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mauvais Anges, & c'eft fans doute ce que veut dire l'Ecri

ture fainte, quand elle appelle tous les Dieux des Gentils, (1) Di Gen- des Demons (1). On trouve encore cette forte d'Idolâtrie tiumDemonia. dans tous les Pays où l'Evangile n'a pas été reçû, comme

les Relations de tous nos Miffionnaires en font foi. Mais il (2) Art. erit. faut appliquer ici la remarque judicieuse de M. le Clerc (2), qu'on fe trompe fi l'on croit que ces Idolâtres qui adorent deux Etres, l'un bienfaifant, & l'autre mauvais, entendent par-là les bons & les mauvais Anges, comme s'ils fçavoient le fyftême de la chute des uns, & de la fidelité des autres; au lieu qu'ils entendent par les Genies, certaines Puiffances repandues dans le monde, qui y font le bien & le mal.

Au culte des Genies, Voffius joint celui des ames, qui s'établit en plusieurs pays, fi nous en croyons Mela, Herodote, & Tertullien; fur-tout en Afrique où l'on avoit beaucoup de veneration pour celles des grands hommes. Mais comme c'est ici l'efpece d'Idolâtrie qui a fait dans le monde le plus de progrès, puifque, comme nous le ferons voir, la plupart des Dieux des Payens n'ont été que les grands hommes qui fe font diftingués parmi eux, donnons plus d'étendue à cette penfée, & propofons les conjectures d'un habile homme (a) fur l'origine de cette efpece d'Idolâtrie.

Il croit que deux chofes l'ont introduite dans le monde; la reconnoiffance, & la crainte; ou le culte qu'on rendit aux illuftres morts, & l'appréhenfion des maux qui pouvoient nous arriver. Le refpect qu'on portoit aux Ancêtres fit établir la coûtume des Pompes funebres; l'envie qu'on eut de plaire aux vivans, fit louer avec excès les actions des morts: on chantoit à leurs funerailles des Cantiques, on les élevoit jufqu'au ciel ; & comme avant l'introduction de l'Enfer Poëtique & des Champs Elysées, on croyoit que les ames erroient dans les maifons & dans les lieux qu'elles avoient fréquentés pendant leur union avec leur corps, on éleva dans l'endroit le plus refpectable de la maifon des efpeces d'Autels, où l'on gardoit leurs portraits avec refpect, & on loit des paftilles & de l'encens. On établiffoit quelqu'un pour avoir fein du culte qu'on leur rendoit, & c'est là où l'on

(a) Le Pere de Tournemine, voyez le Journal de Trevoux, Année 1702.

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alloit dans les befoins preffans, pour implorer leur fecours. L'envie de faire durer un miniftere lucratif, faifoit inventer à ces Prêtres des Hiftoires, où ils mêloient beaucoup de furnaturel & des miracles, tantôt pour épouvanter les incrédules, tantôt pour animer les devots. Ces Miniftres compofoient auffi des Romans fur la vie de ces grands Hommes, qu'ils cachoient pendant long-temps, & qu'ils faifoient paffer dans la fuite pour de veritables hiftoires: & quoique les contemporains n'y fuffent pas trompés, ceux qui vinrent longtems après, ne purent apprendre l'Hiftoire de ces grands Hommes que de la bouche de leurs Prêtres ; & comme tout ce qu'on voyoit reffentoit la divinité, & qu'à des Chapelles particulieres avoient fuccedé des Temples publics, (a) on s'accoutuma tout de bon à honorer ces premiers hommes comme des Dieux. Il étoit même dangereux de vouloir pénétrer la fource du culte établi; il penfa en coûter la vie à Efchyle, parce qu'on crut que dans une de fes pieces, il avoit revelé quelque chofe des myfteres de Cerès. Auffi voyoit-on dans les Temples, fur-tout dans ceux d'Ofiris, une ftatue d'Harpocrate tenant un doigt fur fa bouche, pour marquer, comme le dit Varron, qu'il étoit défendu de reveler le myftere de fa vie & de fa mort; & c'eft auffi ce que fignifioient dans le même pays les Sphinx, placés à l'entrée des Temples comme des fymboles du filence.

