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la Concorde, la Juftice, la Mifericorde, la Pieté, la Pudeur, la Prudence, la Sageffe, l'Honneur, la Verité, la Paix, la Liberté, & plufieurs autres.

On ne s'attend pas que je donne une notion plus étendue de ces Divinités fubalternes; leurs noms défignent affez leurs. emplois, & il fuffit de les avoir nommées, pour être au fait des Poëtes & des Mythologues qui en parlent. Je remarquequerai feulement, 1°. Que prefque toutes ces Divinités étoient de l'invention des Romains, comme leurs noms le font affez connoître; & l'on voit par-là combien ces Maîtres du monde, qui avoient adopté prefque tous les Dieux des Peuples qu'ils, avoient vaincus, en avoient encore introduit d'inconnus à: ces mêmes Peuples: 2°. Que la plupart de ces Divinités, étoient de l'invention. des Peintres & des Sculpteurs : 3°. Qu'il y en avoit qui étoient particuliers à quelques familles,. & même quelquefois à de fimples particuliers. 4°. Que toutes ces vertus divinifées n'étoient que des fymboles, qui les repréfentoient ou fur des Medailles, où l'on en trouve un grand, nombre, ou, fur d'autres Monumens & dans les Infcriptions... 5°. Que leur culte n'étoit ni auffi celebre ni auffi étendu que. celui des grands. Dieux; que cependant il y en avoit un grand nombre qui avoient des Autels & des Chapelles, &. qu'on invoquoit en certains temps; comme, avant la récolte, aux vendanges, lorfqu'on cueilloit les fruits, dans les mala-. dies des hommes ou des beftiaux, &c.

Outre ces Dieux, dont le nombre eft déja immenfe, il y en avoit de particuliers à chaque Nation; d'autres qui étoient affectés à certaines Villes: & cela particulierement chez les Grecs & chez les Romains ; foit qu'on, crût qu'ils étoient, nés dans ces Villes, ou qu'ils leur accordaffent une protection particuliere. En un mot, prefque route la terre avoit été. partagée entre plufieurs Divinités, & à l'exception des grands Dieux, qui étoient reconnus partout, quoiqu'honorés plus particulierement en certains lieux, les autres n'étoient adorés que chez quelques Peuples, & dans de certaines, contrées.. Ceft de-là que ces Dieux étoient nommés Topiques, ou Po-pulaires, & qu'ils ont tiré la plupart de leurs noms, comme on le verra dans leur Hiftoire, des différents lieux où ils étoient honorés..

Ainfi Jupiter l'étoit fpécialement dans l'Ifle de Crete, où Eon croyoit qu'il avoit été nourri, à Dicte, au mont Ida,. au mont Olympe, au Pirée, dans l'Epire, à Dodone. Junon, à Argos, à Mycenes, à Phalifque, à Samos, à Carthage. Ce-rès, en Sicile, & à Eléufis. Vefta ou Cybele, dans toute la Phrygie, fur-tout à Berecynthe, & à Peffinunte. Minerve à Alalcomene, à Athenes, & à Argos. Apollon, à Chryfa, Ville de Phrygie, à Delphes, à Cylla, à Claros, une des Cyclades, à Cynthe, montagne de Delos, à Grynée, à Lef bos, à Milet, à Patare, à Phafelis, montague de Lycie, à, Smynthe, à Rhodes, à Tenedos, à Cyrrha, chez les Hypperboréens, & ailleurs. Diane à Ephefe, à Delos, à Myce nes, à Brauron dans l'Attique, à Magnesie, fur le mont Mé-nale, à Segefte, &c. Venus à Amathonte en Chypre, à Cy-there, à Gnide, à Paphos, à Idalie, fur le mont Eryx dans. la Sicile, fur l'Ida dans la Phrygie. Mars, à Rome, chez les Getes, & d'autres peuples du Nord, comme les Scythes & les Thraces. Vulcain, dans les Ifles Eoliennes, à Lemnos, auprès du mont Etna; & plus anciennement en Egypte, dont: fuivant les meilleurs Auteurs, il étoit la premiere Divinité.. Mercure, fur l'Helicon, fur les monts Cylleniens, à Nona-: crie, & generalement dans toute l'Arcadie. Neptune, dans Ifthme. de Corinthe, au Tenare, & fur toutes les Mers.* Nerée, fur les côtes des Mers, & par les gens de marine.. Saturne, dans plufieurs lieux d'Italie. Pluton, dans tous les facrifices qu'on offroit aux morts. Bacchus, à Thebes, à Nyfa, à Naxos, &c. Efculape, à Epidaure, à Rome & ailleurs. Pan, fur le Ménale en Arcadie, &c. La Fortune à Antium, Eole,, dans les Ifles qui portoient fon nom. Tels étoient les lieux: principaux de la Grece, de l'Afie mineure, & de l'Italie,: où l'on honoroit les Dieux d'un culte particulier...

