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de Sacrifices étoit commun du temps de la guerre de Troye,

& je ne crois pas que nous ayons d'exemples plus anciens. Je sçais que Paufanias parle de la Victime humaine que Ly(1) Voyez caon offrit à Jupiter Lycæus (1); que les Auteurs des ArgoPaufanias, in nautiques difent que les Heros de la Toifon d'or avoient mis dans leur Navire une Hecatombe, pour l'offrir à Apollon: qu'ils parlent d'un Sacrifice de bêtes fauves prifes à la chaffe, que ces mêmes Heros immolerent à la place des autres animaux; mais ces autorités font moins refpectables qu'Homere, le plus ancien des Poëtes, & dès-là, plus proche des événemens qu'il racontoit.

Quoi qu'il en foit, on ne fçauroit douter que l'ufage des Sacrifices fanglans ne foit très-ancien dans le Paganifme, s'il eft vrai, comme l'ont avancé quelques Peres de l'Eglife, que Dieu n'agréa ces fortes de Sacrifices, & que Moyfe ne les ordonna aux Ifraëlites que pour les empêcher d'en offrir aux Dieux, comme le pratiquoient les Nations voifines. Mais cette idée n'eft nullement exacte, & il eft certain que dans la vraie Religion, ces Sacrifices font auffi anciens que le monde, puifque pendant que Caïn offroit à Dieu les fruits de la terre, Abel lui facrifioit des Victimes prifes dans fes troupeaux : Factum eft autem.... ut offerret Cain de fructibus terra munera Domino. Abel quoque obtulit de primogenitis gregis fui, & de adipibus eorum (2). Noé au fortir de l'Arche, offrit à Dieu un Sa(2) Gen. 4. crifice de tous les animaux purs: Et tollens de cunctis pecoribus & volantibus mundis obtulit holocauftum fuper altare (3). Or comme l'Idolâtrie n'eft qu'une corruption de la vraie Religion, il n'est pas douteux qu'elle en ait pris les pratiques, & en particulier l'ufage des Sacrifices fanglans, & cela, dèsles premiers fiécles. Cependant il n'en eft pas moins vrai qu'il y eut des Pays où cet ufage ne fut pratiqué que fort tard, & qu'on ne l'y recut qu'avec une repugnance, que le fait que je vais raconter, marquoit affez. Parmi les Atheniens le Victimaire, après avoir frappé l'animal qui devoit être immolé, étoit obligé de s'enfuir de toutes fes forces: on le fuivoit & pour n'être pas arrêté, il jettoit la hache dont il s'étoit fervi, comme étant feule coupable de la mort de l'animal qu'on alloit immoler. Ceux qui le fuivoient, fe faififfoient de cette hache,

v. 3. & 4.

(3) Gen. 8.

V. 20.

&

& lui intentoient un procès. Celui qui en prenoit la défense,
alleguoit qu'elle étoit moins coupable, que le Remouleur qui
l'avoit aiguilée; le Remouleur pris à partie, jettoit la faute fur
la pierre qui avoit fervi à l'aiguifer, ainfi de fuite; enforte
le procès ne finiffoit jamais; ceremonie ridicule à la verité,
mais qui prouvoit l'averfion que les Atheniens avoient pour
les Sacrifices fanglans.

que

Mais il eft bon de remarquer, que dans le temps même qu'on immoloit des Victimes vivantes, on n'avoit pas oublié l'ancienne forme des Sacrifices, qui ne confiftoient qu'en herbes, en fel, & en farine, & on l'employoit toujours comme la plus propre à appaifer les Dieux; ce qui fait dire à Horace: Te nihil attinet

Tentare multâ cæde bidentium (1).

(1) Liv. ş.

in 2. En.

Ainfi, au rapport de Feftus & de Servius, on jettoit toujours Od.23. de la farine & du fel fur les Victimes, fur le feu, & fur les couteaux facrés. Sal & far, quod dicitur mola falfa, quâ & frons victima, foci, & cultri afperguntur (2). Numa Pompilius, (2) Servius felon Pline, avoit même interdit aux Romains les Victimes fanglantes, & leur avoit défendu tout autre facrifice, que ceux où l'on employoit les fruits, le fel, & la farine (3). Denys d'Halicarnaffe (4) femble attribuer à Romulus, ce que nous venons de dire de Numa, & il ajoute, que cet ufage duroit encore de fon temps, quoiqu'on y eût joint celui des Sacrifices fanglans. Plutarque nous fait remarquer qu'il y avoit des Dieux parmi les Romains, entre-autres le Dieu Terme, à l'égard defquels on confervoit toujours l'ufage ancien, de ne leur rien offrir d'animé.

