CHAPITRE XV. Des Céremonies Religieufes pratiquées à la fondation des Villes. JA 'A dit il y a un moment que les évocations fe faifoient lorfqu'une Ville étoit affiegée, pour invoquer les Dieux, fous la protection defquels elle étoit ; & comme ces mêmes Dieux en devenoient les Patrons au temps de la fondation de chaque Ville, il eft neceffaire de dire un mot des céremonies qui fe pratiquoient en cette occafion. Feftus nous apprend que les Etruriens avoient des Livres qui contenoient les ceremonies ufitées à la fondation des Villes, des Autels, des Temples, des Murailles & des Portes; & Plutarque dit que Romulus voulant jetter les fondemens de la ville de Rome, fit venir d'Etrurie des hommes qui lui apprirent de point en point toutes les céremonies qu'il devoit obferver. Selon Denys d'Halicarnaffe, on commençoit par offrir un facrifice, après lequel on allumoit des feux près des tentes, & ceux qui devoient avoir quelque fonction dans la conftruction de la Ville, fautoient pardeffus ces feux, pour fe purifier. Ensuite on creufoit une foffe, dans laquelle on jettoit les premices de toutes les chofes qui fervoient à la nourriture de l'homme, & une poignée de terre du pays d'où étoient venus chacun de ceux qui affiftoient à la ceremonie. On confultoit en même-temps les Dieux, pour fçavoir fi l'entreprise leur feroit agréable, & s'ils approuvoient le jour qu'on avoit pris pour la commencer. Enfuite on traçoit l'enceinte par une traînée de terre blanche, qu'on appelloit Terre pure; & faute de cette efpece de craie, on fe fervoit de farine, comme fit Alexandre, au rapport de Strabon, lorsqu'il jetta les fondemens d'Alexandrie. Cette premiere operation achevée, on ouvroit un fillon auffi profond qu'il étoit poffible, avec une charrue d'airain, & on attachoit à cette charrue un taureau blanc, & une géniffe blanche. Tout l'efpace que la charrue avoit ouvert étoit reputé faint. Pendant qu'on formoit l'enceinte, on s'arrêtoit de temps en temps pour renouveller les Vox fuit hæc Regis: Condenti Jupiter Urbem Enfin, le jour de la fondation d'une Ville étoit fi refpectable, qu'on en renouvelloit le fouvenir dans une Fête annuelle, & cette fête étoit à Rome celle qu'on nommoit les Palilies, ainsi que nous l'avons dit. M. Blanchard, dans une Differtation, dont l'extrait eft imprimé dans le troifiéme Tome des Memoires de l'Académie des Belles Lettres (1), rend raison (1) Page 61. de cette céremonie, & de quelques autres qui n'ont pas un rapport effentiel avec la Religion payenne. Ovide a heureusement renfermé toutes ces céremonies dans les vers fuivans (2), (2) Fast. I. 4. Apta dies legitur, quâ mænia fignet aratro. Sacra Palis fuberant : inde movetur opus, Foffa fit ad folidum, fruges jaciuntur in imâ, Et de vicino terra petita folo. Foffa repletur humo, plenæque imponitur aræ; Alba jugum niveo cum bove vacca tulit. On a vû dans ce Livre l'Hiftoire de l'origine & du progrès de l'Idolâtrie. J'ai parlé de ce qui concernoit le culte rendu aux Dieux; des Temples, des Autels, des Sacrifices, des Prêtres, des Fêtes qu'on célebroit en leur honneur, &c. il refte encore à examiner plufieurs articles importans qui regardent l'Idolâtrie, dont je vais parler dans le Livre fuivant. V.LS LIVRE QUATRIE ME, Où l'on traite des Superftitions que l'Idolatrie authorifoit. E mets au nombre de ces Superftitions, le refpect qu'on avoit pour les Oracles en general, & en particulier pour les Livres des Sibylles, qui étoient à l'égard des Romains, un Oracle permanent qu'ils confultoient dans toutes les occafions; les Préfages, les Prodiges, les Expiations, la Magie, l'Aftrologie judiciaire, la Divination, les Sorts, les Preftiges, les Augures, les Aufpices, & quelques autres. C CHAPITRE I. Des Oracles. OM ME les Oracles, que Seneque définit, la volonté des Dieux annoncée par la bouche des hommes, & que Ciceron nomme fimplement le difcours des Dieux, Deorum oratio, tenoient à la Religion payenne, & en faifoient une partie confiderable, leur hiftoire doit entrer dans cette Mythologie. Rien n'étoit fi fameux que ces Oracles: on les confultoit nonfeulement pour les grandes entreprises, mais même pour de fimples affaires particulieres. Falloit-il faire la guerre ou la