Enfin, pour comble d'abfurdité, on adora les animaux & les reptiles; & ce n'étoient pas feulement les particuliers qui leur offroient de l'encens & des facrifices, mais les Villes entieres où leur culte fut établi: ainfi Memphis &. Heliopolis adoroient le bouf; Saïs & Thebes, les brebis; Cynopolis, leschiens; Mendès, les chevres & les boucs. (a) Les Affyriens,.

(a) On expliquera dans le Liv. 4. ce qu'on doit penfer du culte rendu aux animaux...

les colombes. Dans quelques Villes on adoroit les finges; dans d'autres les crocodiles & les lezars, les corbeaux, les cigognes, l'aigle, le lion; & ces Villes portoient même fouvent le nom des animaux qui étoient l'objet de leur culte, comme Cynopolis, Leontopolis, Mendès, &c. Les poiffons devinrent auffi l'objet d'un culte fuperftitieux, non-feulement parmi les Syriens, qui n'ofoient pas même en manger; mais auffi dans plufieurs Villes d'Egypte, de Lydie, & dans d'autres pays. Les uns plaçoient fur leurs Autels des anguilles, d'autres des tortues, & d'autres des brochets. (a)

On n'en demeura pas là: les infectes, les ferpens furent auffi adorés en Egypte & dans plufieurs autres pays. Epidaure & Rome avoient élevé des Temples à la coleuvre, qu'ils croyoient représenter Efculape. Il n'y eut pas jufqu'aux moindres infectes qui ne devinrent l'objet de cette folle fuperftition. Les Theffaliens honoroient les fourmis, dont ils croyoient tirer leur origine : les Acarnaniens, les moûches; & fi les habitans d'Accaron ne les adoroient pas, ils offroient du moins de l'encens au Génie qui les chaffoit, & Beelzebut étoit leur grande Divinité. Enfin, les pierres elles - mêmes furent l'objet d'un culte public; comme celle que Saturne avoit avalée au lieu de Jupiter, & celle qui repréfentoit parmi les Phrygiens la mere des Dieux; & le Dieu Terme, qui étoit une espece de borne ou de rocher.

Que fi nous voulons parler maintenant des Heros ou des demi-Dieux, quel prodigieux nombre n'en trouverons-nous pas ? leurs Temples étoient repandus dans toute la terre, & leur culte, quoique moins folemnel que celui des Dieux, faifoit une partie confiderable de la Religion payenne. Enée, furnommé Jupiter-Indigete, avoit une Chapelle érigée en fon honneur fur les bords du fleuve Numicus; Janus, Faunus, Pious, Evandre, Fatua ou Carmenta, Acca - Laurentia, ou Flore, Matuta, Portumnus, Mania, Anna Perrenna, Vertumne, Romulus, & plufieurs autres, étoient honorés dans le pays Latin. Hercule (b), Thefée, Caftor & Pollux, Hele(a) Confultez fur tout cela Voffius, de Idol. qui en traite fort au long. (b) Il n'y pas de Dieu Indigete dont le culte fut plus repandu que celui d'Hercule. La Grece, l'Italie, la Gaule, l'Efpagne, l'Afrique, la Libye, l'Egypte, & La Phenicie, lui avoient élevé des l'emples & des Autels.

