftum eft,
Illum fed taceo, dit Stace (3).

(3) Theb. L.

le dernier de tous. Après les Dieux & les Geants, bien dif ferens, comme on voit, des Titans, qui étoient les Dieux de la race de Coelus, font venus les Demi-Dieux, du commerce des Dieux avec des mortelles, ou des Déeffes avec les hommes.

En un mot, les Grecs regardoient comme des Dieux, > ceux qui avoient vêcu depuis le commencement du monde, jufqu'au partage qu'ils font faire de l'univers entre Jupiter, Neptune & Pluton ; c'eft-à-dire, fi on veut concilier les fables avec l'hiftoire, jufqu'au temps de Phaleg & de Nemrod. Ils n'ont connu que très-confufément les premiers temps; ce qui leur a été commun avec tous le Peuples qui ont confervé d'anciennes Annales, comme les Egyptiens, les Chinois, &c. Il est bien aifé de voir qu'ils n'ont fait qu'alterer l'ancienne & veritable tradition, que Moyfe feul a confervée, & qu'ils font tombés par là dans les erreurs les plus monftrueuses. En voici un exemple bien autentique, qui suf, pour le prefent.

fira

On trouve dans le texte des Septante, que les Geants font fortis du commerce des Anges avec les filles des hommes. Cette opinion a même été fuivie par les plus anciens Interprétes de l'Ecriture Sainte; de même que par Philon, Jofephe, S. Juftin, Athenagore, Clement d'Alexandrie, &c. Plufieurs Sçavans Rabbins l'ont adoptée, & elle eft encore gene ralement reçue par tous les Mahometans. En a t'il fallu davantage à ceux qui ont connu cette tradition, pour leur faire dire que les Dieux avoient été amoureux des femmes mortelles, & en avoient eu des enfans? Les Anges dans l'Ecriture font nommés fils de Dieu; ainfi il eft vraisemblable que les Dieux des Grecs ont été imaginés fur l'idée des Anges, bons & mauvais : de là font venus les Egregores des Hebreux, les Annedots des Chaldéens, les Ginnes enfin, les Genies, les Eons, les Archontes, les Titans, les Geants, & tous les Dieux ou Demi-Dieux du Paganisme.

Le Livre d'Henoc a fans doute beaucoup contribué à faire adopter l'opinion du commerce des Anges avec les filles des hommes. Cet ouvrage eft certainement fuppofé; mais il est très-ancien, puisqu'il a été connu des Apôtres qui l'ont cité.

Ainfi Dodwel, & le Pere Dom Pezron, ont tort de douter de fon antiquité, fur ce que les Grecs ne l'avoient pas connu; comme s'ils avoient eu connoiffance de tous les Livres anciens, avant qu'ils euffent été traduits en leur langue. Mais puifque nous fommes tombés fur l'article de ce Livre, il eft bon d'en donner une idée abregée, & de découvrir enfuite l'origine de la Fable qu'il contient, & que Philaftrius met au nombre des Herefies. Lorfque les hommes se furent multipliés dit l'Auteur de cet Ouvrage, ils avoient des filles d'une grande beauté, & fi aimables que les Egregores, ou les Anges gardiens, conçurent pour elles une violente paffion. Ils defcendirent du Ciel, allerent sur le Mont Hermon, fe liguerent enfemble, & s'engagerent par ferment de fe foutenir l'un l'autre. Ayant après cela eu comelles conçurent les Geants, les Ne

merce avec ces filles philim, fils des Geants, & de ceux-ci vinrent les Eliud. L'Auteur nomme vingt de ces chefs des Anges, qui apprirent aux hommes plufieurs Arts, fur-tout l'art funeste de la Magie, & l'ufage des Armes. Il ajoute ensuite que Dieu, voyant les défordres affreux où les Geants, & leurs enfans étoient tombés, envoya fur la terre Michel, Gabriel, Raphael & Uriel. L'Archange Michel fe faifit de Semixas, le chef de ces Anges rebelles, le lia avec fes Compagnons, & les relegua dans les lieux les plus bas de la terre, où ils doivent demeurer jufqu'au jour de leur jugement. Il fema enfuite la difcorde entre leurs enfans, qui s'exterminerent les uns les autres. J'explique cette Fable dans l'article des Geants. (1) Elle n'eft fondée que fur un mot de l'Ecriture mal entendu, & fur une équivoque. Les premiers Interpretes ayant vû dans Job le nom de Fils de Dieu donné aux Anges, l'ont auffi interpreté des Anges dans le paffage de la Genefe, où il ne s'agit que des enfans de Seth, qui par oppofition aux defcendans de Caïn, font appellés fils de Dieu : l'identes filii Dei filias hominum, &c. (2) Ceux-ci ayant été frappés de la beauté des filles de la race de Cain, fe marierent avec elles, en eurent c.6. v. 2. des enfans, qui fe rendirent redoutables, plus par leurs défordres, que pour l'énormité de leur taille : car le mot de Nephelim, dont fe fert la Genese pour défigner ces enfans,

(1) Voyez l'Hift. de ju piter. T. 2.

