Des Statues des Dieux, & de quelle maniere on les A reprefentoit. PRES avoir parlé des Temples & des Autels, il eft neceffaire de dire quelque chofe des Statues des Dieux, des lieux où on les plaçoit, & de la maniere dont ces mêmes Dieux étoient reprefentés. Pour renfermer dans quelques bornes une matiere qui d'elle-même est très-étendue, j'examinerai 1o. ce qu'étoient les figures des Dieux avant que l'art de la Sculpture fût inventé. 2. Ce qu'elles furent, lorsque cet art étoit encore groffier & imparfait. 3°. Le point de perfection où la Statuaire fut portée dans la fuite. 4°. La matiere qu'on employoit aux Statues des Dieux. 5. L'extrême gran'deur, & l'extrême petiteffe de quelques-unes de ces figures. 6o. Les lieux où on les plaçoit le plus ordinairement. 7°. Enfin, , par quels fymboles les Dieux y étoient diftingués. Pour le premier article, il fuffit de fe rappeller ce que nous avons dit dans le Chapitre IV. fur la maniere groffiere dont on reprefentoit les Dieux, avant que l'art de la Sculpture fût en ufage. Il eft impoffible, & en même temps inutile de rechercher en quel temps, & par qui cet art fut inventé. Son origine fe perd dans la plus profonde antiquité. Il fuffit de fçavoir que les Egyptiens le poffedoient du temps de Moyfe, & peut-être long-temps auparavant. Les Statues de leurs Dieux, dont il eft parlé dans les Livres de ce faint Legiflateur, & celles de leur Dieu Apis, trop fidelement imitées par les Ifraëlites, qui l'adorerent dans le defert, fous la forme d'un boeuf ou d'un veau, le prouvent fans replique ; & je ne doute pas que dans le temps même que les Peuples encore barbares & groffiers adoroient ou des maffes informes, ou de fimples troncs d'arbres, la Sculpture ne fût alors connuë non feulement en Egypte, mais encore dans la Syrie & les Pays voisins. Car les arts originaires des Pays que je viens de nommer, ne penetrerent que peu-à-peu dans l'Occident. D'abord même la Sculpture fut très-groffiere, & ne monta que lentement à ce haut point de perfection où elle se fit admirer, fur-tout dans la Grece, par les chef-d'œuvres qu'elle forma. Dès-là on doit fuppofer que les premieres Statues des Dieux, quoique dirigées par ce nouvel art, étoient encore très-groffieres. Les jambes, ni les bras n'étoient point feparés, mais joints avec le refte de la matiere dont on s'étoit fervi pour en former la figure. Elles avoient les yeux fermés, & tout au plus les bras pendans, & comme collés le long du corps, & les pieds joints; rien d'animé, nulle attitude, nul gefte. C'étoient pour la plupart des figures quarrées & infor mes, qui fe terminoient en guaîne. Les cabinets des curieux fourniffent plufieurs modeles de ces Statues; on en déterre encore tous les jours, fur-tout en Egypte, & la marque la moins équivoque de leur antiquité eft lorfqu'elles font comme je viens de les décrire. Elles demeurerent dans cet état, du moins dans l'Occident, jufqu'à Dedale, c'est-à-dire, jufqu'au temps de Minos fecond, & de Thefée. Ce n'eft pas ici le lieu de parler de ce celebre Ouvrier, fon article se trouvera à sa place; mais je dois dire qu'il fçut donner à fes Statues des yeux, des pieds & des mains. Il y mit en quelque façon de l'ame & de la vie, & on fut fi furpris de ce changement, que la renommée publia qu'il les animoit, les faifoit marcher, &c. Les Statues des Dieux y gagnerent, ce fut à les perfectionner que s'appliquerent fur-tout les Ouvriers les plus habiles ; & avec le temps on vit paroître les chef-d'œuvres des Phidias, des Praxiteles, des Myrons, qui firent le principal