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une Tortue la reçut fur fon dos. La Loutre & les Poiffons puifant de la boue dans le fond de l'eau, formerent du corps de la Tortue une petite Ifle, qui s'agrandit peu-à-peu; & voilà, felon ces Sauvages, quelle eft l'origine de notre terre. Cette femme eut d'abord deux enfans, dont l'un qui avoit des armes offenfives, tua fon frere qui n'en avoit point. Dans la fuite elle accoucha de plufieurs enfans dont les autres

hommes font fortis.

Cette tradition, fi elle eft exactement rapportée, eft fans doute un refte de la premiere Hiftoire du monde, d'Eve chaffée du Paradis terreftre, & du meurtre d'Abel par Caïn. Car enfin, il fe peut que ces Sauvages, venus des autres hommes, ayent confervé un fouvenir, qu'ils ont bien pu alterer, mais non pas effacer totalement de leur memoire.

Quoique nous ne connoiffions pas les traditions des autres peuples de l'Amerique, il y a bien de l'apparence qu'ils penfoient la plupart comme les Iroquois, puifque les peuples du Perou & du Brefil dans l'Amerique meridionale conviennent du nombre d'hommes qu'il y avoit dès le commencement, ainfi qu'on vient de le dire. Mais ce n'eft pas feulement par leur Theogonie que les Ameriquains ont égalé les Grecs & les autres peuples de notre continent, dans le bizarre fiftême qu'ils ont imaginé touchant leur origine; ils leur reffemblent encore affez fouvent par leurs fables. Ils croyent, par exemple, que la pluye venoit de ce qu'une jeune fille qui étoit dans les nues, jouant avec fon petit frere, il lui caffoit fa cruche pleine d'eau. Cela ne reffemble-t-il pas fort à ces Nymphes des Fontaines, & à ces Dieux des Fleuves qui verfent de l'eau de dedans leurs Urnes? Ils étoient perfuadés auffi comme les Grecs, qu'il y avoit des Dieux qui habitoient dans les Fleuves & les autres amas d'eau, puifqu'en une de leurs fêtes, les Peuples du Mexique noyoient folemnellement un petit garçon, pour tenir compagnie à ces Dieux. Selon les traditions du Perou, I'Ynca Manco-Guina-Capac, fils du Soleil, trouva moyen par éloquence de retirer du fond des forêts les habitans du pays, qui y vivoient à la maniere des bêtes, & il les fit vivre fous des Loix raisonnables. Orphée en fit autant pour les Grecs,

fon

& il paffoit auffi pour être fils du Soleil. Il eft fingulier que: les imaginations de ces deux Peuples, fi éloignés les uns des autres, fe foient accordées à croire fils du Soleil, ceux qui. avoient des talens extraordinaires. Si les Grecs, & à leur imitation nos anciens Gaulois, avoient un refpect religieux. pour les arbres, & croyoient qu'ils étoient le fejour des Dryades & des Hamadryades, les Abenaquis, ainfi que le rapporte le P. Laffiteau, (a) avoient un arbre célebre dont ils racontoient plufieurs merveilles, & qui étoit toujours chargé d'offrandes; & ils ne doutoient pas qu'il n'eût quelque chofe de divin. On trouve même parmi eux qu'ils avoient des Bois facrés, à peu près comme tout le refte du monde idolâtre.

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Pour ce qui regarde les Sortileges, les Evocations, les Devins, les Enchantemens, ces Peuples du nouveau monde ne reffemblent que trop à ceux de l'ancien : même croyance partout fur ces Génies bienfaifans ou malfaifans, dont on s'imaginoit que l'Univers étoit rempli, aufquels préfidoit, comme le Maître & le fouverain des autres Dieux, le Manitou des nations Algonquines, le Chemien des Caraïbes,l'Okki ou l'Ares Koui des Hurons. Pour les fêtes & les myfteres, qu'orr life l'Auteur que que je viens de citer, & on trouvera que celles des Ameriquains avoient beaucoup de rapport avec les Orgies des Grecs. Sur l'immortalité de l'ame, & fon état après la mort, les Sauvages ont penfé à peu près comme les Grecs, dans le temps même qu'ils ont été le plus civilifés. Les Ameriquains ne croyoient ils pas que les ames de ceux qui avoient mal vêcu, alloient habiter certains Lacs bourbeux & défagréables, comme les Grecs les envoyoient furles bords du Styx & de l'Acheron? Ne penfoient-ils pas auffi que les ames de ceux qui avoient mené une vie réguliere, avoient pour fejour des lieux agréables, affez reffemblants aux Champs Elyfées ? Ils ont comme les Romains leurs : pleureufes à gages, font comme eux les feftins pour les morts; & ce qui eft encore plus frappant, ils diftinguent comme : les Grecs, l'ame de fon ombre & de fon fimulachre, (1) & : la troifiéme croyent que pendant que l'ame est dans un fejour délicieux