(b) Genel

crit. Liv. 2. Sect. 2.

fignifie également des Geants, & des gens tombés dans les plus grands défordres par le déreglement de leur vie.

Quoiqu'il en foit, j'adopte ici la reflexion de M. Fourmont, (1) Ref. qu'on doit confulter fur cet article, (1) dans lequel il rap porte d'après le faux Henoc, les noms des vingt Anges rebelles, & les explique fçavanıment. Cette reflexion eft, que l'Auteur de ce Livre introduit cinq fortes de perfonnages. 1. Les hommes nés d'Adam. 2. Les Egregores, ou Anges du Ciel. 3. Les Geants fortis des Egregores. 4. Les Nephelim, enfans des Geants. 5. Les Eliud, fils des Nephelim. En quoi cet Auteur paroît conforme à Hefiode, dans la Theogonie duquel on trouve auffi, à peu près, ces cinq claffes, comme je l'ai déja remarqué.

d'Homere.

On me blâmeroit fans doute, fi après avoir parlé dans ce Chapitre, d'Orphée, d'Heliode, & de quelques autres Poëtes Grecs, je ne difois rien d'Homere, qui dans fon Iliade & dans fon Odiffée, a employé avec tant d'appareil les mêmes Dieux qu'Hefiode & Orphée; mais il eft bon de remarquer que ce grand Poëte n'a pas entrepris comme les deux autres, de donner un Syftême fur ces mêmes Dieux, & n'a fait que fe fervir de la Theologie établie de fon temps. Homere comme (2) Differt, l'a judicieufement remarqué M. l'Abbé Fraguier, (2) n'eft fur les Dieux qu'un Poëte; s'il eft Theologien, comme il l'eft en effet, puifMem. de l'A- qu'il parle à tout propos, & qu'il employe le ministere des cad. des Belles Dieux, il ne l'eft que par occafion, & nullement par systême. Lettres. T. 3. Or qu'eft-ce qu'un Poëte ? C'eft un Peintre, un Imitateur : il ne produit pas fon objet, mais il l'imite & le peint. Quelque idée qu'il ait lui-même fur fes Dieux, comme il en parle pour plaire, & pour être entendu, il ne fort point du Syftême reçû de fon temps. Dès-là Homere, né dans le fein du Paganifme n'a pas dû reprefenter les Dieux autrement qu'il ne les a reprefentés. Il n'a pas inventé la Theologie qu'il fuit, il l'a reçûë; mais comme le temps qui détruit les erreurs, a refpecté fes Ouvrages, & que ce grand Poëte avoit fçû y mettre en œuvre tout ce qu'une fauffe Religion lui fourniffoit, on a cru dans la fuite qu'il étoit le pere & l'inventeur de tant de chofes extraordinaires & bizarres, dont en effet il n'a été que le Copiste & le Peintre..

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Ciceron fe plaint qu'Homere a abbaiffé les Dieux jufqu'aux hommes, au lieu d'élever les hommes jufqu'à la perfection des Dieux. Ce reproche eft injufte. La plupart des Dieux d'Homere avoient été des hommes, qui par des actions déclat, & par l'invention des Arts, avoient merité les honneurs divins; mais ces actions, quelques brillantes qu'elles fuffent, n'étoient pas toujours fuivant les regles d'une exacte probité. La Morale n'a pas toujours eu la pureté, à laquelle Pythagore & Platon l'ont restrainte dans la fuite. La force, les talens, & les dons de la nature, ont long-temps tenu la place du vrai merite; & parce que c'étoit-là ce qui avoit confacré ces grands hommes, on croyoit ces chofes dignes d'eux après leur confecration.

En un mot, des hommes déifiés tenoient & de la perfection divine, & de la foibleffe humaine; ainfi le Poëte a dû les représenter fuivant ces deux idées, & dès-là on doit voir en lui un mélange de grandeur & de petiteffe, de force & de foibleffe, de majefté & d'abbaissement, de vertus éclatantes & de vices honteux.

On voit par ce que je viens de dire, que les Grecs avoient plufieurs Theogonies, & qu'ils avoient réduite en fyftême la Theologie qu'ils avoient reçue des peuples de l'Orient.Les Romains n'ont rien eu de femblable. Contents de la Religion des Grecs & des autres Peuples qu'ils avoienr vaincus, ils prirent leurs Divinités, le culte, les ceremonies, les facrifices, les Prêtres, les Fêtes, en un mot tout l'appareil que l'Idolatrie entraînoit avec elle, fans avoir jamais fongé à réduire en fyftême une Religion fi bigarrée; & la Ville du monde la plus Idolâtre, fut celle de toutes qui négligea le plus l'Hiftoire de fes Dieux. Ciceron à la verité donne dans fon Traité de la nature des Dieux quelques Genealogies; mais comme il fe fert le plus fouvent des idées qu'il avoit puifées dans les Livres des Grecs, & qu'il difpute fur cette matiere en Académicien, on ne peut pas regarder fon Ouvrage comme un fyftême de Theologie.

Ce feroit ici le lieu de parler des differens fentimens des Philofophes Platoniciens, au fujet de leurs Dieux, & fur ce qu'en avoient penfé les Anciens; mais outre que cette difcution

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