ornement de la Grece, & attirerent, comme font encore aujourd'hui celles qui nous reftent, la jufte admiration des connoiffeurs. Telles font entr'autres la Venus de Medicis, l'Antinous, l'Hercule, & le beau Jupiter qu'on voit encore à Verfailles. Cependant, par je ne fçais quel refpect pour l'antiquité, on conferva encore l'ancien goût dans ces Statues, qu'on nommoit Hermes. On appelloit de ce nom celles des Statues de Mercure qui étoient d'une figure quarrée, ordinairement fans bras & fans pieds, & qu'on placcir dans les carre-fours, fir les grands chemins, devant les Temples, & devant les malos Ciceron remarque à cerre occaion, qu'il n'étoit pas permis d'en mettre fur les fepulcres, mais il n'en rend pas la raison. Il fembleroit au contraire, que c'étoient les lex cu elles convenoient le mieux, puifque ce Dieu avoit fein des ames, & que c'étoit lui qui les conduifoit dans les Enfers, & qui les en ramenoit Quoique les Hermès ne duffent étre que pour les Statues de Mercure, puifqu'elles portent fon nom, on le donnoit cependant à toutes celles qui en imitoient la forme. Ainfi quand c'étoit Apollon qu'elles repréfentoient, on les nommoit Hermapollons. Si c'étoit une tête de Minerve, en Grec Athené, on les appelloit Hermathenes; & Hermeros, celles qui repréfentoient la tête de Cupidon, dont le nom Grec étoit Eros, ainfi des autres. Enfin cette maniere antique fut encore confervée dans les Statues du Dieu Terme, qui n'étoient que des pierres informes. Les Villes de la Grece, malgré le progrès de la Sculpture, étoient remplies de ces fortes de Statues; & Thucydide nous apprend qu'une nuit on avoit coupé les têtes de toutes celles qui étoient à Athenes. On fçait qu'Alcibiade fut foupçonné de cet attentat, & qu'il fut banni pour cela. Il n'y avoit rien de preferit touchant la matiere dont devoient être les Statues des Dieux. Comme la Sculpture eft un art qui par le moyen du deffein, & de la matiere folide imite la nature, elle a pour matiere le bois, la pierre, le marbre, l'yvoire, differens metaux, comme l'or, l'argent, le cuivre, les pierres précieufes, &c. qu'elle comprend auffi la fonte, qu'on fubdivife, en l'art de faire des figures en cire, & en celui de jetter en fonte toutes fortes de metaux. Les Statuaires avoient la liberté d'ufer de toutes ces matieres, & de toutes ces formes pour les Statues des Dieux. L'hiftoire nous apprend qu'il y en avoit de toutes ces fortes, on en faifoit des bois les plus précieux, & les moins fujets à fe corrompre. Celle de Jupiter à Sicyone étoit de buis; & à Ephese, celle de Diane étoit de cedre. Ailleurs on en trouvoit de citronnier, de palmier, d'olivier, d'ébene, & de cyprès. Nous avons déja parlé de celles d'or qui étoient dans le Temple de Belus à Babylone, & d'Apollon à Delphes. Nous avons fait la defcription de celle de Jupiter Olympien, où l'or étoit habilement mêlé avec l'yvoire, l'ébene, & les pierres précieufes ; chef-d'oeuvre que perfonne, felon Pline n'ofa imiter : præter Jovem Olympium, quem nemo amulatur (1). Il feroit inutile de (1) Pline L. s'étendre fur celles de marbre ou de pierre, dont le nombre étoit infini; j'ai nommé les principaux Ouvriers qui de ces differentes matieres avoient fçû faire des chef-d'oeuvres. Si on a la curiofité de trouver des Statues de Dieux, de toutes les formes, & de toutes les matieres dont j'ai parlé, on n'a qu'à lire Paufanias, qui en décrit de toutes les fortes. Generalement parlant les Statues des Dieux,après l'invention de la Sculpture, n'étoient que de terre moûlée, & fragiles comme de fimples vafes. Cet