paix, établir des Loix, réformer les Etats, en changer la conftitution; on avoit recours à l'Oracle; c'étoit alors l'autorité publique qui agiffoit. Un particulier vouloit-il fe marier entreprendre un voyage, ou enfin avoit quelqu'autre affaire, -il ou une maladie dangereufe; il alloit confulter l'Oracle. L'envie de connoître l'avenir, d'affûrer le fuccès de fes projets; la curiofité, fi naturelle à l'homme; tout le portoit à confulter les Dieux qui avoient la réputation de prédire l'avenir; car tous les Dieux n'avoient pas ce crédit. De-là l'établissement des Oracles, l'empreffement à les confulter, & les dons immenfes dont on rempliffoit leurs Temples; car rien ne coûte à l'inquiétude & à la curiofité. Sur ce principe, on ne peut pas douter que tous les Peuples parmi lefquels a regné l'Idolâtrie, n'aient eu leurs Oracles, ou quelqu'autre moyen de chercher à connoître l'avenir. Aucune Nation n'a jamais manqué d'impofteurs, & de gens avides de gain, qui fe font donné la réputation de connoître & de prédire ce myfterieux avenir. On en a trouvé parmi les peuples les plus barbares & les plus groffiers, tels que les Iroquois, & les autres Sauvages de l'Amerique. Les anciens Gaulois avoient leurs Druides, qui étoient leurs Prophetes: parmi les Pheniciens & les Egyptiens, c'étoient les Prêtres qui avoient cet emploi, & il en a été fans doute de même parmi les autres Nations. Mais comme des recherches particulieres fur les Oracles de tous les Peuples idolâtres, nous meneroient trop loin, & que nous manquons de monumens pour en faire l'hiftoire, nous nous contenterons de parler des Oracles des Egyptiens, & fur tout de ceux des Grecs, qui ont été en même temps fi celebres & en fi grand nombre. · Avant d'entrer dans l'Hiftoire de ces Orales, il eft neceffaire d'examiner en peu de mots deux queftions importantes. Toutes les prédictions qu'on en rapporte, & dont les Auteurs Payens font remplis, étoient-elles le fruit de l'impofture des Prêtres, ou venoient-elles du Demon? Les Orales ont-ils ceffé à la venue de Jefus-Chrift? Van-Dale dans un Traité où l'érudition n'eft pas épargnée, a entrepris de prouver que toutes ces prédictions ne venoient que des fourberies de ceux qui avoient foin des Oracles; & qu'ils n'ont pas ceffé quand Ĵefus-Chrift eft venu au monde. M. de Fontenelle, l'homme le plus propre à enlever d'un Traité heriffé de Grec & de Latin, & qui n'étoit que pour les Sçavans, toute la féchereffe qui le rendoit de peu d'ufage, pour y repandre des ornemens que le miffent à portée de tout le monde, en a formé un Ouvrage, qui a fait affez de bruit pour me difpenfer d'en parler plus au long. Comme l'opinion de Van-Dale parut contredire le fentiment unanime de tous les Peres, & la Tradition conftante de l'Eglife, qui attribuoit du moins une grande partie des reponses des Oracles au Demon, qui n'étoit pas encore enchaîné, avant la venue de Jefus-Chrift, le Pere Balthus, Jefuite, entreprit dans un fçavant Traité, de venger la Tradition & les Peres; & fans nier l'impofture des Prêtres, qui fut fouvent mêlée dans les Oracles, il prouve d'une maniere également claire & folide, l'intervention du Demon dans des prédictions, que tous les efforts de l'incredulité ne fçauroient attribuer aux feules fourberies des Prêtres. Et pour le temps de la ceffation de ces Oracles, il prouve avec la même érudition, que s'ils ne cefferent pas entierement à la venue de Jefus-Chrift, il eft für qu'ils commencerent à décheoir; que leur reputation ne fut plus fi brillante; qu'on ne les confultoit plus avec tant d'appareil quoiqu'il foit inconteftable qu'ils ne cefferent entierement que lorfque le Chriftianifme triompha de l'Idolâtrie. Il eft inutile pour mon deffein, de m'étendre davantage fur ces deux queftions, les piéces du procès étant entre les mains de tout le monde. Cependant je ne fçaurois m'empêcher de faire fur la premiere de ces deux queftions, quelques reflexions très-propres à renverser le fyftême de Van-Dale. En effet croira-t'on de bonne foi, que fi les Oracles n'étoient que le fruit des fourberies des Prêtres, quelque manége qu'on puiffe leur prêter pour s'inftruire adroitement du fujet qui amenoit ceux qui venoient les confulter de leurs affaires, de |