Enfin, on porta dans la fuite la fuperftition, jufqu'à immoler des Victimes humaines. On ne fçait pas qui a été le premier auteur de ces Sacrifices barbares; mais que ce foit Chronos, ou Saturne, comme on le trouve dans le Fragment de Sanchoniathon, ou Lycaon, comme Paufanias femble l'infinuer, ou quelqu'autre, il eft sûr que cette barbare coutume paffa chez prefque tous les Peuples connus. Les peres euxmêmes, pouffés par une aveugle fureur, immoloient leurs enfans, & les brûloient au lieu d'encens. Ces horribles facri

(3) Plia. &. 18.ch. 7: (4) Liv. 2.

ch. 20.
(2) Liv. 5.

fices, prefcrits même par les Oracles des Dieux, étoient connus dès le temps de Moyfe, & faifoient partie de ces abominations que ce faint Légiflateur reproche aux Amorrhéens. Les Moabites immoloient leurs enfans à Moloch, & les (1) Levit. faifoient brûler dans le creux de la Statue de ce Dieu (1). Selon Denys d'Halicarnaffe (2) on facrifioit des hommes à Saturne, non-feulement à Tyr & à Carthage, mais dans la Grece même & dans l'Italie. Les Gaulois, fi nous en croyons Dio(3) Liv.3. dore de Sicile (3), immoloient à leurs Dieux leurs prifonniers de guerre; ceux de la Tauride, tous les étrangers qui y abordoient. Les habitans de Pella, facrifioient un homme à Pelée, Ceux de Tenufe, ainsi que le raconte Paufanias, offroient tous les ans une fille vierge au Génie d'un des Compagnons d'Uliffe qu'ils avoient lapidé ; & Ariftomene Meffenien, immola (4) Geogr. pour une feule fois, trois cens hommes. Strabon (4) parle de ces Sacrifices abominables, offerts par les anciens Germains. Saint Athanafe (5) dit la même chofe des Pheniciens & des Crétois, & Tertullien, des Scythes & des Afriquains. On voit dans l'Iliade d'Homere, douze Troyens immolés par Achille, aux manes de Patrocle. Enfin, Porphyre fait un long dénombrement de tous les lieux où l'on immoloit autrefois des hommes, entre lefquels il met Rhodes, l'Ile de Chypre, l'Arabie, Athenes, &c.

liv. I.

(s) Orat. contra Gentes.

(6) Mem.

tom. I. p. 47.

De tous ces témoignages joints ensemble, & de plusieurs autres qu'il eft inutile de rapporter, il refulte que les Pheniciens, les Egyptiens, les Arabes, les Chananéens, les habitans de Tyr & de Carthage; ceux d'Athenes & de Lacedemone, les Ioniens, toute la Grece, les Romains & les Scythes; les Albanois, les Allemans, les Anglois, les Espagnols, & les Gaulois, étoient également plongés dans cette horrible fuperftition.

Feu M. l'Abbé de Boiffi, dans une Differtation qu'il lut à de l'Acad. des l'Académie des Belles Lettres, & dont l'extrait eft imprimé, Belles Lettres, (6) rapporte l'origine de la barbare coutume d'immoler des hommes, à une connoiffance imparfaite du Sacrifice d'Abraham. Les Chananéens, dit-il, les Amorrhéens & les autres Peuples voifins des lieux où ce faint Patriarche avoit paffé fa vie, entendirent fans doute vanter le zele & la fermeté de

ce faint Homme, qui n'écouta pas un moment les fentimens de fa tendreffe pour un fils unique; ils fçurent apparemment quelque chofe des récompenfes que Dieu promit à fa fidélité; & ignorant que le Sacrifice n'avoit pas été accompli à l'égard de ce fils bien aimé, ils prirent la chose à la lettre, & crurent en imitant une action fi heroïque, s'attirer les mêmes bénédictions du Ciel. En effet, dit-il, ce fut Saturne, felon les Poëtes & les Hiftoriens, qui introduisit la détestable coutume de facrifier des hommes. Or Saturne, au jugement des meilleurs Auteurs, eft le même qu'Abraham. Les preuves en font claires, mais je ne dois les rapporter que dans l'Article de ce Dieu.