La feconde caufe de l'Idolâtrie, felon le même Auteur; eft la crainte des maux qui peuvent nous arriver: on s'imaginoit, par exemple, que les Aftres caufoient plufieurs maux par leurs influences on les croyoit animés & immortels, parce qu'on les voyoit fans aucune altération; ainfi on imagina que le moyen le plus sûr pour fe les rendre favorables, étoit de les appaiser lorfqu'on les croyoit irrités ; & dès-lors on commença à fe profterner devant la Lune & le Soleil, & toute la Milice du Ciel, comme le reprochent fi souvent les Prophétes aux Nations. Ainfi, pour le dire en deux mots, le

(a) Ou plutôt les Tombeaux qu'on leur avoit élevés, étoient fi fuperbes, qu'ils furent dans la fuite regardés comme des Temples, ainfi que le remarque S. Clement d'Alexandrie, Superftitio Templa condere perfuafit, que cum prius hominum fepulchra fuerunt magnificentius condita, Templorum appellatione vocatu funt, &c. & Ceft là fans doute une des principales fources de l'Ídolâtrie.

(1) Deut. C..32..

culte religieux fut regle felon les befoins des hommes: les befoins de la focieté, firent naître le culte des hommes illuftres; ceux de la nature donnerent lieu à celui des chofes inanimées.

Monfieur le Clerc (a) prétend que la plus ancienne efpece 'd'Idolâtrie, eft celle qui rendoit aux Anges un culte religieux. L'opinion où l'on étoit fur leur mediation entre Dieu & les hommes, leur fit rendre par reconnoiffance & par crainte quelques refpects, proportionnés aux biens qu'on croyoit en recevoir. Enfuite on leur rendit un culte fubordonné à celui du premier Etre ; enfin on les adora, & on n'épargna ni encens, ni facrifices pour les appaifer lorfqu'on les crut irrités : Sacrificaverunt Damoniis, & non Deo. (1) Du culte des Anges, fuivant cet Auteur, on paffa à celui des ames des hommes illuftres: enfuite, comme on s'avifa de dire que ces ames. féparées des corps, étoient attachées à certains Aftres, & qu'elles les animoient, on en vint enfin à adorer ces Aftres mêmes..

Sans vouloir entrer ici dans la critique de ces différentes opinions, qui ne manquent pas de vraifemblance, j'explique dans le Chapitre suivant quel eft mon sentiment sur une ma piere fi obfcure.

(a) Index Philolog. ad Hiftor. Philofoph. Orient. in voce Angelus.

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Où l'on prouve que l'Idolatrie a commencé par le culte des Aftres

E fuis perfuadé que l'Idolâtrie a commencé par le culte des Aftres, & fur-tout du Soleil. Comme on n'abandonna: le vrai Dieu, que parce que l'idée d'un Etre purement fpirituel s'étoit effacée dans le cœur des hommes devenus charmels, (a) il n'y a pas d'apparence qu'ils aient pris d'abord pour

(a) Homines inbecillis intellectus non valentes corporalia tranfcendere, non crediderunt aliquid effe ultra naturam fenfibilem, & ideo inter corporalia pofuerant præeminere & difponere mundum, quæ pulchriora & digniora eo videbantur, & eis impendebant di

V. 6.

objet de leur adoration, des hommes femblables à eux. Il eft bien plus vraisemblable qu'ils chercherent des êtres fenfibles, qui portaffent le caractere de la Divinité, dont ils n'avoient pas entierement perdu l'idée, & qui en fût le fymbole plus expreffif. Or rien n'étoit plus capable de les féduireque les Aftres, & le Soleil fur-tout: fa beauté, le vif éclat de fa lumiere, la rapidité de fa course, exultavit ut gigas ad currendam viam ; (1) sa regula-' (1) Pf. 18, rité à éclairer tour à tour toute la terre, & à porter partout porter partout la lumiere & la fécondité, caracteres effentiels de la Divinité, qui eft elle-même la lumiere & la fource de tout ce qui eft; tout cela n'étoit que trop capable de faire croire à des hommes groffiers, qu'il n'y avoit point d'autre Dieu que le Soleil, & que cet Aftre brillant étoit le trône de la Divinité, In Sole pofuit Tabernaculum fuum. (2) Dieu avoit établi fa demeure dans le Ciel; Calum Cali Domino, (3) & ils ne voyoient rien qui portât plus de marques de la Divinité que le So

leil.