(1) Voyez

ce qu'on dira là-deffus dans

Section du
Livre VI.

(4) Mœurs des Sauvages, Tome I. page 149. Comme j'ai tiré de cet Ouvrages la plupart des exemples dont je me fers, il fuffit de l'avoir çité une fois,

Fombre erre autour du lieu de la fépulture.

Le feu facré, confervé par prefque toutes les Nations du monde, comme je le dirai dans l'Article de Vefta, étoit aussi l'objet du culte fuperftitieux des habitans de l'Amerique. Les Nations les plus voifines de l'Afie, ont des Temples, où le feu facré eft entretenu avec foin; & ces Temples font la plû-` part faits en rotonde, comme l'étoient ceux de Vesta. Dans fa Louïfiane, les Natchez en ont un où une garde veille fans ceffe à la confervation du feu qu'on ne laiffe jamais éteindre. Perfonne n'ignore combien ces Temples étoient célebres fous le regne des Yncas; mais ce qui parut bien furprenant, c'é→ toient ces Communautés de filles deftinées au service du Soleil, dont les Loix étoient encore plus feveres que celles des Veftales Romaines, (1) & les châtimens, lorfqu'elles (1) Garcimanquoient à leurs voeux, précisément les mêmes, puifqu'on laffo, L. 4. ch. les enterroit toutes vives. Ceux qui les avoient féduites étoient: punis bien plus rigoureufement qu'à Rome, puifque la peine s'étendoit non-feulement fur toute la famille, mais encore fur le lieu où ils étoient nés; on en faifoit périr absolument tous les habitans, & on n'y laiffoit pas pierre fur pierre. Le feu fa eré étoit également refpecté dans le Mexique, & confié à des Vestales qui menoient une vie très-reguliere; & fi les Sauvages de ce vafte continent n'avoient pas tous des Temples pour l'y entretenir, les falles de leur Confeil, faites à peu-près comme les Prytanes des Grecs, étoient employées à cet usage, principalement chez les Iroquois & Íes Hu

rons.

Les Idoles, fouvent monftrueufes, comme dans notre continent, ou chargées de fymboles, comme celles que nous nommons Panthées, ou quelquefois même femblables à celles de Priape, prouvent que les Peuples dont je parle, ne. le cedoient en rien à ceux du pays que nous habitons, par Fextravagance de leur Idolâtrie & de leurs Fables. La corrup tion du cœur humain pouvoit-elle manquer de placer fur les Autels, tout ce qui flattoit le crime & le déreglement des

mœurs?

La coutume de facrifier dans les lieux élevés, coutume fancienne & tant de fois reprochée par les Prophetes. aux

I.

Peuples idolâtres, étoit auffi connue chez les Ameriquains. On n'a qu'à lire pour s'en convaincre, la Relation du Sieur (1) Hiftoire de Rochefort, (1) dans l'endroit où il parle de la montagne Mer. des Illes d'Olaimi, fur laquelle les Apalachites, Peuples de la Floride,

Antilles.

vont tous les ans facrifier au Soleil, dans une Caverne qui fert de Temple à cette Divinité. Leur refpect pour des Idoles, qui ne font que des pierres informes, ou quelquefois d'une figure conique, prouve encore que leur Idolâtrie reffembloit à celle des Anciens, qui avant l'art de la Sculpture, honoroient de femblables pierres, ou de fimples colonnes, comme nous le dirons ailleurs.