Les Anciens ouvrirent enfin les yeux fur ces Sacrifices inhumains, & les évenemens que je vais raconter, les firent enfin ceffer peu à peu. Un Oracle, dit Plutarque, ayant ordonné aux Lacedemoniens affligés de la pefte, d'immoler une Vierge; & le fort étant tombé fur une jeune fille nommée Helene, un Aigle enleva le couteau facré, & le posa fur la tête d'une Geniffe, qui fut facrifiée à sa place. Le même Plutarque raconte que Pelopidas, chef des Atheniens, ayant été averti en fonge, la veille d'une bataille, d'immoler une Vierge blonde aux mânes des filles de Scedafus qui avoient été violées & maffacrées dans le même lieu, ce Général effrayé, tint confeil fur l'inhumanité de cette forte de Sacrifice, qu'il croyoit déplaire aux Dieux; & ayant vû une Cavalle rouffe, il l'immola par le confeil du Devin Theocrite, & remporta la victoire. En Egypte, Amasis ordonna qu'au lieu d'hommes, on offrit feulement des figures humaines. Diphilus substitua dans l'Ifle de Chypre, des Sacrifices de boeufs à ceux des hommes; & Hercule étant en Italie, des têtes de cire, nommées Ofcillæ, à de veritables hommes.

Anciennement les chefs de famille en étoient également les Rois & les Pontifes, & c'étoient eux qui offroient les Sacrifices; mais dans la fuite on eut dans chaque état des Prêtres & d'autres Miniftres pour cette fonction, comme nous le dirons dans le Chapitre fuivant: cependant dans le temps même qu'il y avoit des Prêtres établis, ces chefs de famille conferverent toujours le même droit. Ainfi on peut diftinguer

deux fortes de Sacrifices; les particuliers, que chacun pouvost. offrir chez foi à fes Dieux Lares, ou Penates (a), & les Sacrifices publics, établis par les Loix, & pour lefquels il y avoit des Miniftres autorifés, & un Pontife qui y préfidoit.. Ces fortes de Sacrifices s'offroient à Rome & dans la Grece,. felon certaines regles, qu'on étoit obligé d'obferver exactement. Ciceron s'en explique ainfi. Nos Ancêtres, dit-il, ont. » donné des regles pour les chofes divines; enforte que pour >> les ceremonies établies aux grandes folemnités, on ait re> cours aux Pontifes qui en font bien inftruits; que pour gerer > les affaires de la Republique, on s'adresse aux Augures, &c. »

Le principal foin de ces Miniftres confiftoit à bien choisit les Victimes; car elles devoient avoir pour être agréables aux Dieux, certaines qualités, dont je parlerai dans un moment.. On leur donnoit auffi plufieurs noms. On appelloit Præcidanea hoftia, celles qu'on immoloit le jour d'avant la folemnité comme on nommoit præcidanea porca, la truye qu'on facri fioit à Cerès avant la moiffon. On nommoit Succidanea hoftia, celles qu'on facrifioit lorfqu'on avoit manqué d'immoler les. premieres, qui devoient préceder ; & c'eft ainfi qu'on expioit l'omiffion. Il y en avoit d'autres qu'on nommoit Eximia hoflia; ce mot qui fignifie excellent, n'étant pas pris dans fa propre fignification, mais pour marquer qu'on retiroit ces Victimes. du troupeau, pour être immolées, eximebantur grege. Les brebis qui avoient deux agneaux, qu'on immoloit avec la mere, étoient nommées Ambigua oves, & les Victimes dont les en(1) Faftes. trailles étoient adherentes, Harunge, ou Haruga (1), celles qui étoient confumées, Prodigia, celles qui avoient les dents. (2) Hygin. plus élevées que les autres, Bidentes (2).

le Levit.

De quelque nature que fuffent les Victimes, il en falloit: faire un grand choix; & les mêmes défauts, qui parmi les Juifs. (3) Voyez les excluoient des Sacrifices (3), les rendoient auffi défectueufes parmi les Payens, qui paroiffoient par là avoir emprunté plufieurs ufages des Hebreux. Voffius, dans fon fçavant Traité de l'Idolâtrie, eft entré fur ce fujet dans des détails Philologiques extrêmement recherchés, aufquels je renvoye les

(a) Voyez Virgile, Eneid. liv. 3. qui parle du Sacrifice qu'Enée offrit le matin. à fes Dieux Penates, qui lui avoient apparu en fonge.

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