art de jetter la terre ou l'argile en moûle, eft nommé fictilis, & les ouvrages qui en fortent, fictilia. L'Ecriture Sainte, les Prophetes fur-tout reprochent fans ceffe aux Payens d'adorer de ces fortes d'Idoles. Dans la fuite on chargea ces Statues de differentes couleurs, & enfin on les dora. Les Romains dont la Religion annonça longtemps la fimplicité de leurs moeurs, ne commencerent que fort tard à avoir de ces Statues dorées; les leurs n'avoient eu jufques-là que la couleur de la terre dont elles étoient faites. Pline loue cette premiere fimplicité Romaine. Des hommes, dit-il, qui honoroient fincerement de tels Dieux, ne doivent pas nous faire honte. He tum effigies Deorum erant laudatiffimæ, nec pœnitet nos illorum qui tales Deos coluere. Ils ne faifoient cas de l'or, continue cet Auteur, ni pour eux, ni pour leurs Dieux, Juvenal parlant de la Statue de terre que Tarquin l'ancien fit mettre dans le Temple de Jupiter, l'appelle le Jupiter de terre, que l'or n'avoit point gâté, ni fouillé. Fictilis, & nullo violatus Jupiter auro. Tite-Live nous a appris l'époque de l'introduction des Statues dorées, dans Rome, & ce fut, felon lui, fous le Confulat de P. Cornelius Cethegus, l'an de la fondation de cette Ville 571, ou 572. Comme il n'y avoit rien de prefcrit fur la matiere des Sta 34. c. 8. tuës des Dieux, il n'y avoit rien non plus d'établi fur la grandeur qu'on leur devoit donner, & il dépendoit du caprice des Ouvriers, ou de la volonté de ceux qui les employoient, de les faire grandes ou petites. Ainfi pendant que les Egyptiens fe faifoient honneur de ces Statues coloffales, qu'on voyoit dans les veftibules de leurs Temples, on ne trouvoit fouvent dans l'interieur de ces édifices que des Marmouzets, de petits Pygmées, qui attiroient le mepris & les railleries de ceux à qui il étoit permis de les voir, comme il arriva à Cambyfe, lorsqu'il fut introduit dans le Temple de Vulcain à Memphis, ainfi que nous l'avons dit. La Grece voulut quelquefois imiter la maniere Egyptienne dans ces Coloffes, & elle avoit plufieurs Statues de fes Dieux d'une énorme grandeur. Celle de Jupiter à Olympie, dont j'ai donné la defcription, & plufieurs autres encore, étoient beaucoup plus grandes que nature; mais le plus extraordinaire de tous ces Coloffes, étoit celui de Rhodes, qui repréfentoit Apollon, & qui fut regardé comme une des fept merveilles du monde. Cette Statue, ouvrage de Charès, qui fut douze ans à la faire, avoit foixante & dix coudées de haut ; & comme elle étoit placée de maniere que les deux pieds pofoient fur deux môles, qui formoient le Port de la ville de Rhodes, les vaiffeaux paffoient à pleine voile entre fes jambes. Pour juger de l'énorme grandeur de ce Coloffe, il fuffit de dire qu'il y avoit peu de perfonnes qui puffent embraffer un de fes pouces. Malgré la pefanteur de cette prodigieufe maffe, malgré les dangers de la mer, & les temps aufquels elle étoit expofée, elle demeura cependant fur pied l'efpace de 1360. ans, & ne tomba que par un tremblement de terre. Un Marchand Juif l'acheta des Sarafins, & l'ayant fait mettre en pieces, en chargea neuf cens chameaux. Ce n'étoient pas feulement les Egyptiens & les Grecs, qui avoient de ces figures coloffales, les Romains voulurent les imiter en cela, & on comptoit à Rome cinq de ces coloffes, deux d'Apollon, deux de Jupiter, & un du Soleil, car le Soleil étoit fouvent diftingué d'Apollon; fans parler de deux autres, dont l'un repréfentoit Domitien, l'autre Neron: mais comme fi ces fortes de Statues n'avoient du appartenir |