Les Sacrifices de ces Sauvages étoient d'abord très - fimples, comme ils l'étoient parmi les premiers Idolâtres de notre monde; & cette fimplicité dure encore parmi quelquesunes de leurs Nations, où l'on fe contente d'offrir aux Dieux les fruits de la terre, ou de leur faire des libations avec de l'eau. D'autres attachent à des arbres ou à des colonnes les peaux des animaux qu'ils ont tués à la chaffe : il y en a qui jettent dans le feu quelques feuilles de Tabac, en l'honneur du Soleil, & dans les fleuves & les rivieres, pour appaiser les Génies qui y président. Les Caraibes offrent la Caffave & l'Ouicou, c'est-à-dire, leur pain & leur boiffon, aux Dieux qui veillent à la confervation de ces plantes, comme les Grecs & les autres Peuples offroient leurs facrifices à Bacchus & à Cerés. Qu'importe que les noms de ces Dieux ne foient pas les mêmes dans les deux continents; ce font toujours les mêmes idées, & précisément la même forte d'Idolâtrie.

Mais comme dans l'Amerique, ainfi que parmi nous, ces moeurs antiques ne fubfifterent pas toujours dans cette premiere fimplicité, qui fait le caractere des premiers temps parmi tous les peuples du monde; ceux dont nous parlons porterent, comme les Payens de notre continent, la fuperftition envers leurs Dieux, jufqu'à leur immoler des Victimes humaines. Ces fortes de facrifices étoient en ufage fur-tout dans le Mexique, & s'ils étoient moins connus parmi les autres Sauvages, il y en avoit cependant qui dans une faifon de l'année, offroient leurs enfans aux Dieux qui veilloient à la confervation des fruits de la terre. La Relation du Sieur le Moyne

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de Mourgues nous apprend que dans cette partie de la Flo ride, qui eft proche de la Virginie, les Peuples de cette contrée qui regardent leurs Chefs comme les fils du Soleil offrent à cet aftre, leur grande Divinité, leurs enfans en fa crifice comme les Chananéens les immoloient à leur Moloch, qui étoit auffi le Soleil; avec cette différence feulement, que ceux-ci les faifoient brûler dans le fourneau qui étoit pratiqué dans leur Idole, comme je le dirai en parlant de ce Dieu, au lieu que ceux-là les affommoient au milieu de l'affemblée du peuple, & en préfence du Chef, qui repréfentoit lui-même le Dieu dont on le croyoit le fils.

Les Sacrifices dans le nouveau monde comme dans l'ancien, étoient accompagnés d'inftrumens, de danfes, & de toutes les marques d'une allegrefle publique; mais je ne poufferai pas plus loin ce parallele, pour lequel il faudroit copier l'Ouvrage que j'ai cité, où le fçavant Auteur entre dans des détails très-finguliers: ce que je viens de dire fuffit pour faire connoître que l'efprit de l'homme, abandonné à fes propres lumieres, n'eft porté qu'à l'erreur & à l'illufion, & que malgré le rafinement des Nations les plus policées, on a penfé à peu-près de même dans tous les Lieux du monde où la veritable Religion n'a pas été connuë.

Enfin il y a peu de Pays où l'on n'ait trouvé des Fables: à peu-près femblables. Partout des idées prodigieufes, des hommes extraordinaires, qui fe difoient les enfans du Ciel, ou des Etoiles, ou des Fleuves, &c. Partout des fourbes qui ont voulu imposer par l'histoire d'une naiffance extraor dinaire & finguliere. Les Egyptiens, les Phéniciens, defquels les Grecs & les Romains ont tiré leurs Fables, ne font pas les feuls qui en ont inventé: on en trouve de femblables aux leurs, chez des Peuples qu'on ne foupçonne pas les avoir apprifes d'eux. Kai-Souven fe vantoit d'être né du Dieu d'un Fleuve, pour féduire plus aifément les Peuples de la Corée par l'éclat de cette naiffance imaginaire. Il falloit bien les Coréens attribuaffent la Divinité aux Fleuves & aux Montagnes, comme les Grecs & les Romains, puifque lorfqu'ils furent devenus tributaires de la Chine, l'Empereur confirma leur Roi dans le privilege dont il jouiffoit de facri

que

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