ne, Agamemnon, & la plupart des Heros de la Toifon d'or ou du liege de Troye, eurent des Temples & des Autels dans la plupart des Villes de la Grece. La Laconie honoroit Hyacinthe, & Timomarchus qui combattit pour les Lacedemoniens contre le Peuple d'Amycles, fans parler d'Agamemnon, de Menelas, de Paris & de Déiphobe. Les Meffeniens offroient de l'encens & des facrifices à Polycaon, à fa femme Messene, à leur fils Triopas, & au celebre Machaon fils d'Efculape. Les Arcadiens accorderent les honneurs divins à Califto, à fon fils Arcas, à Ariftée qui avoit quitté l'Ifle de Cos où il étoit né, pour venir en Arcadie apprendre à ce peuple l'art d'élever les abeilles. Le peuple d'Argos honoroit Perfée, Lyncée, Hypermneftre, Io, Apis. Les Acarnaniens reveroient Amphiloque, & confultoient fes Oracles. Le peuple d'Athenes avoit rempli cette celebre Ville des Temples de Cecrops, de fes filles, Agraule, Herfe & Pandrofe; de Celeus & de Triptoleme fon fils, d'Erechteus & de fes filles. On y trouvoit auffi les Temples d'Egée, de Thefée, de Dedale, de Perdix fon neveu, d'Androgée, d'Alcmene, d'Eaque, d'Iolaus, ce fameux compagnon des travaux d'Hercule, de Codrus, & d'une infinité d'autres. A Delphes on voyoit celui de Neoptoleme; à Megare, celui d'A cathoüs; chez les Oropiens celui d'Amphiaraus; Thebes étoit celebre, non-feulement par le culte de Bacchus, de Semelé, de Cadmus, d'Hermione, mais auffi de toute cette illuftre famille: ainfi Ino & Melicerte y eurent leurs Temples & leurs Autels, auffi bien qu'Hercule, Iolaus & Amphiaraus. Dans l'Elide les femmes facrifioient une fois par an à Hippo damie, fille de Pelops. Telefphore étoit honoré à Pergame, Damia ou Lamia l'étoit à Epidaure, Nemefis à Rhamnus Sanctus, ou Sangus chez les Sabins, Adramus & Palicus en Sicile, Coronis à Sicyone, Théagene chez les Thafiens, Borée en Thrace, Pater-Curis chez les Volfques, Tellenus à Aquilée, Tanaïs en Armenie, Ferentina à Ferentum, Tagès en Etrurie, aujourd'hui la Toscane; Feronia, dans plufieurs lieux d'Italie, Marica à Minturne, les Graces, à Orchomene, les Muses, dans la Piérie & à Lesbos, & Amphiloque à Oropos. La Theffalie facrifioit à Pelée, à Chi

ron, à Achille. L'Ifle de Tenedos à Tenès, celle de Chios à Aristée & à Drimachus, celle de Samos à Lyfandre, celle de Naxe à Ariadne, les Eginetes à Eaque, ceux de Salamine au fameux Ajax, fils de Telamon, l'Ifle de Crete, à Europe, à Idomenée, à Molon, & à Minos. On voyoit en Afrique les Temples de plufieurs Rois. Les Maures honoroient Juba; ceux de Cyrene, Battus; les Carthaginois, Didon, Amilcar, &c. Les Thraces, Orphée, & leur Légiflateur Zamolxis.

On ne finiroit pas fi l'on vouloit parcourir tous les autres lieux celebres par le culte de quelque Divinité particuliere, puifque toute la terre étoit remplie de Temples & d'Autels, élevés non-feulement aux grands Dieux, mais auffi aux Indigetes, (a) & que chaque Peuple & chaque Ville, generalement parlant, avoit mis au rang des Dieux ou des Heros, fes Fondateurs & fes Conquerans. Si l'on croit avoir besoin de preuves, pour tout ce que je viens dire dans ce dernier article, on n'a qu'à lire Paufanias, qui parle des Temples confacrés à tous ces Heros, Strabon, & parmi les modernes Meurfius dans fon excellent Traité des Fêtes de la Grece; le (1) Liv. 2. premier Livre de Voffius, & Rofin. (1)

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Enfin, fi l'on joint à tant de Dieux, les Génies & les Junons qui étoient comme les anges gardiens de chaque homme & de chaque femme, on n'aura pas de peine à croire ce que dit Pline, que le nombre des Dieux excedoit celui des hommes (b), ni ce que rapporte Varron, qui fait monter ce nombre à trente mille.

Je ne prétends pas dire qu'il n'y ait eu de tout temps dans prefque tous les pays du monde, quelqu'un qui ait rejetté dans

fond du cœur ces Divinités ridicules, du moins pour la plûpart. Je fçais que Dieu fe conferva quelques ferviteurs parmi les Nations les plus Idolâtres; que Salem eut fon Melchifedech, les Iduméens leur Job, les Chaldéens leur Abraham; mais à cela près, on doit croire que toute la terre étoit couverte des tenebres de l'Idolâtrie; qu'il n'y eut que le peuple

(a) Confultez pour tous ces Indigetes & leur culte, Paufanias, & Strabon, & parmiles modernes Meurfius, Græcia Feriata, & Voffius, de Idol. Liv. 1.

(b) Major cœlitum populus etiam quam hominum intelligi poteft, cum finguli quoque ex femetipfis totidem Deos faciant, Junones, Geniofque adaptando fibi. Pline, Liv. 20

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