On ne fçauroit donc douter de l'antiquité du culte du Soleil & des autres Aftres; & s'il falloit joindre l'autorité à des raifons naturelles, j'aurois pour moi non-feulement plufieurs S grands Hommes qui ont été de ce fentiment, mais auffi prefque tous les Rabbins, & fur- tout le fçavant Maimonides, qui dans fon Traité fur l'origine de l'Idolâtrie, croit que c'eft par-là qu'elle commença, même avant le Deluge.

Dans l'ignorance où étoient les hommes fur la nature du vrai Dieu, dit ce fçavant Rabbin, rien n'a du les frapper davantage que la vue du Soleil & des autres Aftres. Les hommes n'ont jamais perdu ce principe, que la Divinité renferme effentiellement le beau ; & n'ayant pas affez de lumieres pour s'élever jufqu'à l'idée d'une substance immaterielle & invifible, ils ne trouverent rien de plus admirable dans la nature que le Soleil & les Aftres. La reconnoiffance affez naturelle aux hommes, lorfqu'ils reçoivent quelque bien, les fortifia encore dans la même pensée. Ils ne pouvoient douter que le vinum cultum, & ejufmodi funt corpora cæleftia, fcilicet Sol & Luna, & Stella. Divus Thomas, Opufc. de Symbolo Apoft.

(3) Hefiode dit prefque mot à mot la même chofe, is impтara d'áμara vaísi, qui fupremas habuitat domos: & Ariftote, 1. 1. De Calo, ch. 3. dit que tous les Peuples conviennent que les Dieux habitent dans le Ciel.

(2) Ib. v. 5.

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Soleil ne fût la fource de la fécondité; que c'étoit à fa cha leur que devoit fe rapporter la fertilité de la terre, qui fans fes rayons qui l'échauffent, ne feroit qu'une maffe fterile fans arbres & fans fruits. Les revolutions & les mouvemens reguliers des Spheres céleftes, les perfuaderent bien-tôt que les Aftres étoient animés; & cette erreur n'a eu que trop de. partifans. Cette opinion devint même celle des Sçavans & des Philofophes, fur-tout des Platoniciens & de Platon leur maître. Ce fut dans cette philofophie que Philon Juif prit. ce dogme, que les Aftres font des ames incorruptibles & immortelles. (1) C'eft fur les principes de cette même doctrine, qu'Origene s'éforça d'établir la même opinion. (2) Saint Auguftin femble balancer fur ce fujet; mais il fe retracte dans la fuite. (3) Il y a bien de l'apparence que c'étoit auffi le fentiment. d'Ariftote; car fi quelques-uns de fes Commentateurs difenti qu'il donnoit feulement aux Aftres des Intelligences pour les conduire, il y en a qui prétendent qu'il regardoit ces Intelligences, comme les formes internes & effentielles de ces mêmes Aftres.

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Eufebe (4) eft celui qui s'explique le plus clairement fur cet: article. Que les premiers & les plus anciens des hommes, dit-il, ne fongeaffent à élever ni Temples, ni Idoles, n'y ayant alors ni peinture, ni art de poterie, ni fculpture même, ni maçonnerie où architecture, je crois que tout homme qui penfe, l'apperçoit très clairement: mais que par-deffus tout, cela, on ne parlât pas même de ces Dieux » & de ces Heros fi renommés depuis, & qu'il n'y eût alors ni Jupiter, ni Saturne, ni Neptune, ni Junon, ni Minerve, ni Bacchus, ni aucun autre Dieu mâle ou femelle,. tels qu'il s'en eft trouvé dans la fuite par milliers, & chez: » les Grecs, & chez les Barbares; bien plus, qu'il n'y ait. > eu aucun Demon, ni bon ni mauvais, que, les hommes reveraffent; mais que l'on n'adora feulement les Aftres, appellés 9, de 9, courir, comme les Grecs le difent > eux-mêmes: enfin, que les Aftres ne fuffent pas honorés alors

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